http://www.contretemps.eu Frantz Fanon, une vie révolutionnaire redaction Le 8

http://www.contretemps.eu Frantz Fanon, une vie révolutionnaire redaction Le 8 décembre 1958, Frantz Fanon, sous le pseudonyme de Dr Omar Fanon, est au Ghana. Le Ghana, indépendant depuis un an, organise alors une conférence panafricaine. Il s’agit là d’une conférence plus militante que celle tenue par les États devenus indépendants plus tôt dans l’année, qui rassemble activistes et leaders des mouvements nationalistes de tout le continent. Dans la salle de conférence, bannières et affiches ornent les murs. Sur la question de la lutte armée, la précédente conférence, qui comprenait des délégués de nouveaux (et très modérés) États indépendants, tels la Tunisie et le Maroc, avait évité le débat pour privilégier la non-violence et les moyens constitutionnels. Il était évident que l’Afrique avait raison de lutter pour l’indépendance, mais elle devait le faire, comme le préconisait Gandhi, par des moyens pacifiques. Le Ghana allait bientôt devenir un lieu familier pour Fanon, en 1960 il y sera l’ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Ce jour-là, Fanon se leva pour prendre la parole, il avait peu de notes pour appuyer son discours et fixait l’auditoire : «Si l’Afrique doit être libre, nous ne pouvons pas quémander, nous devons arracher par la force ce qui nous appartient… Toutes les formes de lutte doivent être adoptées, sans exclure la violence »[1]. L’effet fut spectaculaire, transformant ainsi la tournure du débat et l’ambiance de la conférence. Fanon laissa les délégués abasourdis. Un Sud-Africain, rendant compte de la conférence, observa: «Le docteur Fanoh Omar [sic] d’Algérie a certainement constitué le clou du spectacle. Il ne mâche pas ses mots. Au demeurant, quel homme du FLN pourrait se le permettre ? Les Algériens n’ont aucun autre recours que de se battre, dit-il, et le FLN veut aller jusqu’au bout. Dans un français saccadé, il porte son auditoire jusqu’aux scènes horribles des atrocités commises par les Français à l’encontre des Algériens. Il reçut l’ovation la plus retentissante et la plus longue de tous les orateurs »[2]. La conférence – en grande partie sous l’influence des interventions du docteur Omar, en session plénière comme dans les commissions – s’engagea à soutenir les luttes armées. La non-violence comme – méthode pour parvenir à l’indépendance gardait un rôle, mais ne constituait plus la règle suprême. Fanon, sans craindre l’exagération, avait mené et remporté le débat sur la lutte armée et l’usage de la violence. La colonisation devait être balayée du continent par tous les moyens nécessaires[3]. Fanon était devenu le plus éminent militant et porte-parole de la politique de libération et d’unité africaine. La violente guerre pour la libération de l’Algérie représentait, pensait-il, le point culminant des luttes populaires du continent pour la liberté de l’Afrique. Si la Conférence panafricaine – fut radicalisée par la contribution de Fanon, Fanon lui-même avait été transformé par son expérience en Algérie. Comprendre Fanon Beaucoup ont étudié Fanon. Chaque cause ou presque se l’est approprié. Cinq ans après sa mort, en 1961, il est apparu comme étant le théoricien le plus en vue du mouvement du Black Power émergeant aux États-Unis, particulièrement auprès de figures comme Bobby Seale et Huey P. Newton du Black Panther Party. En 1967, Dan Watts, rédacteur en chef du journal radical du Black Power, Liberator, soulignait l’importance de l’influence de Fanon dans la révolte de l’Amérique noire: «Vous pensez que les frères qui participent à ces émeutes sont de vieux poivrots. Rien n’est plus éloigné de la vérité. Ces mecs sont prêts à mourir pour quelque chose. Et ils savent pourquoi. Ils lisent tous. Ils lisent énormément. Pas un seul d’entre eux qui n’a pas lu la Bible… Fanon… Vous http://www.contretemps.eu Frantz Fanon, une vie révolutionnaire redaction feriez bien de vous procurer ce livre. Chaque frère sur un toit peut citer Fanon »[4]. Dans les années 1960 et les années 1970, Fanon était le tiers-mondiste par excellence. Les mouvements de guérilla dans les campagnes et les bidonvilles, dans les colonies qui subsistaient et – le tiers-monde qui avait acquis son indépendance, s’en réclamèrent souvent. L’oeuvre de Fanon devint un véritable manuel pour les maoïstes et l’élite intellectuelle des guérillas qui prévoyaient une vague révolutionnaire imminente appelée à renverser le monde à partir des campagnes. Le prolétariat n’était pas une force sur laquelle on pouvait compter, il fallait pour ces mouvements, selon Fanon, s’appuyer sur d’autres forces. Au cours des années 1990, Fanon est devenu, de nouveau, une référence légitime, mais cette fois pour les universitaires. Les critiques culturels et les post-modernistes se sont concentrés exclusivement sur son travail portant sur l’identité et ont présenté un Fanon en grande partie décontextualisé, séparé de l’histoire. Fanon était amputé de ses tripes et de son impatience révolutionnaire. Fanon devint le penseur du post-colonialisme, et toute une génération d’universitaires anglo- américains fit carrière sur la base de recherches sur sa pensée. Comme l’explique David Macey, le brillant biographe de Fanon : «En soi il n’y a rien de mal à ça, mieux vaut qu’on étudie Fanon… Mais je pense qu’il est nécessaire de remettre Fanon dans son contexte, arrêter de l’en extraire et commencer à explorer ce que sont les implications pour aujourd’hui de […] Fanon […] dans un sens plus positif […] Nous ne pourrons pas faire cela en discutant de Fanon aux séminaires de l’université de Yale […] Cela doit aller au-delà. Et je pense que c’est le problème avec les études post-coloniales […] Ça n’a aucun lien avec les épreuves que tous ceux qui vivent en ville pourraient d’aventure croiser au quotidien »[5]. Nous n’avons pas non plus manqué d’excellentes biographies et d’études sérieuses. Parmi une longue liste deux sortent du lot[6]. Mais dans beaucoup d’études l’accent est mis sur son écriture et sa philosophie aux dépens du contexte ou, au contraire, des éléments contextuels sans aucun lien avec la pensée de Fanon : un échec, comme l’aurait dit ce dernier, à comprendre la dialectique[7]. L’intérêt actuel pour Fanon coïncide avec un double anniversaire. Le cinquantième anniversaire de la publication des Damnés de la terre et celui de la mort de Fanon, victime d’une leucémie, aux États-Unis en 1961. Je crois que Fanon peut toujours être utile à ceux et celles qui cherchent à comprendre (et à mettre en œuvre) un changement social. Les questions qu’il a posées restent vitales pour ceux et celles qui entendent faire l’étude des transformations sociales. Ses préoccupations sont aussi les nôtres: quelles sont les limites des mouvements révolutionnaires ? Quelles forces politiques usurpent les luttes révolutionnaires ? Quel est le rôle du leadership dans les mouvements politiques ? Comment les mouvements nationalistes et la conscience nationale sont par eux-mêmes restrictifs pour la transformation politique et sociale ? Étant donné l’ampleur du périmètre de travail de Fanon, le présent article se limite à une introduction générale, aux contours principaux de la vie et du travail de Fanon. Modestement il aspire à inviter à la curiosité et à la recherche[8]. En Martinique: le racisme, la guerre et la France Fanon est né en 1925 dans une famille de la classe moyenne martiniquaise. Son enfance fut confortable, et relativement ordinaire. Mais la vie en Martinique marqua de manière permanente son identité. L’Île – «le département» –, était et reste le lieu d’un racisme prégnant, dans sa propre structure et dans ses relations avec la France métropolitaine. Fanon encore jeune, les communautés http://www.contretemps.eu Frantz Fanon, une vie révolutionnaire redaction de l’île étaient séparées entre, d’une part, une petite classe de planteurs blancs et d’hommes d’affaires – les békés –, et d’autre part – les mulâtres et les Noirs. Obsessionnellement divisées sur la base de la couleur, ces catégories définissaient la place de chaque famille dans la société. La pigmentation (et spécifiquement la blancheur de la peau) déterminait en grande partie votre trajectoire de vie et le sens que vous accordiez à votre propre valeur. La famille de Fanon, qui avait quelques ancêtres blancs, était ambitieuse et en plein ascension. Sa mère était la fière propriétaire d’un magasin et son père était fonctionnaire au service des douanes. Fanon a fait ses études au Lycée Schoelcher, dans la capitale Fort-de-France, et y a gagné la réputation d’un lecteur avide et d’un footballeur doué, sûr de lui et persévérant. La famille se considérait comme française et personne n’en était plus profondément convaincu que ce fils brillant. En 1944, Fanon fuit la Martinique, et l’autorité de sa mère, pour rejoindre les Forces Françaises Libres. Il sert au Maroc, en Algérie, et finalement en France. Le biographe majeur de Fanon explique l’effet de la guerre sur l’identité de Fanon: «Il est difficile d’imaginer combien il est dur de s’y retrouver dans cette confusion : vous débarquez dans le Sud de la France, les troupes sénégalaises sont démobilisées puisqu’elles ne peuvent être autorisées à libérer la France, et, d’une manière ou d’une autre, vous êtes reclassifié comme Blanc. C’est ainsi que, d’un côté, vous n’êtes pas Noir, vous êtes Français, mais, d’un autre côté, vous n’êtes pas Français mais bien un soldat noir de l’infanterie se battant dans une neige jamais vue auparavant […] uploads/Litterature/ zeilig-fanon-vie-revolutionnaire 1 .pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager