A LA GLOIRE DU GRAND ARCHITECTE DE L’UNIVERS Un aspect du mythe de la Tour de B

A LA GLOIRE DU GRAND ARCHITECTE DE L’UNIVERS Un aspect du mythe de la Tour de Babel : le langage Pierre DRULANG Juillet 6004 Babel : le langage 2 Ce chapitre connu de l’ancien testament a intrigué nombre de lecteurs et provoqué l’édition de nombreux ouvrages. Diverses exégèses ont été avancées concernant le mythe de la Tour de Babel, principalement autour du thème de l’orgueil démesuré de l’homme. Ce ne sera pas notre propos et le sujet de cette planche se veut uniquement circonscrit à un seul thème : le langage. Et encore, l’unique ambition de cette planche est d’essayer de poser correctement la problématique sans vouloir évidemment prétendre à fixer le sens du mythe, dans cet aspect. Nous1 essaierons tout d’abord de nous remettre en mémoire les fondamentaux de l’exégèse biblique et des mythes, puis de décoder les intentions des scripteurs à travers les textes de diverses traditions, pour nous interroger ensuite sur le message à retenir et l’enseignement que l’on peut en tirer. L’exégèse biblique Aucun des textes n’a été écrit par un seul auteur et d’une seule traite. Les textes résultent de compilations orales, d’ajouts, de corrections, de mises à jour et de déplacements dans l’ordre des livres tel que nous le connaissons aujourd’hui. La contradiction et le paradoxe ne sont pas des erreurs mais font partie de l’art littéraire biblique. Il y a des récits à dominante historique, d’autres à dominante symbolique, c’est le cas du chapitre 11 de la Genèse : La Tour de Babel. Le Mythe Décrypter un mythe ou un texte symbolique, c’est comme peler un oignon, aiment à dire les kabbalistes. Après une première couche littérale, en viennent d’autres, plus symboliques, relevant du signifié, et plus loin encore du secret.2 Le mythe est un métalangage dans lequel le signifiant est la matière première, ici la tour et les langues. Au lecteur de chercher le signifié. Ceci implique que le mythe n’a pas de vérité historique, mais une vérité humaine ou transcendantale. Les mythes sont atemporels : ils contiennent le passé, le présent, le futur. Venons en donc à la lecture, très courte, de ce fameux chapitre 11 de la Genèse : (Voir annexes) 1 Pluriel de délibération avec soi-même et non un pluriel de majesté … 2 PARDES : Peshat : sens littéral, Remez : sens allégorique, Derash : herméneutique globale et contextuelle, Sod : sens mystique. Herméneutique : nom féminin (du grec hermeneuein, expliquer) 1. [Théologie chrétienne] Science de la critique et de l'interprétation des textes bibliques. 2. [Philosophie] Théorie de l'interprétation des signes comme éléments symboliques d'une culture. Babel : le langage 3 Examinons maintenant le 1er verset : Et il y a eu toute la terre langue une Et des paroles unes. (Traduction mot à mot de l’hébreu) La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. La Bible de Jérusalem Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. (Bible Online) << Et c’est sur toute la terre: une seule lèvre, d’uniques paroles>> (Chouraqui) L’humanité, dans sa totalité, était d’un seul bord et vivait la même histoire. André Neher Nous remarquons tout de suite qu’il y a un problème linguistique : la traduction. (Au passage, on notera que la langue hébraïque est de forme VSO : i.e. Verbe, Sujet, Objet, alors que les langues latines sont de forme SVO.) Si l’on prend à la lettre ce verset, cela voudrait dire qu’il y avait aux débuts de l’humanité une langue mère universelle. Cette hypothèse n’a pas été vérifiée de nos jours et l’origine des langues reste une énigme : 40 ans de recherches linguistiques n’ont pas permis de découvrir des invariants grammaticaux, morphologiques ou phonologiques qui pourraient prouver qu’il y ait des lois universelles du langage. La première pelure de l’oignon est donc à jeter, la paléo linguistique n’ayant rien à voir avec ce verset, d’autant plus que dans le chapitre précédent où l’on énumère les peuples de la terre, il est dit « tels furent les fils de Japhet, d’après leurs pays et chacun selon sa langue ». Le terme employé est « lashon (pour langue : ˆ/vl;), alors que le premier verset de la Tour de Babel utilise hp;c; (Saphah, lèvre, bord) Il faut donc aller vers le niveau symbolique, la langue n’étant que le signifiant, derrière lequel il faut trouver un signifié. On pourrait imaginer que cette langue unique était la langue sacrée. Mais qu’est-ce qu’une langue sacrée et y en a t-il plusieurs ? Pour les hébreux et plus tard les kabbalistes, c’est évidemment l’hébreu qui est la langue sainte (lashone ha qodèch) parce que les lettres hébraïques possèdent une force créatrice extraordinaire, une énergie telle, qu’elles sont les outils primordiaux de la création.3 Les lettres hébraïques, et par conséquent les mots, ne sont pas des représentations d’une idée ou de quelque chose qui leur préexisterait, mais ce sont des formes sur lesquelles se modèlent les éléments dont le monde est constitué. C’est donc une langue « parfaite » car non seulement elle est le reflet de la structure de l’univers, mais elle coïncide avec lui comme le moule avec l’objet formé. La création du monde est donc un phénomène linguistique ! 3 M.A. Ouaknin Babel : le langage 4 DANTE Alighieri s’intéressera à la langue parfaite, qui est supposée capable de décrire l’intimité primordiale des choses et bien entendu il s’intéressa au mythe de la Tour de Babel. La « forma locutionis » parfaite, celle qui permît la création de langues capables de refléter l’essence même des choses, a disparu. L’essence des choses se situant entre leur être, « modi essendi », et leur représentation signifiante, « modi significandi », et dont l’hébreu adamique était le résultat parfait. Seules sont restées des « forma locutionis » imparfaites, de même que sont imparfaites les langues vulgaires des peuples. Il pensait restaurer la langue édénique par une nouvelle forme : la langue poétique, dont il se voit modestement être le père. Sous-jacent à cette quête de la langue parfaite, se trouve la problématique suivante : le langage est-il le reflet (unique) de la pensée ? L’idée d’une identité entre le langage et la pensée est profondément ancrée dans la culture occidentale, et ce depuis les grecs, où le « logos » désigne à la fois la parole et la pensée ordonnatrice ou raison. Les recherches linguistiques montrent que rien n’est moins sûr, car il existe une pensée sans langage, et le langage n’est qu’une façon parmi d’autres pour la pensée de s’exprimer. C’est même un peu plus compliqué en ce qui concerne l’hébreu biblique car “on ne peut absolument rien comprendre à la pensée hébraïque, et aux textes de la Qabbale en particulier, si on ne retient pas que l’idée ne préexiste pas au langage, mais qu’elle se forme en lui et par lui. La dynamique de la pensée, va de pair avec la dynamique du discours.”4 Il y a création continue. Parler une autre langue change notre façon de voir le monde. Et spécialement l’hébreu ; Quand on regarde la grammaire, il y a principalement 2 temps : l’accompli et l’inaccompli, qui correspondent a peu près au passé et au futur, mais pas exactement. Inaccompli implique qu’on est toujours en train d’être et implique d’aller jusqu’au bout de ses possibilités, de devenir un être accompli ! C’est un regard totalement différent sur le monde et qui implique une éthique et un comportement. C’est ainsi qu’on peut dire qu’une langue façonne la pensée et influe sur notre perception des choses. Et on arrive ainsi à une inversion totale de la question : c’est la pensée qui est le reflet du langage et non l’inverse ! Mais les hébreux ne sont évidemment pas les seuls à penser que c’est eux qui détiennent la langue sacrée. Leibniz pensait que l’allemand est la langue dont les racines pouvaient remonter au plus près de l’Eden. 4 M.A. Ouaknin Babel : le langage 5 Mais il s’est aussi attaqué, comme nombre d’esprits brillants, au projet d’une langue universelle et parfaite. Dans sa « dissertation sur l’art combinatoire », il imagine une langue qui permet de résoudre toutes sortes de problèmes : juridiques, politiques et autres, car elle serait exempte de toute ambiguïté et réglerait ainsi tout problème de traduction. Tout problème formulé dans une langue particulière serait traduit dans une forme calculable, faite de nombres premiers, et pour laquelle il existe toujours un algorithme qui permet de dire si la formule est vraie ou fausse. Son travail sur la « lingua characteristica universalis » se poursuit aujourd’hui par la logique formelle, mais toutes ces tentatives se heurteront toujours à l’absence de contexte culturel, assise nécessaire à toute langue. La tradition islamique n’est pas en reste et elle est même assez riche pour ce qui est du mythe de la tour de Babel. L’historiographe Mas’ûdî rapporte « qu’après le déluge, les hommes étaient réunis en seul endroit, sur les terres de Babel et que leur langue était le syriaque ». (as-sûryâniyyah) Le mot « syriaque » uploads/Litterature/ tour-de-babel.pdf

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