KARL KORSCH MARXISME ET CONTRE- REVOLUTION DANS LA PREMIERE MOITIÉ DU VINOTIEME

KARL KORSCH MARXISME ET CONTRE- REVOLUTION DANS LA PREMIERE MOITIÉ DU VINOTIEME SIECLE choix de textes traduits et présentés par Serge Bricianer EDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris Vle AVERTISSEMENT L'introduction, les chapeaux et les textes de liaison ont été composés avec une grande marge (ou placés entre crochets) pour les distinguer des textes de l'auteur, Karl Korsch (en abrégé dans les notes : K.). Tous les passages ou termes soulignés l'ont été par l'auteur lui-même, dont les notes sont appelées par un astérisque. On s'est efforcé de signaler les réimpressions (réimp.) et les noms des éditeurs d'anthologie (éd.) ou des traducteurs d'ouvrages cités (trad.). Une table des sigles utilisés figure en fin de volume. S. B. N.B. Un souci d'exactitude m'a parfois conduit à remodeler la version française de passages cités dans le corps de l'ouvrage. Ces interventions portant en général sur des points de détail, je n'ai pas cru devoir compléter la référence à la version fran- çaise par une référence à une édition en langue d'origine. (g) Europdische Verlagsantalt, Frankfort/Main. © 1975, Editions du Seuil, pour la traduction française. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. INTRODUCTION KARL KORSCH (18861961) UN ITINÉRAIRE MARXISTE « Peut-être me faudrait-il commencer par vous exposer en détail qui je suis, vous donner une analyse historique du long développement qui conduisit le membre (déjà oppo- sitionnel, il est vrai) de la Fabian Society, que je fus en 1912-1914, dans les rangs du parti social-démocrate indé- pendant d'Allemagne, pendant la Première Guerre mon- diale, puis, par le canal d'une brève et enthousiaste adhé- sion au parti de Lénine, dans ceux d'une opposition "ultra- gauche", d'abord à l'intérieur et ensuite à l'extérieur du Parti, pour adhérer enfin, allant plus loin, à une tendance nouvelle et positive'. » C'est ainsi qu'un jour Karl Korsch décrivait son chemi- nement politique, d'une phrase bien dans sa manière, et qu'un souci de concision extrême a pour effet paradoxal d'allonger. Dans cette introduction, conçue en fonction du recueil qui suit, il n'est pas question évidemment de s'en tenir à pareille (et modeste) brièveté. Mais je m'efforcerai d'éviter le reproche qu'à juste titre Korsch adressait, vers la fin de son existence créatrice, à une anthologie d'un grand révo- lutionnaire. Il blâmait alors le compilateur qui ne s'était pas donné à tâche de « relier étroitement les idées [de Bakounine] aux conditions historiques et aux actions concrètes dont chacun de ses concepts théoriques porte la marque. Faute de quoi, le corps vivant de cette "pensée en action" est converti en un système purement idéologique 2 ». 1. • A Letter from Karl Korsch p, The Southern Advocate for Workers' Councils (Melbourne), 46, juillet-août 1948, p. 9 sq. 2. K. Korsch, « A Bakunin Sampler », Dissent, I, 1, Hiver, 1954, p. 110. 7 1. Karl Korsch est né le 15 août 1886 à Tostedt 1, une bour- gade située à la lisière des landes de Lunebourg (au S.-E. de Hambourg), dans une de ces familles qu'aujourd'hui on appellerait nombreuses (six enfants). Désireux d'échapper à la gêne, le père, homme de tradition, épris de philo- sophie (Leibniz), décida en 1898 de quitter cette région désolée pour s'établir à Meiningen, petite ville cossue de Thuringe. Il y entreprit l'ascension sociale qui, du secré- tariat de la mairie, devait le conduire au poste de sous- directeur de banque. Pendant ce temps, le petit Karl, élève très doué mais déjà rebelle à un milieu archi-conformiste, fréquenta le lycée de la ville, puis fit son droit à l'université d'Iéna (1909 : licence ; 1910: doctorat ; 1910-1911 : service militaire). Vers la fin de ses études, le jeune homme qui, féru lui aussi de philosophie, aimait à se dire kantien, était l'un des ani- mateurs d'une association d'étudiants centre gauche, hos- tiles surtout aux vieilles confréries estudiantines, ritualistes et réactionnaires. Porté sur l'engagement politique, il finit cependant par rejoindre la frange libérale, dite révision- niste, de la social-démocratie (Bernstein). C'est à l'occasion d'une tournée de propagande qu'il rencontra Hedda Gagliardi, qu'il épousa en 1913. Il vivait alors à Londres, où il était arrivé à la mi-1912. Ses profes- seurs d'Iéna l'avaient recommandé à l'un de leurs collègues anglais, Sir Ernest Fisher, soucieux de voir convenablement traduit en allemand un traité de droit privé dont il était l'auteur. Korsch œuvrait comme toujours avec la plus grande rigueur, donc en prenant son temps. Fisher et lui 1. Principales sources biographiques consultées : P. Mattick, « Karl Korsch », Etudes de marxologie, 7 août 1963, p. 159-180 (autre version in Survey, 53, oct. 1964, p. 87-97) ; H. Korsch, « Memories of Karl Korsch », New Left Review, 76, nov.-déc. 1972, p. 35-46 (texte d'une interview prise au pied levé et publiée sans le consentement de Mme Korsch ; à utiliser donc avec prudence). Je regrette de n'avoir pu tenir compte du t. I du lahrbuch Arbeiterbewegung (Francfort, déc. 1973), consacré à K. On y trouvera notamment une contribution de Michaël Buckmiller, particulièrement éclairante en ce qui concerne les années de formation. 8 Un itinéraire marxiste se plaisaient en outre à multiplier les subtilités et les points de discussion. Aussi le travail se prolongea, et ne fut pas terminé avant le fatal été de 1914. A Londres, où Hedda avait de son côté décroché de petits travaux littéraires, le jeune couple entra en contact avec les Fabiens, une société de réflexion où l'on se préoccupait notamment des moyens, pour une élite de penseurs et de syndicalistes, de réformer les institutions dans le calme et la liberté. (On sait que le projet fabien devait tenir une place non négligeable dans l'inspiration révisionniste du néo-kantien Bernstein.) Résumant à l'époque ses motifs d'adhésion 1, Korsch soulignait que, selon ses nouveaux amis, la cause du socia- lisme ne l'aura « emporté qu'à moitié tout au plus » le jour où « le parti ouvrier aura acquis la majorité au Parle- ment ». Les Fabiens, rapportait-il, sont convaincus à l'instar des marxistes allemands que « la socialisation des moyens de production se fait de soi-même ». Mais, ajoutait-il, « cette vue théorique est chez eux complétée par une option de la dernière importance : la volonté pratique de veiller à ce que cette inéluctable transformation de l'économie humaine fasse également avancer la culture humaine, l'idéal de l'humanité ». Un mois après, précisant sa pensée, il notait que le concept de « socialisation », au sens déjà tra- ditionnel chez les socialistes, restait « purement négatif » et demandait à être « dépassé à l'aide d'une formule cons- tructive, utilisable à des fins positives d'organisation socia- liste de l'économie ». Il fallait remédier sur ce plan à une carence qui, pour le moment, n'était sans doute pas nuisible mais le deviendrait « dès que le socialisme prendra les rênes du gouvernement et se verra sommé d'organiser l'économie sur une base socialiste ». Et cela pas seulement en Angleterre : en Allemagne aussi car, si la question était loin encore de se poser, « les conceptions syndicalistes révo- lutionnaires, tellement plus simples et plus proches de 1. Dans une revue (bourgeoise) d'Iéna, Die Tat (IV, 1912) ; extraits in K. Korsch, Kommentare zur deutschen Revolution, und ihrer Niederlage. Neunzehn unbekannte Texte zur poli- tischen OEkonomie, Politik und Geschichtstheorie, s'Graven- hage, 1972 (en abrégé : Kommentare), p. 9, en fin de note. (C'est dans les mêmes termes que, quelque vingt ans plus tard, K. reprochera à la définition marxienne du pouvoir communard de rester « purement négative » ; cf. infra, p. 111.) 9 Introduction l'ouvrier de fabrique, risquent d'ébranler gravement chez nous aussi les articles de foi prépondérants du marxisme. Face à un début de désagrégation, il s'agit donc de trouver un moyen nouveau de restituer au mouvement socialiste d'Allemagne son unité interne et de le délimiter des autres mouvements. Mais ce moyen ne peut consister qu'en une formule mûrement réfléchie autant qu'éprouvée, qui per- mette de désigner parmi toutes les organisations conce- vables de l'économie celles qui méritent d'être appelées "socialistes" et préconisées par les socialistes 1 ». Depuis longtemps, en effet, la plupart des théoriciens marxistes allemands faisaient du « socialisme » l'objet d'une attente passive, que la satisfaction des revendications immédiates finirait par combler progressivement. (Aussi bien, la gestion de la production « unifiée et centralisée » devait-elle, selon eux, revenir un jour à des hommes compé- tents, non à des « syndicalistes révolutionnaires trop sou- vent enclins à penser en petits bourgeois ».) En mettant l'accent sur la recherche pragmatique d'une voie socialiste, Korsch se trouvait donc en rupture non seulement avec l'« orthodoxie » marxiste à la Kautsky, mais encore avec . la gauche dite plus tard luxembourgiste qui, elle aussi, s'en tenait, à sa manière, aux idées reçues, et dont uploads/Litterature/korsch-marxisme-et-contre-revolution-pdf.pdf

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