Construction des représentations sur le métier de Community manager au Sénégal

Construction des représentations sur le métier de Community manager au Sénégal Une analyse des commentaires numériques de la marque Orange Sénégal sur Twitter El Hadji Malick Ndiaye, Doctorant Sciences de l’information et de la communication, Université Grenoble-Alpes, Groupe de recherche sur les enjeux de la communication (GRESEC), elhadji-malick.ndiaye@univ-grenoble-alpes.fr elmalickndiaye10@gmail.com Construction des représentations sur le métier de Community manager au Sénégal 45 Résumé Cet article jette un regard sur les représentations du métier de Community manager au Sénégal. Il dresse un état des lieux de l’émergence de cette activité et la perception qu’une des catégories d’internautes se fait sur elle. En outre, il s’intéresse aux pratiques discursives des community managers en entreprise vis-à-vis de leurs publics/clients à travers leurs échanges sur Twitter. L’analyse des éléments discursifs qui composent 1108 commentaires numériques faites entre le 1er novembre 2019 et le 1er janvier 2020 permet de comprendre la dynamique de valorisation de la marque ainsi que le travail émotionnel de surface effectué par la figure du community manager. Mots clés : représentations, profession, commentaire numérique, community manager, Twitter. Abstract This article takes a look at the representations of the profession of Community manager in Senegal. It takes stock of the emergence of this activity and the perception that one of the categories of Internet users has on it. In addition, he is interested in the discursive practices of community managers in business vis-à-vis their audiences / customers through their exchanges on Twitter. The analysis of the discursive elements that make up 1,108 digital comments made between November 1, 2019 and January 1, 2020 allows us to understand the dynamics of brand valuation as well as the surface emotional work carried out by the figure of the community manager. Keywords: representations, profession, digital commentary, community manager, Twitter. 46 La professionnalisation des pratiques autour des commentaires numériques La société post-industrielle (Touraine, 1969 ; Bell, 1976) caractérisée par le triomphe d’une économie basée sur des éléments immatériels tels que l’information et la connaissance, transparaît aujourd’hui comme le socle des fonctions des services tertiaires qui structurent une grande partie de l’économie mondiale. Avec l’expression « société de l’information » qui apparaît comme un continuum de ces thèses, la centralité de l’information dans l’économie et le travail est devenue un paradigme au début du xxie siècle. La « doxa moderne » de société de l’information (Smyrnaios, 2006) est fortement critiquée (Granjon et George, 2008) en Sciences de l’Information et de la Communication. Il en est de même pour la notion d’économie créative ayant connu un grand succès dans les années 2000 (Bouquillion, 2010). Cette notion met aussi l’accent sur le primat de la créativité, des idées et concepts, de l’innovation, du capital immatériel (Lévy et Jouyet, 2006) qui se généraliserait dans tous les secteurs économiques en dehors du seul cercle concentrique des industries créatives. Cependant, l’emballement suscité par cette notion dans les discours d’acteurs et dans des rapports internationaux, notamment en Europe, n’est pas le reflet de l’impact réel de cette créativité culturelle ou esthétique par rapport aux innovations dans les TIC et le rôle important des industries de la communication (Bouquillion, 2010). Pourtant, même si les croyances sur le rôle de l’information et de la création semblent amplifiées avec la notion de « société de l’information » ou encore d’« économie créative », il n’en demeure pas moins que les innovations techniques favorisent la rapidité des échanges et la diffusion des informations. Dans l’approche du travail, on note une transformation du style managérial. Les études en sociologie du travail et des organisations sont assez éloquentes pour traduire ces ramifications. Des travaux mettent en perspective les aspects motivationnels et affectifs. Tel est le cas de l’expérience de Hawthorne menée par Elton Mayo et son équipe à partir de 1924. Dès lors, ce qui est appelé l’« école des relations humaines » ou encore « le mouvement béhavioriste » (Pesqueux, 2015) ne considérait plus l’ouvrier seulement avec ses forces motrices, mais prenait aussi en compte l’aspect humain, psychologique et affectif. Cette approche motivationnelle qui s’intéresse plus au cœur du travailleur qu’à ses bras, est aujourd’hui très importante dans les stratégies managériales des organisations. De l’autre côté, le nouvel esprit du capitalisme (Boltanski et Chiapello, 1999) qui a opéré une récupération et une réutilisation de la « critique sociale » et de la « critique artiste » de mai 1968, semble dopé par des discours et utopies (Breton, 1995 ; Breton et Proulx, 2002) sur les bienfaits du « numérique ». Le mouvement de contre-culture californien qui se manifestait avec la technologie et l’entrepreneuriat, s’est par exemple mué en cyberculture (Turner, 2006) et les GAFAM (Smyrnaios, 2017) ont construit leur modèle économique en récupérant cette contre-culture. La production et la distribution de l’information sont les éléments les plus importants de la chaîne de valeur de ces grandes firmes. Construction des représentations sur le métier de Community manager au Sénégal 47 Dans les deux cas, les déterminants affectifs et cognitifs prennent une part importante. L’économie du savoir (Machlup, 1962) prend de l’ampleur et les employés manipulent de plus en plus des informations. Avec l’avènement du Web, plusieurs vocations sont nées. Les innovations techniques se sont accompagnées de mutations dans les manières de faire : « la pensée communicationnelle nous aide à admettre que dispositifs et dispositions se construisent ensemble » (Merzeau, 2009, 4). Dans des logiques de ruptures et de continuités dans leur dynamique de professionnalisation (Brulois et al., 2016), ces métiers de la communication qui se développent sont perpétuellement sujets à adaptation. La transposition des interactions dans un environnement numérique nécessite la professionnalisation de nouvelles pratiques, de l’animation de communautés à la production de contenus pour les médias sociaux, en passant par la gestion de la relation-client. Cette dernière démarche, par des dimensions temporelles, relationnelles et opérationnelles, « permet de développer et d’améliorer les relations avec les clients » (Lefébure et Venturi, 2004, 33). Le métier de community manager qui fait partie de cette palette de métiers de la communication et du marketing arrimés au « digital », a fait l’objet de plusieurs études depuis son avènement avec les SACI1. Comme la plupart des autres métiers liés au numérique, celui de community manager est abordé selon plusieurs approches. Nous avons une approche experte constituée de manuels, de boîtes à outils produites pour l’aspect pratique de la fonction. Cette approche est présente dans plusieurs manuels sur la communication et le marketing (Adary, Mas et Westphalen, 2020 ; Lendrevie, Lévy et De Baynast, 2017) ainsi que d’autres ouvrages consacrés exclusivement au Community management (Mazier, 2013 ; Chauvin, 2011 ; Chéreau, 2011 ; Guéguen, Favérial et Ertzscheid, 2010) et aux métiers du numérique. On note aussi que des approches critiques sur le community management (Galibert, 2011) comme une instrumentalisation des liens communautaires sont développées. Enfin, des approches descriptives sur la figure du community manager, l’évolution des représentations sur ce métier (Larroche, 2015), ainsi que sur ses pratiques, ses logiques et ses défis sont répertoriées (Coutant et Stenger, 2011). Plusieurs autres productions scientifiques sur le métier de community manager ou sur des thématiques y touchant sont développées. Ces productions, pour l’essentiel, le définissent selon des modalités différentes, mais se rapprochent de ces trois approches. 1 « Service et Application Communautaires sur Internet : tous les dispositifs sociotechniques de communications partagées écrites sur Internet, pouvant donner prise à la formation d’une socialisation primaire de type communautaire. Nous postulons la nature réciproque (logique de don) et communicationnelle (éthique de la discussion) comme critère d’identification empirique de ce lien communautaire en ligne. » Galibert, O. (2011). Une approche (post-) critique du community management sur Internet. Dans B. Cordelier, Web social, communautés virtuelles et consommation. 79e Congrès international ACFAS. Québec, Canada : Chaire de relations publiques et communication marketing de l’UQAM, 129. 48 La professionnalisation des pratiques autour des commentaires numériques Dans une logique de capitalisation propre à l’économie de l’attention (Citton, 2014), c’est par le biais des échanges avec les internautes que se construit la perception que ces derniers ont de cette figure. Cette conception se rapproche fortement de la pensée d’Arlie Russell Hochschild (2012) selon laquelle le travail se déplace du registre physique au registre psychique et émotionnel (Andela, 2015). Au Sénégal, le métier de community manager est encore en construction. Au sens de Valérie Larroche, un métier suppose un : ensemble d’activités, de compétences et de tâches réunies sous une dénomination et intégrées à une fiche métiers rédigée par un organisme reconnu dans le secteur du recrutement (comme l’Apec) ou par les acteurs reconnus par les spécialistes de la communication et du marketing. (Larroche, 2015, 128) Un référentiel du métier de community manager avec les tâches clés dévolues au titulaire du poste, rédigé de manière consensuelle par les travailleurs du secteur, des acteurs dotés d’une légitimité sociale (Bouquet, 2014) ou une structure reconnue, n’existe pas au Sénégal. Sur le plan institutionnel, le community manager peut donc être une fonction à part entière dans une organisation ou s’inscrire dans un portefeuille de poste où il est considéré comme une compétence parmi d’autres. En outre, le rôle uploads/Management/ 59043-texte-de-l-x27-article-104113-1-10-20210223.pdf

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  • Publié le Sep 25, 2022
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