LE CATALOGUE DE L'ÉDITEUR, UN OUTIL POUR L'HISTOIRE L'exemple des éditions de m

LE CATALOGUE DE L'ÉDITEUR, UN OUTIL POUR L'HISTOIRE L'exemple des éditions de minuit Anne Simonin Presses de Sciences Po | Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2004/1 - no 81 pages 119 à 129 ISSN 0294-1759 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2004-1-page-119.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Simonin Anne, « Le catalogue de l'éditeur, un outil pour l'histoire » L'exemple des éditions de minuit, Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2004/1 no 81, p. 119-129. DOI : 10.3917/ving.081.0119 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.1.128.130 - 06/11/2012 11h48. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.1.128.130 - 06/11/2012 11h48. © Presses de Sciences Po 119 Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 81, janvier-mars 2004, p. 119-129. ARCHIVES LE CATALOGUE DE L’ÉDITEUR, UN OUTIL POUR L’HISTOIRE L’EXEMPLE DES ÉDITIONS DE MINUIT Anne Simonin Pour le lecteur, le catalogue qu’offre une maison d’édition se borne à recenser l’ensemble des titres publiés. Cette vision commode est pour le moins rapide. Car les éditeurs parfois omettent des livres qu’ils jugent peu flatteurs et ne précisent jamais les livres refusés ou avortés. En matière de catalogues, plus que jamais le pluriel s’im- pose – d’autant que cette pluralité des cata- logues à naître permettra d’affiner la connaissance des pratiques culturelles. e catalogue d’un éditeur est un objet apparemment anodin. Il est aujour- d’hui presque impossible de dater avec certitude l’apparition en France de cette mince plaquette. Est-ce, comme le suggère Nicole Felkay, aux alentours de 1820 que succèdent aux annonces insérées à la fin des livres, des prospectus « envoyés régulièrement aux correspondants des li- braires ou confiés aux voyageurs de com- merce avec tâche de vanter les livres comme ils le font pour d’autres pro- duits 1 » ? Ou plus tôt, dès la fin du 18e siècle, comme le pense Jean-Domi- nique Mellot qui a retrouvé dans le fonds de la veuve Machuel des catalogues ma- nuscrits de livres contrefaits et interdits remis aux libraires forains qui doivent les brûler à la première alerte 2 ? Le catalogue de l’éditeur tel que nous le connaissons se présente comme la recen- sion de l’ensemble des livres disponibles publiés par la maison d’édition. Il a donc apparemment une visée uniquement com- merciale, présentant la liste de tous les titres qu’un acheteur peut se procurer auprès d’un libraire à un moment donné. À côté de ce catalogue, annuellement mis à jour, les éditeurs choisissent souvent de marquer certaines dates symboliques par la publication d’un livre catalogue rassem- blant, non plus seulement les ouvrages dis- ponibles, mais l’ensemble des livres publiés depuis la fondation de leur entreprise. Christian Bourgois et José Corti en 1988, Gallimard en 1991, Le Seuil en 1998, ont publié ce catalogue général qui est un ca- talogue de fonds d’éditeur. Ce livre des livres prend en compte une dimension es- sentielle de l’activité éditoriale, la durée, dessinant sur le long terme un portrait de l’éditeur parfois surprenant, dans la mesure où il révèle la publication de livres, d’auteurs, de collections auxquels on ne s’attendait pas. Comparer la liste des collections publiée par Gallimard dans son catalogue du quatre-vingtième anniversaire de la fonda- tion de la maison et celle reconstituée par André Dalmas et publiée dans la revue 1. Nicole Felkay, Balzac et ses éditeurs 1822-1837. Essai sur la librairie romantique, Paris, Promodis-Cercle de la Li- brairie, 1987, p. 61-63. 2. Jean-Dominique Mellot, « La librairie française au 18e siècle », exposé au séminaire de Jean-Yves Mollier, uni- versité de Saint-Quentin en Yvelines, 1984. L Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.1.128.130 - 06/11/2012 11h48. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.1.128.130 - 06/11/2012 11h48. © Presses de Sciences Po Anne Simonin 120 Commerce est une expérience suggestive. Les deux listes ne sont pas identiques : ni la collection « Cinéma romanesque » (1928), ni la collection « Du Bonheur » (1939), repérées par Dalmas 1, ne semblent avoir laissé de trace dans l’histoire officielle de la maison qui est la « banque centrale » de la littérature française (Philippe Sollers), celle dont le prestige littéraire, tant national qu’international, demeure, aujourd’hui en- core, inégalé. Signaler les manques, re- pérer les oublis dans le catalogue de fonds, pourtant présenté comme exhaustif, c’est reconnaître que le catalogue qui intéresse l’histoire de l’édition ne s’identifie avec aucun des objets offerts habituellement sous ce nom. C’est un objet construit qui impose une autre vision de l’éditeur que celle généralement admise. Un éditeur peut être considéré comme un intermédiaire culturel d’un genre parti- culier, un entrepreneur culturel, un « homme double » ainsi que l’entend Chris- tophe Charles 2 ; dans la perspective d’une histoire de l’édition pensée à partir du ca- talogue, l’éditeur est d’abord un individu qui publie un certain type de livres. Autre- ment dit, le catalogue est un instrument dont l’intérêt n’apparaît pleinement que dans le cadre de microstructures édito- riales, où un nombre réduit d’individus, quand ce n’est pas un seul, opèrent des choix éditoriaux d’une grande cohérence tant sur le plan littéraire que politique.  LE CATALOGUE : UNE PRATIQUE ÉDITORIALE SINGULIÈRE On ne sera pas particulièrement surpris de rencontrer les Surréalistes à l’origine d’une pratique du catalogue qui dépasse la simple mission informative d’un éventuel public pour devenir une véritable « pré- sentation de soi » de la maison d’édition, de l’image qu’elle tient à donner d’elle- même et de ses orientations. Le premier catalogue des Éditions surréa- listes (1930-1938) est réalisé, en 1931, par le libraire José Corti. À chacun des douze por- traits rassemblés dans cette brochure, cor- respond une page où apparaît le nom de l’auteur, suivi d’une liste de livres mention- nant l’éditeur et le prix. Des extraits de presse ou de critiques complètent certaines bibliographies et, imprimée en caractère gras, une autre revue de presse, relative au surréalisme des années 1925 à 1931, court à travers les pages consacrées aux auteurs. Ce véritable objet d’art, conçu par Éluard, Max Ernst et André Breton et conservé à la ré- serve de la Bibliothèque nationale, est resté célèbre pour ses deux dernières pages, qui, sous le titre « Lisez/Ne lisez pas » prescrivent ou interdisent certains auteurs (et non pas tel ou tel livre). « À lire » parmi les auteurs allemands : Hegel, Fichte, Marx et Engels. « À ne pas lire » : Kraft-Ebbing, Schiller, Hoff- mann. En quoi cet objet catalogue est-il da- vantage qu’une curiosité ? Ainsi que l’écrit Georges Sebbag, « d’une part [ce catalogue] participe à la campagne de lancement des Éditions Surréalistes et permet de souder le groupe » : on ne mentionne pas les œuvres de Robert Desnos en rupture, alors que l’on tient le plus grand compte de Tristan Tzara avec qui les Surréalistes viennent de se réconcilier ; d’autre part, le catalogue « marque l’exigence d’un label surréaliste, li- mitant nécessairement l’étendue des édi- tions surréalistes. Objet surréaliste, théo- rique et visible, le catalogue est un exemple d’édition surréaliste » 3. Un catalogue, s’il n’est pas chez tous les éditeurs aussi abso- lument œuvre d’art, revêt toujours un enjeu d’image. 1. André Dalmas, « Treize prolégomènes à un discours sur la NRF », Le Nouveau Commerce, 47-48, printemps 1980, p. 33-57 et « Les collections de la NRF », ibid, p. 58-59. 2. « Ils sont à la fois des représentants (au sens politique) du social au sein de la sphère culturelle et inversement des représentants de la culture vis-à-vis de la société globale. Ils sont donc à la fois indispensables, incontournables […] et peuvent toujours être remis en cause comme superflus et ar- tificiels […]. », in Christophe Charle, « Le temps des hommes doubles », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 39-1, janvier-mars 1992, p. 75. 3. Georges Sebbag, Les Éditions surréalistes 1926-1968, Paris, IMEC Éditions, 1993, p. 199-200. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.1.128.130 - 06/11/2012 11h48. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.1.128.130 - 06/11/2012 11h48. © Presses de Sciences Po Le catalogue de l’éditeur, un outil pour l’histoire 121 Un catalogue n’est pas un livre clos, mais un livre ouvert qui, sur le long terme, s’en- richit sans cesse de nouvelles œuvres, mais aussi s’épure, dans le mouvement qui conduit un éditeur à ne pas réimprimer certains titres, alors même qu’il en main- tient d’autres, pas uploads/Litterature/ simonin-anne-le-catalogue-de-l-x27-editeur-un-outil-pour-l-x27-histoire-pdf.pdf

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