1 L’ÉNERGIE CRÉATRICE DE LA SOUFFRANCE Henri Boulad, sj 2 3 INTRODUCTION Cette

1 L’ÉNERGIE CRÉATRICE DE LA SOUFFRANCE Henri Boulad, sj 2 3 INTRODUCTION Cette introduction voudrait donner d’entrée de jeu une vue globale du sujet, avant d’en traiter plus en détail. La souffrance et la mort demeurent jusqu’aujourd’hui une énigme et un mystère. La réponse classique qui cherche à les expliquer par un quelconque « péché originel » commis par nos premiers parents ne nous satisfait plus guère aujourd’hui. Car nous savons parfaitement que souffrance et mort existaient bien avant l’apparition de l’homme et remontent aux tous premiers débuts de la vie sur la terre. On pourrait même affirmer qu’elles font partie du « système » et jouent un rôle essentiel dans la dynamique de l’évolution. Tant que nous n'aurons pas compris cela, quelque chose d'essentiel nous échappera. Souffrance et mort sont le moteur de la vie, son combustible, ce qui lui permet d'avancer, de progresser. Sans elles, il n'y aurait ni progrès, ni évolution : nous aurions un univers statique. Mort et souffrance ont donc une place structurelle, au même titre que les colonnes d’un édifice ou les racines d’un arbre. Supprimez les colonnes, et l’édifice s’écroule. Supprimez les racines, et l’arbre meurt. La première loi de la thermodynamique veut que rien ne se perde mais que tout se transforme. L’énergie que je brûle lorsque je souffre dynamise l’histoire. Lorsque je me tords dans mon lit avec un mal de ventre ou de tête, lorsque je suis rongé par la déprime ou la solitude, quelque chose, quelque part naît, grandit, se réalise. Où et comment ? Nul ne le sait, mais ce dont je suis sûr, c'est que ma souffrance n'est pas perdue : elle est récupérée ailleurs. Savoir cela est infiniment réconfortant et donne un sens à mon épreuve. Si la souffrance peut être considérée comme une petite mort, la vraie mort représente la souffrance ultime, dans la perte totale de soi. En mourant, je ne perds pas 4 seulement un membre ou un organe, je me perds tout entier. Si cette perte n’était pas compensée par un gain équivalent à un niveau supérieur, elle serait absurde. Dans la mort, je livre MA vie à LA Vie. Par ce don de moi-même, LA VIE est propulsée en avant. Chaque mort dynamise son mouvement et la fait progresser. Ma souffrance et ma mort sont ma contribution à la Vie, mon offrande à l’Humanité. L’une et l’autre me les rendront un jour multipliées, non par cent ou par mille, mais par les myriades et myriades de vivants et d’humains qui auront vécu sur la terre. « Rendre l'âme », ce n’est pas simplement mourir, c’est restituer à la Vie ma petite vie, augmentée de tout ce que j’aurai pu y mettre de peine, de travail, de souffrance et d’amour. Ma mort donne un souffle nouveau à tous les humains vivants ou morts et leur injecte un surcroît d’énergie spirituelle. On se demande parfois pourquoi il y a une montée de conscience dans l’histoire. La réponse est claire : le milliard d'hommes d’il y a deux siècles, en devenant deux, trois, quatre, cinq, six, ou sept milliards, propulse l’humanité en avant par le simple fait d’exister. « La vie ne se multiplie pas pour se multiplier, mais pour rassembler les éléments nécessaires à sa personnalisation. » (Teilhard de Chardin) La croissance démographique alimente l'évolution, comme le bois alimente le feu. Les humains qui vivent et qui meurent attisent la flamme. Si l'humanité d'aujourd'hui est beaucoup plus consciente que celle d'hier, ce n’est pas uniquement parce que nos connaissances progressent, mais parce que notre souffrance nourrit le foyer et que notre mort active le moteur. Telle est la raison pour laquelle la conscience cosmique se développe et que l’humanité progresse. 5 Mais, au-delà des humains et de leur indispensable contribution à l’Evolution, il y a la présence dynamique du ‘Fils de l’Homme’, le Nouvel Adam, Chef de l’Humanité, qui habite notre histoire depuis ses origines. Alpha de notre monde, il pousse celui-ci en avant jusque sa culmination dans le Point Oméga qui se profile à l’horizon de l’histoire. Nous n’aurions jamais pu donner un nom à cet Alpha-Oméga s’il ne s’était lui-même manifesté en un point précis du temps et de l’espace en la personne de Jésus-Christ. En lui, Dieu lui- même assume notre souffrance et notre mort pour les transfigurer par sa Résurrection. Le fait que Dieu lui-même ait voulu assumer ces réalités les illumine de l’intérieur et leur confère un sens absolument nouveau. 6 L’HOMME EST LE FILS DE L’OBSTACLE « Née, comme ça » Tel est le titre de l’autobiographie de Denise Legrix née sans pieds, sans jambes, sans bras, sans mains… juste un tronc surmonté d’une tête. " Après avoir passé par des moments terribles, elle est parvenue à surmonter son désespoir et a lancé un appel au monde via Radio Luxembourg pour fonder un "Centre pour handicapés". Cette femme infirme, symbole de l'impuissance, n'avait que sa bouche pour agir. Elle l’a utilisée pour dicter deux livres et s’exprimer dans les médias. Elle aurait pu se dire : « Je suis une inutile, un rebut de l'humanité, et n'ai plus qu'à finir ma vie dans un hospice. » Mais elle a réagi de toute la force de sa volonté et a fondé un institut national de réadaptation, ainsi qu’un établissement national pour convalescents comportant quatre pavillons, dont un pour neurologiques, un autre pour traiter les infirmités motrices cérébrales, et un pavillon de consultations externes. Quand je vois tant de gens en pleine santé traîner une existence inutile et stérile, ne sachant que faire de leur temps, je bouillonne. La souffrance n’est un obstacle que pour ceux qui s'y arrêtent. Mais elle peut devenir une puissance créatrice pour celui qui décide de l’affronter. En visitant un institut pour aveugles au Caire, j’ai rencontré un homme qui avait perdu la vue au cours de la deuxième Guerre Mondiale. Ayant essayé sans résultat de se faire soigner en Angleterre, il s'est d’abord abandonné au désespoir. Mais il a ensuite réagi et décidé de fonder au Caire un Institut pour aveugles. Cet homme me confiait : "J'ai compris qu'il fallait être plus fort que le désespoir et je me suis lancé dans ce projet." Loué soit le Seigneur ! 7 J’ai lu dans le magazine Paris-Match, un article relatant la terrible aventure d’une championne américaine d'équitation et de natation, Jennie Erickson. A seize ans, elle pique un plongeon du haut d'un tremplin dans la baie de Washington. Ayant mal calculé la profondeur de l'eau, elle se brise la colonne vertébrale et se trouve paralysée à vie. C'est alors le désespoir, le blasphème, la tentation du suicide. Elle passe des mois dans le noir le plus total, jusqu’au jour où elle découvre Dieu. C’est alors qu’elle émerge lentement de sa nuit et décide de s’initier à un métier. Quel métier pratiquer quand on n'a ni bras, ni jambes, ni rien qui fonctionne ? Elle apprend alors à dessiner et à peindre au moyen d’un crayon ou d’un pinceau serrés entre ses dents. Avec une énergie farouche, elle produit de petits tableaux qui lui permettent de gagner sa vie. Mais il y a plus. Car, dans son épreuve, cette fille a retrouvé la foi et la joie. Sur la photo publiée par le magazine, on est surpris de son merveilleux sourire. Plus surprenant encore, c’est qu’elle signe ses oeuvres par trois lettres : "P T L" (PRAISE THE LORD) – ce qui signifie : Loué soit le Seigneur ! Invitée à donner des conférences à des dizaines de milliers de jeunes à travers toute l’Amérique, elle leur parle de Dieu et du sens de la vie. Grâce à elle, beaucoup retrouvent la force de croire et d'espérer. Cette fille handicapée, clouée sur son fauteuil, soutient par sa force intérieure une multitude de gens en pleine santé, incapables d'affronter l'existence. Elle leur insuffle un élan que ne pourrait pas donner une personne normale jouissant de tous ses moyens. Croire que le malheur, la souffrance, la douleur puissent démolir un être humain et l’anéantir, c'est ignorer qu'il existe en lui des puissances de résurrection insoupçonnées, qui peuvent le faire jaillir dans une autre dimension. Tagore disait : « Le malheur est grand, mais l'homme est plus grand que le malheur. 8 Le terrible accident qui a frappé cette fille de seize ans a révélé la perle précieuse qui se cachait en elle. Si Jennie n'avait pas été broyée par la souffrance, cette perle n'aurait peut-être jamais brillé. Il y a un prix à payer. Non qu’il faille courir après le malheur, mais les événements se chargent généralement de nous faire passer par le feu de l’épreuve, et le Seigneur nous donne alors la force de le vivre. Lui seul sait ce qui est bon pour nous et nous n'avons pas à lui poser trop de questions. Paralysée à vie… elle sourit Je voudrais à présent vous parler de Magda Mohamed, que vous pouvez contempler sur cette photo. Cette fille, née paralysée, est clouée au lit depuis des uploads/Litterature/ l-x27-energie-creatrice-de-la-souffrance.pdf

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