La divination au quotidien : le sikidy et ses formes symboliques (COURS DU PREM
La divination au quotidien : le sikidy et ses formes symboliques (COURS DU PREMIER SEMESTRE 2012-2013 Niveau Master I, pour 10 Credits ECTS) ____________ Jean François RABEDIMY Etienne RAZAFINDEHIBE (Docteur en Anthropologie, (Docteur en philosophie, Maître de Conférences, Maître de Conférences Université de Toliary) Université de Toamasina) 2 PREMIER COURS En guise de préambule A Madagascar, en milieu rural comme en milieu urbain, avec les turpitudes d’un quotidien incertain sur fond de crises politiques, économiques et sociales récurrentes, le « mpisikidy », « ombiasa » « mpanandro », (devin- guérisseur) fait maintenant partie du « paysage social ». Car dans l’imaginaire collectif, grâce aux savoirs que leur confère donc l’art divinatoire par les graines du sikidy, ils arrivent à se glisser dans l’interstice du visible et de l’invisible, du conscient et de l’inconscient, du proche et du lointain. L’art divinatoire par le sikidy ne relève-t-il que du charlatanisme et de la magie, comme certains semblent vouloir le dire ou s’inscrit-il, à l’inverse, dans une démarche affirmée de cette universalité de la pensée rationnelle déjà soutenue par Claude LEVI-STRAUSS dans La Pensée sauvage, il y a presque cinquante ans de cela ? Mais plutôt que d’avoir cette vison binaire et si tranchée du genre, rationnel/empirique, certitude /croyance ou encore, réel/ symbolique, ne faut-il pas avoir, à la lumière des différentes figures symboliques du sikidy, un regard nuancé des choses, fait de décloisonnement, d’articulation et de complémentarité ? Ici, les pratiques magiques et l’art divinatoires du « maître du sikidy » semblent aller de pair avec les démarches méthodiques d’un chercheur scientifique qui (à partir d’hypothèses hardies, d’observations soutenues, d’essais inlassablement repris) espère découvrir telle ou telle configuration inhabituelle dans l’art combinatoire du sikidy appelée « inton-tsikidy », « tökan-tsikidy », « fohatse ». L’on se demande si le « maître du sikidy » qui consacre des heures et des heures et des années durant à réaliser ces configurations particulières du sikidy ne procède pas, lui aussi, par raisonnements hypothético-déductifs en s’appuyant également sur des calculs combinatoires assez compliqués. Dans ce sens, ne peut-on pas parler ici de « mathématiques sans écriture » ? Les techniques du sikidy à Madagascar ne participent-t-elles pas, bien au-delà de leur dimension thérapeutique et magique, à ce nouveau champ de recherche en anthropologie sociale qu’est l’ « ethnomathématique » ? 3 Regards croisés sur l’historique du sikidy à Madagascar a)- Le « diseur des choses cachées » : le devin-guérisseur ou mpisikidy L’homme ne se contente pas de vivre dans son présent, mais il entend également se projeter dans l’avenir, son avenir. Cet avenir qu’il habite déjà en image, grâce à sa faculté anticipatrice, n’est malheureusement pas gagné d’avance. Car cet avenir est encore un « à-venir » et s’inscrit, de ce fait, sous le sceau de l’incertitude ; il relève de l’ordre du «peut-être!» et du «pourquoi pas ceci plutôt que cela?». En un mot, cet avenir appartient au champ du possible. Tout ceci pour dire jusqu’à quel point l’homme est appelé à se projeter dans son « à-venir ». Vivre son humanité, n’est-ce pas se donner à fond pour construire son « à-venir » ? En fait, qui ne désire pas devenir autrement que ce qu’il est en ce moment ? Qui ne désire pas, d’ici quelques mois, d’ici quelques années, vivre mieux qu’aujourd’hui? Dans cette tension vers un lendemain plus tonifiant qu’aujourd’hui et plus rayonnant qu’hier, il ne suffit pas d’y rêver mais encore faudrait-il se donner les moyens de ses rêves (1) ! Certaines personnes sont plus entreprenantes que d’autres. Oui, notre « vouloir-vivre » se mesure effectivement à l’aune de notre faculté de faire de notre rêve d’hier et d’aujourd’hui une réalité de plus en plus tangible, au fur et à mesure que nous cheminons vers l’« à-venir ». Faire coïncider l’ordre de nos désirs à l’ordre de la réalité et ce, dans une démarche de construction de soi, n’est-ce pas ce qui donne sens à notre vie? Car la vie est un chantier ouvert. Et notre tonalité vitale est fonction de notre capacité à nous investir dans ce chantier. « Zañahary tsy mitahy ny vaka », nous dit à ce sujet un proverbe malgache (2). Par ailleurs, la vie est une course à la différence. Et si au fil de cette course nous finissons par devenir différents, n’est-ce pas à cause de notre capacité à nous mobiliser dans cette course à la différence? Mais dans la vie, il ne suffit pas seulement d’être persévérant dans la conduite de nos différents projets. Encore faudrait-il savoir inscrire nos projets dans l’ordre normal des choses pour ne pas nous trouver en porte à faux avec l’« ordre du destin » (lahatra ; vintaña ; __________________ (1) Ce proverbe malgache est très éclairant à ce sujet : Malalaka ny doranga, fö izay fanaoko vôdy foaña edy idibahaña (« La plaine est immense, mais on ne peut occuper que la surface de son derrière »). (2) « Dieu n’aide point l’oisif ». C’est l’équivalent du proverbe français : « Aide-toi et le ciel t’aidera ». 4 andro ; anjara ; tendry). C’est ce qu’on appelle communément « être en phase avec sa bonne étoile », et que les Malgaches désignent par des expressions du genre : « ambini-manao », « sasa-draha migödaña » ; « tsara vintaña », « tsara rano nandroaña », « atrefin-Jañahary », « misy riziky ». Mais tout en reconnaissant le caractère irréversible du destin (1), les Malgaches pensent qu’il existe toutefois une certaine marge de manœuvre (très infime, il est vrai) que Dieu nous a laissée pour « re-jouer et déjouer» l’inéluctabilité de ce destin. Dans la vision du monde du Malgache, c’est à ce prix que nous accédons à notre humanité tant il est vrai que nous ne devons pas nous contenter de subir passivement ce destin. Il nous appartient de l’infléchir à notre avantage, dans la mesure de nos moyens. Et si nous sentons que nos moyens sont limités, rien ne nous empêche de faire appel à des personnes mieux ^lacées pour nous accompagner. Grâce à son art divinatoire, le devin-guérisseur (ombiasa ; mpisikidy ; mpanandro, mpitaiza) est donc la « personne ressource » la mieux indiquée si nous voulons « re-jouer » notre destin. Par ses techniques divinatoires, on pense qu’il peut assouplir l’inéluctabilité du destin et y apporter une certaine retouche. Aussi, faut-il l’approcher non seulement pour attirer l’attention bienveillante des divinités pour nous aider à « déjouer le jeu du destin » mais également pour éloigner les mauvais sorts ou masantôko. Autrement dit, le devin-guérisseur n’est pas que le « Diseur des choses cachées », mais il est cette main précieuse qui nous accompagne pour nous aider à « corriger » les données brutes de la nature. Il est à l’image de l’ingéniosité du paysan betsileo pour déjouer le cours normal d’un ruisseau, en faveur d’un versant de colline qu’il veut irriguer (2). Par des rites spécifiques du genre, « mañarimbitaña », « mañala diditry » ou encore « mañala faran’ny löhany », le devin-guérisseur entend ainsi donner au cours normal des choses une certaine inflexion en faveur de son client (3). ______________ (1) Le proverbe suivant insiste sur cette question : « Anjara tsy miölaka » (« Le destin ne souffre d’aucun détour » ; « Le destin ne comporte aucune déviation » ; « Le destin n’infléchit point son trajectoire »). (2) Cf. Lucien LEVY-BRUHL, L’âme primitive, Paris, Félix Alcan, 1927, pp.11 et suiv. (Il s’agit ici de la version numérisée que vous pouvez consulter dans votre bibliothèque numérique du site www.anthropomada.com ). Pour la version papier : L’âme primitive, Paris, PUF, 1963. (3) Cf. Jean François RABEDIMY, Vintaña, andro : un mode de représentation du monde dans l’ancienne société Sakalava du Menabe à Madagascar, Thèse de Doctorat de III° cycle (sous la direction de Jacques LOMBARD), Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1980 5 Dans leur imaginaire collectif, les Malgaches comparent l’art divinatoire par les graines du sikidy ou sikily (1) à un « troisième œil ». Cet œil est différent de l’œil biologique. Celui qui en est pourvu peut voir la continuité de la « chaîne de la vie » qui va du règne minéral au règne animal, en passant par le végétal. Ces trois règnes servent de réceptacle aux forces mystiques et invisibles. C’est ainsi qu’un objet apparemment anodin (une liane entrelacée, un rocher), qu’un endroit sans attrait particulier (une embouchure, un lambeau de forêt) et qu’un animal quelconque (un lézard, un papillon) peuvent devenir un lieu de concentration fulgurante des forces invisibles. Il vous faut donc ce « troisième œil » pour voir l’entrelacement des liens entre ces différents règnes. Et si vous êtes en mesure de voir clairement ces liens si tenus, alors vous êtes très bien placé pour faire face aux aléas de la vie. Car dans une telle posture, vous ne courez pas le risque de recevoir, sans aucune protection, les ondes négatives de la vie. Et si au détour du chemin de la uploads/Litterature/ sikidy-cours-1.pdf
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- Publié le Sep 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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