La « typologie Miryam/Marie » dans le Coran : pertinence et davantage Edouard M
La « typologie Miryam/Marie » dans le Coran : pertinence et davantage Edouard M. Gallez Dans un article de 2015, Guillaume Dye avait écrit : “It might be unexpected, but the typology between Mary and Miryam is unusual in ancient Christian literature. Some parallels have been suggested 1, but they do not seem really successful for understanding this surah [s.19 – référence à un article paru en 2012]. What we need to find out is the Christian source of the formula “Mary, sister of Aaron”, and its relation with the Qur’ān.”2 Il serait certes souhaitable de trouver une source évoquant explicitement « Marie, sœur d’Aaron » pour expliquer ces trois passages du Coran : • s.19:28 [à propos de Marie qui est enceinte de Jésus :] “Ô sœur d’Aaron 3, ton père n’était pas un homme indigne, ni ta mère une prostituée” ; • s.66:12 [également à propos de Marie, mère de Jésus :] “Et Maryam, fille de ‘Imrân, qui se garda vierge, en laquelle Nous insufflâmes [un peu] de notre Esprit…” ; • s.3:35-36 [à propos de la grand-mère de Jésus qui consacre sa fille Marie à Dieu :] “Quand la femme de ‘Imrân dit : Seigneur ! Oui, je voue à Toi ce qui [est] dans mon ventre muharrar4 ; accepte-le de moi ! Oui, Tu es Celui qui entend, l’Omniscient. Quand elle eut mis [sa fille au monde], elle s’écria : … Je la nomme Maryam”. Dans la littérature chrétienne ? Mais c’est pour une autre raison que G. Dye pensait que “ces parallèles ne semblent pas être vraiment pertinents pour comprendre la sourate”, dans son article de 2012 (“Lieux saints communs, partagés ou confisqués : aux sources de quelques péricopes coraniques” – voir note 7) : « La typologie Miryam/Marie constitue probablement la clef (ou plutôt une partie de la clef) de l’interprétation de la formule « Marie, sœur d’Aaron »5 : en disant que Marie est la sœur d’Aaron et la fille de Imrân, le Coran ne dit pas que Marie, la mère de Jésus, est la sœur et la fille biologique de ces deux personnages, mais il la considère comme étant préfigurée par Miryam, il l’identifie, sous une certaine perspective, à Miryam, qui est bel et bien, quant elle, la sœur et la fille biologique de Imrân… 1 [Note de l’article lui-même :] The most interesting one is Gallez (2004). Gallez, Édouard-Marie (2004), “Le Coran identifie-t-il Marie, mère de Jésus, à Marie, sœur d’Aaron ?”, in Anne-Marie Delcambre & Joseph Bosshard (eds), Enquêtes sur l’islam. En hommage à Antoine Moussali, Paris, Desclée de Brouwer, pp. 139-151. 2 Guillaume Dye (Université libre de Bruxelles, ULB), “The Qur’ān and its Hypertextuality in Light of Redaction Criticism”, in The Sectarian Milieu of Late Antiquity? (Early Islamic Studies Seminar, Milan, 15-19 June 2015). 3 Le terme est bien celui de sœur, et non pas de descendante, comme certains commentateurs musulmans l’ont proposé pour faire disparaître l’incongruité apparente des trois versets (ou au moins des deux premoers). 4 Le terme de muharrar (racine : hrr) n’est pas une reprise du verbe principal nadara, vouer (hébreu nâdar). La racine hrr semble inconnue en arabe mais, selon son sens hébreu (hârar, brûler), elle convient parfaitement ici pour qualifier le « ventre » de la mère de Marie, muharrar, desséché [par les ans]. Celle-ci était en effet âgée et stérile aussi bien selon le Coran (cf. s.19:5) que d’après le Protévangile de Jacques. 5 [Note de l’article lui-même :] É.-M. Gallez, « Le Coran identifie-t-il Marie, mère de Jésus, Marie, sœur d’Aaron ?», dans A.-M. Delcambre et J. Bosshard (éds), Enquêtes sur l’islam. En hommage à Antoine Moussali, Paris, Desclée de Brouwer, 2004, p. 139-151 ; F. van der Velden, « Konvergenz texte syrischer und arabischer Christologie: Stufen der Textentwicklung von Sure 3,33-64 », art. cit., p. 176. 1 On s’attendrait donc, en toute logique, à ce que la typologie Miryam/Marie soit assez développée dans la littérature chrétienne, a fortiori quand on prend en compte l’importance de Miryam dans les sources aggadiques juives. Curieusement, ce n’est pas le cas, même si on trouve quelques références éparses 6… »7. Il est vrai que l’on pourrait s’attendre « à ce que la typologie Miryam/Marie soit assez développée », à moins que celle-ci ait été controversée très tôt, de sorte qu’elle ne se soit précisément pas « développée dans la littérature chrétienne ». La raison de cette controverse a été exposée seulement en 2005 dans Le messie et son prophète (tome I) – elle a échappé ainsi à Guillaume Dye qui, en 2012, s’est appuyé sur l’article de 2004 (voir note 3). En fait la raison de ce non-développement se comprend mieux encore au regard de publications postérieures qui la mettent en contraste avec l’iconographie où, justement, la typologie Miryam/Marie est présente – et cela jusqu’à nos jours ! En effet, une différence notable entre la littérature et l’iconographie, c’est que la première ne transmet plus les images dont le sens n’est plus accepté, tandis que la seconde continuera de le faire par habitude, s’il agit d’images dont le sens premier s’est perdu – si le sens est perdu, il ne peut donc plus être sujet à controverse. C’est le cas ici, et on peut même ajouter que, si le sens de la « typologie Miryam/Marie » a été écarté puis perdu en milieu chrétien, il n’en est pas de même dans des courants détachés du christianisme apostolique (judéo-araméen). Explications. Le passage de la Première aux Corinthiens Repartons du texte le plus ancien que l’on connaisse et qui témoigne de cette typologie : la première lettre aux Corinthiens de Paul, qui est habituellement datée de l’an 57. Dans un passage, il y est question des Hébreux traversant le désert sous la conduite de Moïse, et Paul fait allusion là à un étrange rocher-puits qui les suivait : “Nos pères… ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, tous ont mangé le même aliment spirituel et tous ont bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait : ce rocher, c’était le Christ” (1 Co 10:3-4). Autant dire que ce passage a été doublement déroutant pour la plupart des exégètes occidentaux. Quelle est cette histoire de rocher-puits – une histoire qui présente des caractéristiques de récit populaire – et quel rapport avec Jésus ? D’abord la première question. À l’origine, il s’agit d’une interprétation du passage du livre des Nombres, où Moïse fend le rocher, d’où s’écoula alors l’eau dont a besoin le peuple qui a soif (20, 11). Les descriptions de ce « rocher » miraculeux ne manquent pas dans la littérature rabbinique, par exemple dans la Tosefta qui, écrit Jules Leroy, “rapporte la révélation d’un puits faite à Miriam. Celui-ci suivait les Israélites durant tout leur voyage à travers le désert. Il se plaçait au milieu du camp devant le Tabernacle chaque fois qu’on s’arrêtait pour prendre un repos. Moïse et les anciens sortaient alors de leur tente et chantaient le « Chant du puits ». Alors le puits répandait ses eaux qui divisaient le camp en douze parties. C’est cette scène qui est ici reproduite fidèlement [sur la fresque de la synagogue de Doura Europos].8 6 [Note de l’article lui-même :] R. Le Déaut, « Miryam sœur de Moïse et Marie mère du Messie », Biblica 45, 1964, p. 198-219. Malgré son titre, l’article n’étudie pas la typologie Miryam/Marie, mais plutôt le statut de Miryam dans les sources juives. 7 Dye Guillaume (2012), “Lieux saints communs, partagés ou confisqués : aux sources de quelques péricopes coraniques (Q 19 : 16-33)”, in Isabelle Depret & Guillaume Dye (eds), Partage du sacré : transferts, dévotions mixtes, rivalités interconfessionnelles, Bruxelles-Fernelmont, EME, pp. 55-121. 8 Leroy Jules, « Les fresques de Doura-Europos » in Bible et Terre Sainte, 1967, n° 88, p.11. 2 Ce bienfait très particulier, les pieux commentaires l’attribuèrent à la ferveur de la prière de Miryam / Maryam sœur de Moïse et d’Aaron. Une telle tradition était déjà très ancrée à l’époque de Paul et des Antiquités bibliques, puisqu’on peut lire en celles-ci : “Après le trépas de Moïse, la manne cessa de descendre sur les fils d’Israël, et ils commencèrent alors à manger les fruits du pays. Tels furent les trois dons que Dieu fit à son peuple à cause des trois personnages : le puits d’eau de Mara en faveur de Marie ; la colonne de nuée en faveur d’Aaron ; et la manne en faveur de Moïse. Mais une fois disparus les trois [personnages], ces trois [présents] furent retirés [aux fils d’Israël]”.9 C’est que, dans une certaine tradition populaire, le rocher s’était transformé en puits itinérant avec les Hébreux, de sorte que le problème de l’approvisionnement en eau était réglé. La parallélisme qui fonde la « typologie Miryam/Marie » est alors évidente : à la prière de Miryam sœur d’Aaron, le peuple assoiffé reçut le don divin de la source d’eau qui le sauve et le suit au cours de son uploads/Litterature/ typologie-miryam-marie-dans-le-coran.pdf
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- Publié le Fev 24, 2022
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