Mme Simondon Le temps, « père de toutes choses ». Chronos - Kronos In: Annales

Mme Simondon Le temps, « père de toutes choses ». Chronos - Kronos In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 83, numéro 2, 1976. pp. 223-232. Citer ce document / Cite this document : Simondon . Le temps, « père de toutes choses ». Chronos - Kronos. In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 83, numéro 2, 1976. pp. 223-232. doi : 10.3406/abpo.1976.2806 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1976_num_83_2_2806 Le temps, «père de toutes choses» Chronos - Kronos par Mme SIMONDON C'est dans une ode composée en 476 avant J.-C. en l'honneur de Théron d'Agrigente que Pindare nomme le Temps « père de toutes choses », ô itàvTtov rca-cTip (01. II 17). Cette formule, unique dans l'œuvre de Pindare, s'insère dans un ensemble de réflexions sur les vicissitudes de la vie humaine et l'accomplissement inéluc table du destin : « Rien de nos actions justes ou injustes ne peut être anéanti. Le Temps même, père de toutes choses, ne saurait faire qu'elles n'aient pas été accomplies. » Les commentateurs des Odes n'ont pas accordé beaucoup d'attention à cette définition du temps. Certains, comme C. M. Bowra, ont tenté d'expliquer non la formule elle-même, mais l'ensemble des vers 15 à 18 en se référant à la vie de Théron, à l'alternance des succès et des revers de sa carrière de tyran, aux conflits avec Hiéron de Syracuse (1). D'autres, comme J. H. Finley (2), sans distinguer non plus le vers 17, rap portent cette réflexion sur le temps à l'inspiration générale de l'ode, exceptionnelle chez Pindare, puisque la deuxième Olympique est le seul poème, avec trois fragments de thrènes conservés par Platon et Plutarque, à exposer une doctrine de la survie et de la transmigration des âmes, où l'on reconnaît les traits principaux de l'eschatologie orphique. Ces croyances sont généralement attr ibuées au destinataire de l'ode, Théron, plutôt qu'à Pindare lui- même. La ville de Théron, Agrigente, qui fut aussi la ville d'Empé- docle, était un lieu favorable au développement d'une telle inspiration. Revenons à la formule sur le temps. Il faut se garder de lui donner un sens banal puisque toute l'ode paraît contenir un ense ignement ésotérique. Mais son propre contexte ne l'explique pas clairement. Ni les références biographiques, ni le contenu du mythe eschatologique ne permettent de la justifier avec précision. S'agit-il d'un hapax forgé par Pindare ou d'un emprunt à un contexte ou blié ? Si l'on prend les termes à la lettre, on peut dire qu'ils expri ment un sens cosmogonique ou théogonique : Chronos est un dieu, et il engendre toutes choses. C'est donc dans un contexte cosmo gonique qu'il faut essayer de les comprendre. (1) CM. Bowra : Pindar, Oxford 1964. (2) J.-H. Finley : Pindar and Aeschylus 1966. 224 ANNALES DE BRETAGNE f La conception du temps comme origine (àpxh) universelle existe dans plusieurs cosmogonies grecques : celle de Phérécyde de Syros (vie siècle) et deux cosmogonies dites orphiques, exposées et com mentées par des compilateurs pour la plupart tardifs. Phérécyde de Syros : textes nos 1, 2, 3. ■ Phérécyde se situe au début ou au milieu du VIe siècle av. J.-C. Des récits plus ou moins légendaires en font un contemporain des sept Sages, un Maître de Pythagore et, comme ce dernier, un shaman, auteur de prodiges et de miracles. S'il a eu un disciple illustre, lui-même, dit-on, n'a pas eu de maître, mais a tiré sa doctrine de « livres secrets phéniciens » (Suda ; Philon de Byblos ap. Eusèbe P. E. I 10, 50). Le plus intéressant pour notre propos est le témoignage d'Aritote (Met. N 4 1091 b 8) qui cite Phérécyde parmi les théologiens « mixtes », cl \\.z\xz\.y^.ïvo^ tûv 8eoX6ywv, c'est-à- dire « ceux qui ne disent pas tout sous une forme mythique », tu \xx[ p,u5ixûç àrcxvTa Xiyzw, et qui « font du premier créateur la chose la meilleure », tô yevvTÎtrav ttpûtov àpurxov. En effet, parmi les premiers principes que Phérécyde met à l'origine du monde, il y a le Temps, Chronos, à côté de deux figures mythiques, Zas et Chthonié (texte n° 1 Diogène Laerce I 119 et texte n° 2 Damascius Des pre miers principes, 124 b). Le nom de Chronos a intrigué certains historiens de la pensée grecque, qui s'étonnent qu'un théologien ancien ait pu mettre un principe aussi abstrait à l'origine du monde. Par exemple, Wila- mowitz (Kleine Schriften V) et Zeller (Die Philosophie der Grie- chen I). Aussi ont-ils voulu lire Kronos à la place de Chronos, sui vant en cela l'exemple de plus anciens commentateurs de Phéré cyde, mais avec d'autres arguments. Hermias, dans la Satire des Philosophes païens (texte n° 4), transmet le nom de Kronos au lieu de Chronos : « Phérécyde dit que les principes (ou origines) sont Zeus, Chthonié et Kronos, Zeus l'éther, Chthonié la Terre, Kronos le Temps ; l'éther est ce qui agit, la terre ce qui subit, le temps ce dans quoi les choses deviennent ». On remarque que la notion de temps origine est réintroduite dans le commentaire alors que le nom a disparu de la citation. Le même jeu sur les deux noms se retrouve dans les commentaires des cosmogonies orphiques. Wilamowitz et Zeller écartent, eux, le nom et le sens de Chronos- Temps et installent le fils d'Ouranos à une place et dans une fonc tion qu'il n'occupe jamais dans les cosmogonies les plus anciennes. Dans la Théogonie d'Hésiode, Kronos n'est pas un dieu primordial, il n'a pas de fonction cosmogonique ; il apparaît, dans la succession des mythes de souveraineté, comme roi, puis roi détrôné par son propre fils Zeus, et relégué au fond du Tartare (3). Chez Phérécyde, (3) Voir J.-P. Vernant : Métis et tes mythes de souveraineté dans la Revue de de l'Histoire des Religions (Annales du Musée Guimet) III 1971, p. 29-76. ANNALES DE BRETAGNE 225 Kronos est le héros d'un épisode mythique, la lutte contre le serpent Ophioneus, type bien connu de théomachie dans les cosmogonies grecques et orientales (texte n° 5) (4). Nous ne savons pas du tout si Phérécyde a associé lui-même Chronos et Kronos. Car il est impossible de se faire une idée comp lète et unifiée de sa cosmogonie puisque nous ne disposons que de très courts fragments difficiles à raccorder entre eux. Nous admett rons, en suivant la tradition la plus largement attestée, que Phé récyde a mis, à l'origine du monde, le Temps Chronos (5). La citation de Damascius, qui suit Eudème, donc une source antérieure, apporte quelques précisions sur la création du Temps (texte n° 3). Chronos fabrique avec sa semence le feu, le vent (ou l'air ?) et l'eau (la terre existe déjà), et les dépose dans cinq cavités, nuxol, sorte de matrices où se forme une autre génération de dieux. Il faut faire la part de la citation et du commentaire : le mot ■jweûfxa est assez suspect. S'agit-il, comme le pense Kirk, d'une exé gèse stoïcienne introduisant une explication physique (6), ou, comme le suggère West, de la coexistence chez Phérécyde d'une idée mythique (dieux dans les cavernes) et d'une pensée physique plus rationnelle (les éléments contenus dans la semence du dieu sont mélangés dans des proportions diverses) ? (7). Selon la Suda, on donnait à la cosmogonie de Phérécyde le titre de Theokrasia. Ce double aspect de pensée mythique et physique s'accorderait avec le jugement d'Aristote sur Phérécyde, « théologien mixte ». Chronos crée donc les éléments ou des éléments, puis des dieux. Cosmogonie précédant une théogonie, comme chez Hésiode. L'idée du Temps comme père cosmique est en tout cas sans précédent dans les mythes grecs de création. Les cosmogonies orphiques : Rappelons quelques points sur la « question orphique » pour situer ces cosmogonies. Le plus critique des livres consacrés à l'orphisme, « The Arts of Orpheus » (Berkeley, 1941) de I. M. Lin- forth soutient que le mot orphique s'applique dès le VIe siècle jusqu'à 300 à la pratique d'un culte, mais qu'aucune littérature (pomportant hymnes, cosmogonies, théogonies) ne peut être qual ifiée d'orphique avant la période hellénistique. Attitude qui n'a pas été suivie par la plupart des savants jusqu'à ces dernières années et qui a fait l'objet d'un jugement très humoristique de E. R. Dodds (Les Grecs et l'Irrationnel, 1950) : « Depuis 20 ans, dit ce dernier, j'ai perdu beaucoup de science... » Cette tendance hypercritique a été (4) Lutte de Zeus contre Typhée chez Hésiode, de Marduk contre le serpent Tiamat dans le mythe de création babylonien, du dieu de l'orage contre le serpent Illuyanka dans le mythe hittite... (5) C'est ce qu'admettent P.-M. Schuhl, M.-L. West, W. Jaeger... (6) The presocratic Philosophers p. 58. (7) Early greek Philosophy and the Orient 1973. 226 ANNALES DE BRETAGNE renversée assez récemment par la découverte en 1962 d'un papyrus grec à Derveni. Ce papyrus, daté du milieu du IVe siècle av. J.-C. d'après les critères de l'écriture et de l'archéologie (8), contient un commentaire sur un poème cosmogonique attribué à Orphée. De plus, quelques vers d'un autre uploads/Litterature/ simondon-sur-kronos-amp-chronos 1 .pdf

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