12/3/2019 Télémaque au cœur de la « méthode » Jacotot https://journals.openedit

12/3/2019 Télémaque au cœur de la « méthode » Jacotot https://journals.openedition.org/dhfles/1608#tocto1n3 1/11 Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde 30 | 2003 : Les Aventures de Télémaque. Trois siècles d'enseignement du français. I. Première partie. Télémaque: la pédagogie, la langue et le style L'enseignement des langues Télémaque au cœur de la « méthode » Jacotot JAVIER SUSO LÓPEZ Abstracts Français English Cet article analyse les raisons pour lesquelles Télémaque a été choisi par J. Jacotot comme ouvrage de base pour servir à son système (ou méthode) d’apprentissage des langues étrangères. Il dresse aussi un bref exposé des principes pédagogiques et philosophiques de la méthode Jacotot, nécessaires pour comprendre la place accordée à Télémaque dans son système, et examine enfin les procédés concrets qui sont proposés. This article analyses the reasons why Telemachus was chosen by J. Jacotot to be used as a basis for his « method » for learning foreign languages. The pedagogical and philosophical principles of this method are discussed here in as much as they explain the role assigned to Telemachus in Jacotot’s system. Eventually, the particular approach and procedures put forward by this method are examined. Index terms Index de mots-clés : apprentissage du français, méthode Jacotot, enseignement universel, Jacotot(Joseph) Index by keyword : learning of the French language, Jacotot system, universal education, Jacotot(Joseph) 12/3/2019 Télémaque au cœur de la « méthode » Jacotot https://journals.openedition.org/dhfles/1608#tocto1n3 2/11 Full text 1. La « méthode » Jacotot : fondements philosophiques et pédagogiques Jacotot, doté d’une culture encyclopédique et familiarisé avec tous les genres de savoir, était devenu une espèce d’homme-orchestre des enseignements de haut niveau. Dès lors, il était sollicité partout où se créait une chaire nouvelle (Garcia 1997 : 10-11). L’approche du phénomène Jacotot laisse perplexe tout lecteur non averti : jamais une école pédagogique, une manière de faire, n’avait suscité de tels espoirs parmi les populations désireuses d’accéder au savoir et à la culture. L’époque y est pour quelque chose : les guerres napoléoniennes finies, restent en place tous les principes de l’Encyclopédie et de la Révolution française, la croyance dans l’égalité des hommes, dans la fraternité, dans la liberté ; les charges héréditaires et le système féodal de classes abolis, les espoirs d’une révolution dans le destin personnel s’ouvraient à chaque homme ou femme puisque le mérite personnel devait devenir le nouvel étalon qui juge toute personne à sa juste valeur. 1 Jacotot croyait fermement à ces principes révolutionnaires : il les pratiquait en outre, et voulait en faire bénéficier le plus grand nombre. Il est intéressant ainsi de connaître l’« homme »1. Né à Dijon en 1770, de milieu modeste, « surdoué précoce », avocat à 19 ans (en 1789), activiste révolutionnaire, professeur à Dijon successivement de Logique, de Latin, de Mathématiques, docteur ès sciences (1809), il déploie une activité sans égale en faveur de l’instruction de la jeunesse : 2 Une fois l’aventure napoléonienne terminée, élu député, et ayant combattu fermement la restauration des Bourbons, Jacotot doit s’exiler en Belgique (1815), où il est réduit à gagner sa vie en donnant des leçons particulières. Après plusieurs refus, il obtient un poste de lecteur de langue française à l’université catholique de Louvain (en 1818). Il ne parle pas un mot de hollandais, et la plupart de ses élèves ne parlent pas un mot de français. En quelques mois, il réussit à faire apprendre le français à ses élèves. Il donne des conférences qui remplissent les salles. Son système commence à se répandre, certains de ses élèves devenant des disciples. Des pédagogues accourent pour voir de leurs propres yeux ce à quoi ils n’osent croire. Il étend sa méthode à n’importe quelle matière (le droit, la géographie, la musique, les mathématiques...). Ces années d’épreuves vont forger son caractère ; Missinne trace ainsi son portrait : « il était un homme tenace, quelqu’un d’intransigeant et d’obstiné, avec beaucoup d’enthousiasme et peu de tact, vivant un peu à l’écart, sans se soucier d’argent ou d’honneurs. Dans ses lettres, il écrivait toujours, en guise de conclusion : “Je vous recommande surtout les pauvres” » (in Van Daele 1974 : 498). 3 Jacotot est soutenu par une ferveur publique grandissante. Une nouvelle révolution s’annonce, celle des méthodes d’enseignement. Le moment est propice : en France, les libéraux, qui viennent de remporter un succès aux élections de novembre 1827, s’intéressent à la méthode Jacotot : une commission ministérielle est créée en France pour analyser le bien-fondé de ses propositions. Si son idée était vraie ? à savoir que nous avons tous une intelligence foncièrement identique, qui nous rend capables, à tous, hommes et femmes, de tout apprendre par nous-mêmes, pourvu que quelqu’un s’y prenne bien et nous guide de façon minimale ? Qui plus est, n’importe qui peut devenir « instructeur », « maître » ! L’enseignement universel devient une nouvelle panacée pour les pauvres : par cette méthode ils réussiront à acquérir ce savoir si longtemps réservé aux riches. L’essor formidable de sa méthode à la fin des années 1820 et au début des années 18302 est accompagné de débats non moins envenimés, et des voix contre son système s’élèvent 4 12/3/2019 Télémaque au cœur de la « méthode » Jacotot https://journals.openedition.org/dhfles/1608#tocto1n3 3/11 Être émancipé, c’est n’être plus asservi au joug funeste des explications, ni au préjugé si flétrissant de l’inégalité intellectuelle ; c’est comprendre la valeur de son âme, sa puissance et son aptitude à tous les genres d’études [...] C’est posséder la conviction qu’il n’est aucune limite posée par la nature à nos acquisitions intellectuelles, ni à notre amélioration [...] Tel est le but de l’émancipation intellectuelle et de l’enseignement universel, que l’on détériore, si on ne l’emploie que comme un moyen d’étudier, de savoir, et non pas de créer et de faire soi-même (Deshoullières, in Levasseur 1834 : Préface). La méthode d’Émancipation intellectuelle a pour principe et pour but l’étude et la connaissance par soi-même. Puisque nos idées et nos sensations sont tout intérieures, puisque nous voyons tout en nous, c’est en nous-même que nous devons perpétuellement étudier […]. Cette méthode n’est autre que l’application universalisée de la Méthode d’observation, qui nous a donné toutes nos connaissances positives, qui a épuré et fécondé toutes les sciences modernes (Guillard 1860 : 18). aussi : et si c’était une fantastique opération de marketing, un marché de dupes colossal où venaient se faire berner des petites gens crédules et bien intentionnées ? Aussitôt après la révolution de 1830, Jacotot rentre en France, mais quand le maître disparaît (en 1838), ses disciples, nombreux, et même ses fils (Henri-Victor, médecin, et Honoré, avocat) ne sont plus capables de tenir le cap : certains avaient profité de l’image de marque pour vendre des ouvrages bien éloignés de l’esprit original ; d’autres disciples, convaincus du besoin d’une flexibilisation des pratiques, s’étaient éloignés de l’école et n’étaient plus reconnus comme membres de la « société » ; l’ « école » Jacotot se replie sur elle-même, pour se défendre des critiques et des railleries de plus en plus féroces ; la plupart des écoles et des institutions se réclamant de son système disparaissent le long des années quarante. Nous n’avons point ici la place de faire l’analyse (même succincte) des idées pédagogiques de Jacotot3 ; nous allons juste dresser un bref exposé des principes de sa méthode, puis nous montrerons pourquoi il a choisi Télémaque comme manuel pour l’enseignement de la langue étrangère ; nous examinerons finalement les procédés concrets qui y sont proposés. 5 Dans une formulation courte, sous forme de principes ou d’« axiomes », les conceptions pédagogiques de Jacotot ne peuvent que surprendre : « L’intelligence est égale chez tous les hommes. C’est le lien commun de l’espèce humaine » (Jacotot 1830 : 31) ; « je crois que Dieu a créé l’âme humaine capable de s’instruire seule et sans maître » (inscription sur sa tombe au cimetière Père-Lachaise) ; « il n’est point nécessaire de savoir la langue que l’élève veut apprendre » ; « tout est dans tout »... Quant à sa méthode, il la résume dans la phrase : « Sachez un livre, rapportez-y tous les autres » (Jacotot 1830 : X). Jacotot propose l’« émancipation intellectuelle » de tout homme, l’enseignement universel sans frais, immédiat, indiquant que n’importe quelle mère de famille peut instruire seule ses enfants... Il était très facile de tourner en ridicule ces principes, et de rejeter les idées de Jacotot au panier des escrocs, des charlatans ou des marchands d’illusions. 6 Cependant, au-delà des formules se cache une pensée pédagogique qui s’inscrit dans une longue tradition philosophique. Jacotot ne prétend pas seulement, ou principalement, faire acquérir une série de connaissances aux élèves : connaissances (lecture, géographie, musique, langues, etc.) en tout cas nécessaires. Il prétend à quelque chose de plus radical : libérer l’esprit des élèves, leur faire croire en eux-mêmes, les rendre sûrs de leurs capacités. C’est ce que Jacotot vise à travers sa formule de l’« émancipation intellectuelle » : 7 C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre des phrases uploads/Litterature/ telemaque-au-coeur-de-la-methode-jacotot 1 .pdf

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