DU MÊME AUTEUR AUX MÊMES ÉDITIONS Introduction à la littérature fantastique (co

DU MÊME AUTEUR AUX MÊMES ÉDITIONS Introduction à la littérature fantastique (coll. Poétique et coll. Points) Poétique de la prose (coll. Poétique) Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage (avec O. Ducrot) Poétique (coll. Points) Théories du symbole (coll. Poétique) Les Genres du discours (coll. Poétique) CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS Littérature et Signification (Larousse) Grammaire du Décaméron (Mouton) CE LIVRE EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION POÉTIQUE DIRIGÉE PAR GÉRARD GENETTE ET TZVETAN TODOROV ISBN 978-2-02-133897-3 © Éditions du Seuil, 1978. Cet ouvrage a été numérisé en partenariat avec le Centre National du Livre. Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Il est aussi mortel pour l’esprit d’avoir un système que de n’en point avoir. Il doit donc bien se décider à réunir les deux. Friedrich Schlegel TABLE DES MATIÈRES Du même auteur Copyright Le symbolisme linguistique 1 - La symbolique du langage La décision d’interpréter Le rôle de la structure linguistique La hiérarchie des sens La direction de l’évocation La structure logique Indétermination du sens ? Bibliographie sommaire 1. Quelques ouvrages historiques 2. Quelques études théoriques 2 - Les stratégies de l’interprétation Une interprétation finaliste : l’exégèse patristique L’enclenchement de l’interprétation Le choix des segments interprétables Les motivations ; les concordances Sens nouveau ou sens ancien ? La doctrine des quatre sens Des fonctions propres au symbolique Quels jugements sur le symbolique ? Une interprétation opérationnelle : l’exégèse philologique L’alternative foi ou raison Le projet philologique : la science des sens Sur l’évolution de la philologie Une critique de la philologie : Schleiermacher Quelques conclusions historiques et typologiques Index des noms d’auteurs Le symbolisme linguistique 1 LANGUE, DISCOURS La distinction entre langue et discours apparaît facilement aux yeux de quiconque réfléchit sur la nature du langage. La langue existe en abstraction avec, comme éléments de départ, un lexique et des règles de grammaire, et comme produit final, des phrases. Le discours est une manifestation concrète de la langue, et il se produit nécessairement dans un contexte particulier, où entrent en ligne de compte non seulement les éléments linguistiques mais aussi les circonstances de leur production : interlocuteurs, temps et lieu, rapports existant entre ces éléments extralinguistiques. On n’a plus affaire à des phrases, mais à des phrases énoncées, ou, plus brièvement, à des énoncés. Un (petit) pas de plus consiste à supposer que la signification — en donnant à ce terme son acception la plus large — ne surgit pas de la même façon en langue et en discours, dans les phrases et dans les énoncés, mais qu’elle y prend des formes nettement différentes — à tel point différentes qu’elles mériteraient des noms distincts. Beauzée opposait ainsi signification (pour la langue) et sens (pour le discours), Benveniste, plus récemment, parlait de signifiance et sens. La signification de la phrase subit un double processus de détermination lors de sa transformation en sens de l’énoncé : elle perd de son ambiguïté et ses références au contexte se particularisent. La phrase « Jean sera ici dans deux heures » a bien une signification dans la langue, compréhensible à tout sujet parlant français ; c’est cette signification qu’on peut traduire en d’autres langues, sans qu’aucune information supplémentaire soit nécessaire. Mais dès lors que cette phrase devient un énoncé, elle commence à se référer à une personne, à un temps, à un lieu, qui peuvent ne pas être les mêmes lors d’une autre énonciation de la même phrase. De même, les mots et les propositions acquièrent, au sein d’un discours, un sens plus particulier que celui qu’ils ont en langue ; ainsi ai-je pu, un peu plus haut, parler du « sens » au sens de Beauzée ou de Benveniste. Quelques aphorismes célèbres peuvent aider à rappeler l’ancienneté de l’opposition entre « signification » (ou « signifiance ») et « sens », en même temps qu’à la préciser. Alexander Pope écrivait : « J’admets qu’un lexicographe pourrait peut-être connaître le sens du mot en lui-même, mais non le sens de deux mots reliés. » Et Cicéron, bien longtemps avant lui : « Les mots ont une première valeur pris isolément, une seconde unis à d’autres. Pris isolément, il faut les bien choisir ; unis à d’autres, les bien placer. » Et Montaigne : « J’ay un dictionnaire tout à part moy. » Ces trois citations concernent une même distinction, à première vue semblable à celle qui nous préoccupe ici : les mots sont envisagés isolément ou en groupe. Cela est affirmé par les deux premiers textes, et impliqué par le troisième : il existe bien un dictionnaire commun, mais les mots qui le composent prennent des valeurs spécifiques au sein d’un discours individuel. Cicéron ajoute à cela une observation touchant le processus psychique de production : sur le plan du vocabulaire, l’opération dominante est la sélection d’entités lexicales ; dans les phrases, leur combinaison. La formule de Montaigne est évidemment paradoxale : si son dictionnaire était, comme il le prétend, entièrement individuel, coupé de celui des autres usagers de la langue, comment pourrait-il nous communiquer cette information même ? Mais on voit bien que seule l’expression de la pensée est paradoxale, faute de deux termes désignant la signification, l’un dans la langue, l’autre, dans le discours. Mais, au-delà de ces nuances entre nos trois auteurs se dessine aussi clairement leur unité : on voit bien que la distinction par eux visée est seulement apparentée à celle entre langue et discours, sans la recouvrir exactement, et cette non-coïncidence caractérise bien une certaine conception classique du langage. Pour tous les auteurs, la frontière importante passe entre mots et phrases, non entre langue et discours ; ou, si l’on préfère, la langue se trouve réduite aux mots (de même pour Saussure il n’y aura pas de phrases dans la « langue »). Pour nous, les mots et les phrases s’opposent en bloc aux énoncés. SENS DIRECT ET INDIRECT Tout cela relève un peu de l’évidence ; mais il était nécessaire de le rappeler avant d’aborder mon objet propre. A savoir, qu’on peut utiliser et interpréter chaque énoncé d’une façon tout autre. Plutôt que de vouloir dire : Jean sera ici dans deux heures (quels que soient Jean, l’ici et le maintenant), je peux formuler le même énoncé pour transmettre une tout autre information, par exemple : « Nous devons quitter ce lieu d’ici là. » Une telle interprétation n’est possible que lors d’une énonciation particulière et dans un contexte concret ; nous restons donc dans le domaine du discours et des énoncés. Mais alors que le « sens » propre au discours et discuté plus haut mériterait le nom de direct, celui-ci est un sens discursif indirect qui se greffe sur le précédent. C’est au champ des sens indirects que je réserve aussi le nom de symbolisme linguistique, et à leur étude, de symbolique du langage. Et que le préfixe négatif dans « indirect » ne fasse pas penser à un phénomène marginal, appendice sporadique du sens direct : la production indirecte de sens est présente dans tous les discours, et probablement domine-t-elle entièrement certains d’entre eux, et pas des moins importants : ainsi la conversation quotidienne ou la littérature. Pour trouver dans le passé une réflexion à la fois globale et nuancée sur les problèmes de l’usage indirect du langage, on doit sortir du cadre de référence occidental, et se tourner vers la tradition indienne (sous le patronage de laquelle j’aurais aimé placer les pages qui suivent). Quelque part au XIIe siècle, le poéticien sanscrit Mammaṭa (Kāvyaprakāśa) résume ainsi les idées courantes en son temps — suscitées par l’ouvrage fondamental d’Ānandavardhana, sans doute le plus grand théoricien du symbolisme textuel. Il distingue sept différences entre l’expression directe et la suggestion indirecte : 1. Différence dans la nature de l’assertion : l’exprimé, par exemple, prohibe ou nie, tandis que le suggéré ordonnera ou affirmera. 2. Différence de temps : le suggéré est appréhendé après l’exprimé. 3. Différence de support linguistique : l’exprimé émane des mots, le suggéré peut naître d’un son, d’une phrase ou d’un ouvrage entier. 4. Différence de moyens d’appréhension : l’exprimé est compris grâce aux règles grammaticales, le suggéré requiert, en outre, un contexte : circonstances spatio-temporelles, interlocuteur, etc. 5. Différence d’effet : l’exprimé apporte une perception cognitive pure et simple ; le suggéré produit aussi du charme. 6. Différence de nombre : l’exprimé est univoque ; le suggéré peut être plurivoque. 7. Différence dans la personne interpellée : le sens exprimé peut très bien s’adresser à un personnage, le sens suggéré à un autre. Ces différences ne se situent pas toutes, pour nous, sur le même plan. L’une d’entre elles (différence 4) concerne non l’opposition entre évocation directe et évocation indirecte, mais celle entre langue et discours : tout discours, qu’il soit ou non suggestif, implique une référence au contexte d’énonciation. D’autres sont de simples spécifications de la différence de principe expression-suggestion : l’interlocuteur peut ne pas être identique (7), non plus que l’assertion (1). Une autre encore concerne l’effet produit par l’énoncé, et non sa structure (5). Mais les trois uploads/Litterature/ symbolisme-et-interpretation-todorov-tzvetan.pdf

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