RÉSIDENCE D'AUTEUR DU 29 JANVIER AU 28 AOÛT 2022 ÉRIK BULLOT KALÉIDOSCOPE POUR

RÉSIDENCE D'AUTEUR DU 29 JANVIER AU 28 AOÛT 2022 ÉRIK BULLOT KALÉIDOSCOPE POUR UN FILM IMAGINAIRE LES TANNERIES 234 RUE DES PONTS 45200 AMILLY LESTANNERIES.FR INFORMATIONS PRATIQUES 02.38.85.28.50 contact‑tanneries@amilly45.fr Ouvert du mercredi au dimanche de 14h30 à 18h — Entrée libre Les Tanneries Centre d’art contemporain 234 rue des Ponts — 45200 Amilly Adresse postale: Mairie d’Amilly, B.P. 909 45200 Amilly Cedex ACCÈS • Transports en commun depuis Montargis : Réseau bus Amelys Ligne 5 Mirabeau < > Hôpital / Arrêt Tanneries • Par le train depuis Paris Ligne TER Paris ‑ Nevers au départ de la Gare de Paris Bercy. Ligne Transilien Paris ‑ Montargis au départ de la Gare de Lyon. Arrêt gare de Montargis • Par la route depuis Paris A6 direction Lyon, puis A77. Montargis, sortie D943 Amilly Centre. T VERS PARIS VERS ORLÉANS VERS NEVERS VERS AUXERRE A77 A6 A19 A19 A77 N7 234 rue des Ponts Amilly D943 MONTARGIS T VISUEL : ÉRIK BULLOT, TABLE DE TRAVAIL, 2022 / VUE DE LA TABLE DE L'AUTEUR DURANT SA RÉSIDENCE AUX TANNERIES — CAC, AMILLY, 2022 / PHOTO & COURTESY : ÉRIK BULLOT Voici le rêve éveillé d’un film. Je voudrais rêver un film imaginaire, à la manière d’une fiction théorique ou d’un roman d’aventures. Je tirerai pour cela les fils d’une enquête autour de deux objets curieux apparus en 1920 — la vision extra‑rétinienne et l’invention du thérémine —, envisagés comme les deux pôles d’un cinéma virtuel, mental, idéel. VISION EXTRA-RÉTINIENNE L’écrivain Jules Romains publie en 1920 un essai sur la vision paroptique, c’est-à-dire la vision sans le concours des yeux. Plongé dans un état pré‑hypnotique, le sujet, dit‑il, peut voir des formes à travers un corps opaque. C’est une expérience célèbre dans l’histoire du magnétisme. Romains présente un journal, des lettres, des images à ses modèles, les yeux clos, protégés par un bandeau hermétique. De façon étonnante, ils peuvent lire le texte, déchiffrer le document, reconnaître une silhouette. L’écrivain développe une théorie scientifique sur ce prodige et suppose qu’il existe des cellules optiques dans le tégument (il propose le terme « d’ocelles », comme les organes des insectes, réunis en inflorescences) qui permettent de voir avec la peau. UNE ÉDUCATION PAROPTIQUE Sa théorie n’obtient pas un grand succès dans le champ scientifique, mais retient l’attention de René Maublanc, philosophe marxiste. Il se passionne pour la vision paroptique et rencontre une soprano américaine aveugle, Leila Holterhoff, qui s’était produite avec succès dans les années 1910 aux États-Unis. Il lui propose une série d’expériences soumises à un protocole précis : état pré-hypnotique, bâillon fortement serré sur les yeux, lecture de textes derrière une paroi vitrée. Au fil des séances, elle peut sentir la présence des objets, percevoir les couleurs, deviner les visages. Leur livre, Une éducation paroptique, décrit le détail de leurs réunions. « Pas de révélation, d’illumination, pas de miracle. Il faut apprendre à voir comme on apprend à jouer du piano : les débuts sans grâce, sans agrément et sans éclat », écrit Maublanc1. LE GRAND JEU Maublanc est professeur de philosophie au lycée de Reims où il noue des liens étroits avec ses élèves René Daumal, Roger Vailland et Roger Gilbert‑Lecomte. Tous trois sont les créateurs, en 1928, de la revue littéraire Le Grand Jeu, d’inspiration surréaliste dissidente, marquée par une prédilection pour les thèmes spirituels, mystiques, métaphysiques. Gilbert-Lecomte et Daumal usent de stupéfiants, notamment du tétrachlorométhane, pour provoquer des états comateux. Les trois poètes participent aux expériences paroptiques les jeudis après‑midi. La vision extra‑rétinienne leur permet d’élargir les possibilités de la conscience, à la façon d’une drogue. LE MONT ANALOGUE Daumal est l’auteur d’un célèbre roman d’initiation, resté inachevé, Le Mont analogue (1939-1944). Le livre raconte l’histoire de Pierre Sogol qui réunit chez lui un groupe d’alpinistes pour préparer un voyage à la recherche d’une mystérieuse montagne inaccessible dont la matière a la propriété de courber l’espace qui l’entoure, de telle sorte que toute la région est enfermée dans une poche invisible. On sait par les notes du poète qu’il voulait raconter en parallèle les péripéties d’une seconde expédition. Je retiens l’avertissement. Qu’il s’agisse d’une montagne ou d’un film, nous devons gravir l’obstacle des deux côtés en préparant une seconde équipée. Après la vision extra-rétinienne, empruntons la voie du thérémine. DU THÉRÉMINE Né à Saint‑Pétersbourg en 1896, Léon Thérémine invente en 1920 le thérémine — parfois aussi appelé étherophone —, instrument de musique électronique composé d’un boîtier équipé de deux antennes produisant un champ électromagnétique. L’instrument ne nécessite pas de contact direct avec son interprète. La main droite contrôle la hauteur de la note selon sa distance avec l’antenne verticale. L’antenne horizontale en forme de boucle permet de faire varier le volume avec la main gauche. En mars 1922, il est convié au Kremlin pour présenter son invention à Lénine qui s’enthousiasme et souhaite jouer lui-même. Il doit placer les mains du révolutionnaire dans les siennes pour le guider. L’anecdote, sans doute mythique, traduit le rôle spectral de la main, devenue membre fantôme. ESPIONNAGE En 1927, Thérémine voyage en Europe et aux États‑Unis, il donne des concerts, s’installe à New York où il reçoit un accueil triomphal. Il collabore avec le compositeur Henry Cowell pour la fabrication du rhythmicon, ancêtre de la boîte à rythme, invente l’Illumovox qui projette des couleurs selon la hauteur des sons et travaille sur une extension du thérémine pour l’ensemble du corps : le terpsitone. En 1938, il disparaît mystérieusement. On apprit vingt-cinq ans plus tard qu’il était rentré en Russie en raison de problèmes fiscaux, mais également à la suite des suspicions du FBI sur ses activités d’espionnage. Peu de temps après son retour, il est arrêté et incarcéré à la prison de Butyrka à Moscou, puis déporté pour une durée de huit ans. Il semble qu’il ne soit resté dans le camp de la Kolyma qu’un an avant d’être transféré à l’hiver 1940 à Omsk dans un laboratoire secret dépendant de l’organisation générale du Goulag, avec Andreï Tupolev et d’autres scientifiques. Il fut amené à travailler sur plusieurs projets de recherche en électronique : dispositifs d’écoute, systèmes d’alarme, brouilleurs de communication. Réhabilité en 1957, il continua à travailler dans les bureaux de la police secrète à Moscou, condamné à une forme de silence. La musique des sphères relève‑t‑elle de l’espionnage ? Foudroyée par la Seconde Guerre mondiale, les camps staliniens, la Guerre froide, l’invention du thérémine raconte une histoire tragique. RÉANIMATION Léon Thérémine se passionne pour la cryonie ou, du moins, pour l’hypothèse d’une résurrection des cellules humaines par le biais de la congélation. Il s’enquit de la possibilité de congeler le corps de Lénine, qui fut finalement embaumé. Cet intérêt pour la cryogénisation atteste la façon dont ses inventions s’inscrivent dans un dépassement des limites humaines, qu’il s’agisse de l’échelle des sens, de l’audition colorée ou de l’immortalité. MÉDIUMNITÉ Les interprètes historiques du thérémine sont souvent des femmes. Lors d’un récital à Carnegie Hall intitulé « Musique dématérialisée », Zenaide Hanenfeldt, qui appartient au cercle des émigrés russes à New York, apparaît pour la première fois en public en 1929 avec Alexandra Stepanoff, l’une des élèves de Léon Thérémine. Citons également Lucie Bigelow Rosen ou encore Clara Rockmore qui proposa à l’inventeur de nombreux perfectionnements. Et que dire de Leila Holterhoff ? On peut relever l’ambivalence de leurs rôles, à la fois médiums qui projettent des images et des sons sur un écran psychique et collaboratrices actives par leur concours et leur soutien techniques. CINÉMA MENTAL Le philosophe Henri Bergson assista à une séance chez René Maublanc. Bien que l’expérience l’ait apparemment convaincu, il ne partagea pas la théorie de Jules Romains sur les ocelles. Il préfère penser à une vision sans organe. Mais peut-on penser un cinéma sans organe, sans contact ? Peut-on faire un film par la seule pensée ? Curieusement, le modèle technique du cinéma a été convoqué récemment dans des études en neurosciences pour décrire nos mécanismes de perception. À l’instar d’un projecteur, nous dit Lionel Naccache, nous percevons le visible à la vitesse moyenne de treize images par seconde, et c’est notre cerveau qui procède à un montage pour rétablir le flux visuel. Il nomme cette expérience « cinéma intérieur2 ». Le cinéma n’a pas la fonction, ici, d’une simple métaphore, il est sollicité au titre technique. On se souvient de Jean Epstein qui souhaitait « que des interruptions de film opaque imitent jusqu’à nos clignements de paupières3 ». Cinéma du cerveau, immatériel, visionnaire, qui se confond avec la perception. DANSE DES PHOSPHÈNES Dans son texte « Le souvenir déterminant », René Daumal fait le récit de ses expériences avec le tétrachlorure de carbone. Il s’agit « d’entrer éveillé dans l’état de sommeil », dit-il, en suscitant des états modifiés de conscience, proches des expériences de mort imminente. C’est le jeu des phosphènes qui active la vision intérieure. « Les phosphènes qui dansaient devant mes yeux couvraient bientôt tout l’espace, qu’emplissait le bruit de mon sang ; bruit et lumière emplissaient le monde et ne faisaient qu’un rythme.4 » uploads/Litterature/ kalegidoscope-4 1 .pdf

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