Pratiques : linguistique, littérature, didactique Candide : analyse textuelle,

Pratiques : linguistique, littérature, didactique Candide : analyse textuelle, pour une application pédagogique Jean-François Halté, Raymond Michel, André Petitjean Citer ce document / Cite this document : Halté Jean-François, Michel Raymond, Petitjean André. Candide : analyse textuelle, pour une application pédagogique. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°3-4, 1974. pp. 93-128; doi : https://doi.org/10.3406/prati.1974.905 https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1974_num_3_1_905 Fichier pdf généré le 13/07/2018 CANDIDE : analyse textuelle, pour une application pédagogique J. P. HALTE, R. MICHEL, A PETITJEAN AVERTISSEMENT 1. — L'étude de CANDIDE est à la fois en rupture et en continuité avec l'étude du CHAT NOIR d'E. Poe (N1). Nous avons tenté, ici, de préciser et d'approfondir les modèles descriptifs des sém.otiques textuelles utilisés alors, c'est-à-dire, de les rendre plus opératoires et partant plus complexes. Notre seul critère restant celui de la rentabilité, les modèles utilisés doivent rendre compte du plus grand nombre possible d'aspects du récit. Il est de mode aujourd'hui, du côté de la critique littéraire, d'ajouter Marx et Freud à l'appareillage méthodologique. Les études prennent alors souvent la form^ d'un spectacle où l'on voit des « personnages » mimer la « lutte des classes » pendant que d'autres, ou les mêmes, résolvent ou approfondissent leur « complexe d'Œdipe »... Pour notre part, plus modestement, nous avons tenté d'être freudiens en étant attentifs aux jeux du signifiant, à ses ruses, aux multiples discours qui le sous-tendent. Dans cette optique, le terme d' « interprétation » dans le sens qu'il prend dans la TRAUMDEUTUNG peut indexer notre travail. Le CHAT NOIR, pour des raisons que nous avons expliquées alors, avait une dimension formaliste certaine et éludait le rapport du texte à l'histoire. L'étude de CANDIDE, par contre, tente de montrer que le texte de Voltaire est en relation avec les conflits historiques de son époque. Cette relation n'est pas une simple détermination : l'articu:aJon de CAND.DE aux autres textes par arpport auxquels il fonctionne et -ou disfonctionne, la médiatise. C'est ce phénomène - reflet de la surdétermination du tex:e vo.'tairien par l'histoire - qui explique pourquoi les structures narratives se manifesLent dans des contenus axiologiques précis, historiquement nécessaires. 2. — Le marché de l'édition et de la critique littéraire est aujourd'hui envahi par une multitude de théories, les unes plus « modélisantes » que les autres. Elles ont en commun de rester, peu ou prou, au seul stade théorique et d'éviter la confrontation de leurs « concepts » à des textes précis, permettant ainsi à la critique « traditionnelle » (universitaire par excellence, et c'est elle qui forme les enseignants !) de continuer son « ronron » tranquillisant. C'est pourquoi nous avons pratiqué une étude serrée du texte de CANDIDE, à l'écoute de la polyphonie du sens. On a tenté, simultanément, de formaliser les résultats de notre lecture et d'approfondir notre connaissance des structures narratives. Cette étude a un double intérêt : 1) elle fournit un matériel abondant qu'il est possible d'utiliser pédagogiquement : nous en donnons un exemple à la fin de l'article pour les classes de 1™ et de 4* ; 2) elle permet l'acquisition d'un certain nombre de concepts et d'une théorie qui devrait rendre compte, non seulement de CANDIDE, mais aussi de nombreux autres récits. N 1 : Cf PRATIQUES n° 1-2 (mars 1974). 93 PRÉLIMINAIRES MÉTHODOLOGIQUES I. — Comment lire ? Une des caractéristiques des études sémiotiques du récit est de s'affronter à des textes courts. Lorsque l'opérateur de la description rencontre un systagme narratif relativement long, il lui est nécessaire de le réduire sous la forme canonique d'énoncés narratifs comportant un nombre limité de fonctions. L'avantage de ce type d'étude est indéniable : 1) il permet à la théorie de la narrativité de vérifier dans le concret des textes la cohérence et la rentabilité de ses modèles ; 2) il permet, derrière l'apparente désorganisation du discours, le foisonnement des signes qui cons.i tuent une œuvre, de dégager une st/ucture profonde (Gl et une logique du récit. A la demande de nombreux lecteurs, nous avons décidé de clore notre travail par une sorte d'aide ïecture regroupant les explications des concepts utilisés dans l'étude du conte. Il est évident qu'extraire un concept du contexte théorique dans lequel il se trouve implique une simplification, voire une shématisation nécessaire. Si nous avons voulu ainsi faciliter la lecture de notre analyse, le gHossa're reste une invitation à lire, travailler ces textes théoriques et non un alibi pour les éviter. 3) il permet la constitution d'une typologie des récits quel que soit le mode de leur manifestation figurative. Toutefois, ce genre d'étude rend compte d'une façon privilégiée et presque nécessaire, des problèmes du contenu en réduisant trop souvent ce dernier à un texte mono-isotope ; ce faisant, on « oublie » qu'un texte est poSy-isotope (G2) tant au niveau du contenu que da I ex pression (G3). Si bien qu'à force de vouloir conforter un modèle, on finit par ne plus voir que ce que l'on cherche, et constituer ainsi une nouvelle rhétorique, armée de toute sa rigueur scientiste, bonne conscience du néopositivisme. Tâche dangereuse, car elle autorise le gommage de l'Histoire et, comme dit R. Barthes : « tâche épuisante et finalement indésirable, car le texte y perd sa différence » (N2). Ces principes nous ont déterminés à utiliser les modèles narratifs tout en lisant le conte pas à pas, dans son « épaisseur », sans prétention à l'épuisement du sens. A la recherche d'une lecture « optimale » de l'œuvre, nous avons divisé le texte en lexies (N3), unités de lecture de taille variable à l'intérieur de séquences. II. — Principes et découpage en séquences, ll-l. — Des critères de syntaxe narrative. Dans DU SENS, Greimas définit l'armature du récit (G4). L3 découpage de CANDIDE selon les deux catégories de contenu topique vs contenu corrélé et contenu posé vs contenu inversé, s'établit comme suit : 1) les contenus corrélés. Le contenu corrélé initial débute par le syntagme II y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronck, un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces... (p. 142 : I) (N4). La répétition quasi littérale de ce syntagme au dernier chapitre ouvre le corrélé final II y avait dans le voisinage, un derviche très fameux qui passait pour le meilleur philosophe de la Turquie... (p. 242 : XXX). N 2 : Cf R. Barthes, « S/Z » p. 9. N 3 : « Le signifiant tuteur sera découpé en une suite de courts fragments contigus, qu'on appellera ici des lexies, puisque ce sont des unités de lecture » Barthes, « S/Z » p. 20. N 4 : Les chapitres seront notés en chiffres romains et les pages en chiffres arabes. Ouvrage de référence : Livre de Poche n° 657-658. 94 Un jour, Cunégonde, en se promenant... (p. 145 : I) marque la fermeture du contenu corrélé initial, alors que le corrélé final s'achève avec le conte. On postulera que le contenu initial corrélé est inversé et que le contenu corrélé final est posé. 2) le contenu topique. Il occupe tout l'espace compris entre les contenus corrélés. Il s'articule autour du chapitre XVIII et plus précisément autour du syntagme suivant Si nous restons Ici, nous n'y serons que comme les autres ; au lieu que si nous retournons dans notre monde seulement avec douze moutons chargés de cailloux d'Eldorado, nous serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n'aurons plus d'inquisiteurs à craindre, et nous pourrons aisément reprendre Mlle Cunégonde... (p. 195). Comme nous le verrons, ce syntagme est déterminant, car il marque, pour Candide, la fin de l'aliénation et la tentative de réintégration (G5). ' On postulera que de I à XVII-XVIII le contenu topique est inversé et que de XVII-XVIII à XXX, le contenu topique est posé (N5). On schématise comme suit l'armature du récit. CANDIDE CONTENU SEQUENCES NARRATIVES Contenu inversé contenu corrélé initiale « II y avait... » I contenu topique « Un jour... » I Contenu posé contenu topique XVII XVIII XXX contenu corrélé finale « II y avait... » XXX II-2 Une loi structurelle de CANDIDE. On peut découper le contenu topique en plusieurs séquences narratives (N6). Ce découpage, uniquement pragmatique, se fonde sur un principe structurel de surface propre au conte que nous étudions. Les relations entre acteurs sont prises en charge par la catégorie sémique (G6). Jonction articulée en deux sèmes conjonction opposé à disjonction (soit : A vs V). S Gonction) si vs s2 Candide A acteurs V Candide Les acteurs retenus par ce découpage en séquences devront comporter les traits minimaux suivants : 1) posséder les sèmes : individualité, animé, humain ; 2) être présents soit dans le corrélé initial, soit dans le corrélé final. La catégorie Jonction se manifestera sous la forme d'une conjonction/disjonction, totale ou partielle, ou encore, sous la forme d'une adjonction d'acteurs nouveaux. Ces critères permettent de découper le texte en 16 séquences : N 5 : Ce découpage est une hypothèse déductive de travail dont le seul mérite est d'être opératoire dans CANDIDE. N 6 uploads/Litterature/ candide-analyse-textuelle-pour-une-application-pedagogique-premiere-partie.pdf

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