« Prologue », Comment analyser une pièce de théâtre. Éléments de dramatologie,
« Prologue », Comment analyser une pièce de théâtre. Éléments de dramatologie, p. 11-17 DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06036-9.p.0011 La diffusion ou la divulgation de ce document et de son contenu via Internet ou tout autre moyen de communication ne sont pas autorisées hormis dans un cadre privé. © 2017. Classiques Garnier, Paris. Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays. PROLOGUE Afin de satisfaire l’aimable curiosité du lecteur qui se penche sur les pages préliminaires d’un livre – peut-être même avec une certaine pré- disposition à le lire –, rien de plus honnête que de lui déclarer clairement ce qu’il pourrait et ce qu’il ne pourra y trouver. Nous lui épargnerons ainsi de nourrir des illusions injustifiées au moment d’entreprendre la lecture. Commençons donc par dire que, du point de vue négatif, qui est le plus fiable, ce livre ne donne pas une réponse à la question for- mulée par le titre. Non seulement parce que je ne la possède pas mais aussi, pire encore, parce qu’il n’y en a pas. Rassurons-nous : cela signifie qu’il n’existe pas une seule réponse à la question, non pas qu’il n’y en a aucune. En effet, on peut être certain que les réponses sont légion, presque trop, et que ce n’est pas au vide mais à la confusion que l’on fait face en posant la question, dont on évaluera mieux la difficulté en formulant cette autre question : « Comment est-ce qu’une pièce de théâtre se fait ? » Il s’agit, en effet, d’une formulation différente mais symétrique de la même question. On sait que les procédures d’analyse de pièces de théâtre sont nom- breuses et variées, comme c’est le cas pour les œuvres littéraires et artistiques en général. C’est pourquoi la seule réponse honnête à notre question est : « De nombreuses façons. » Un tel chemin, que nous allons écarter, nous amènerait à essayer les taxonomies et énumérations, jamais exhaustives, correspondant à différentes méthodes ou techniques d’analyse. La seconde réponse digne de foi, dans le sens le plus exigeant de « comment doit-on » – non pas de « comment peut-on » – analyser, devra être : « Ça dépend ». Or, c’est par la voie spéculative ouverte par cette réponse que je crois possible d’obtenir de véritables réponses, quitte à affronter de formidables difficultés. Je remarque, par exemple, qu’en général, les réponses claires et simples ont une utilité pratique restreinte, alors que les réponses pratiques (censées nous apprendre quelque chose) sont trop obscures et complexes. © 2017. Classiques Garnier. Reproduction et diffusion interdites. 12 COMMENT ANALYSER UNE PIÈCE DE THÉÂTRE Voyons donc : comment doit-on analyser une pièce ? Ça dépend. De quoi ? Des trois facteurs suivants, selon moi : les caractéristiques de l’œuvre, celles de l’analyste, ainsi que les intentions de ce dernier. Par exemple, quelle est la qualité décisive de ce dernier dont dépend le succès de sa tâche ? C’est, sans aucun doute pour moi, l’intelligence. Il apparaît malheureusement évident que cette réponse, des plus nettes et simples qui soient, ne s’avère pas pratique, pédagogiquement parlant. Rappelons, si nécessaire, la sentence d’Héraclite, que l’on ne peut qu’accepter : « L’érudition n’apprend pas être intelligent ». Ni l’érudition – très utile pour l’analyse, cependant – ni, probablement, rien d’autre. Je me presse d’admettre que j’entends intelligence dans un sens restrictif, « ancien », peut-être élitiste et, par conséquent, politiquement incorrect, mais dont je suis pourtant convaincu de la pertinence. Qualité fuyante, impossible à enseigner ou à acquérir, comble de la précarité, elle consiste, selon Ortega y Gasset (1930 : 362), en súbitas, instantáneas visiones y entrevisiones que nadie sabe cuándo ni si van a producirse. La gracia mayor de la inteligencia, que es a la vez la condición de su ejercicio, es que no está nunca segura de sí misma. El hombre inteligente, precisamente porque es inteligente, no sabe nunca si en el momento inmediato va a ser inteligente. El que cree con seguridad en la permanencia de su perspicacia es precisamente el tonto. El inteligente camina siempre teniendo a la vista las posibles tonterías que se le pueden ocurrir y por eso las evita. « en de soudaines et instantanées visions et entrevues dont personne ne sait quand ni si elles vont se produire. La grâce la plus grande de l’intelligence, qui est en même temps la condition de son exercice, est qu’elle n’est jamais sûre d’elle-même. L’homme intelligent, précisément parce qu’il est intelligent, ne sait jamais s’il va être intelligent dans le moment qui suit immédiate- ment. Celui qui croit sûrement dans la permanence de sa perspicacité est précisément le crétin. L’intelligent marche toujours en gardant un œil sur les possibles imbécilités qui pourraient lui traverser l’esprit et c’est pour cela qu’il les évite. » Les difficultés ne diminuent pas lorsque l’on passe du sujet à l’objet d’analyse. Le fait qu’il ne s’agisse pas d’une œuvre en particulier, mais d’une « classe » ou d’un « type » d’œuvres, complique extrêmement la tâche. Afin de commenter Don Juan Tenorio ou Cyrano de Bergerac, par exemple, nous savons assez clairement où obtenir les informations – biographiques, historiques, critiques – utiles. Dans notre cas, cepen- dant, nous avons affaire à n’importe quelle œuvre de théâtre, toutes en © 2017. Classiques Garnier. Reproduction et diffusion interdites. Prologue 13 général et aucune en particulier, à un objet qui englobe, en nous limitant à notre culture, non seulement toutes les œuvres produites depuis les Grecs jusqu’à aujourd’hui, mais aussi toutes celles à venir, toutes les pièces possibles ; un objet, par conséquent, parfaitement théorique, pour lequel les notions disponibles ne peuvent être que théoriques : à quoi serviraient les connaissances biographiques, historiques ou critiques ? Si ce livre appartient légitimement au domaine de la théorie de la littérature, ce n’est pas parce qu’il traite de l’analyse mais de par le caractère abstrait et général, théorique donc, de son objet : la classe, le type ou le genre « pièce de théâtre ». Certainement que le lecteur qui doit analyser telle ou telles pièces ne trouvera pas ici des informations les concernant – cela serait impossible –, la principale restriction de ce livre consistant à effectuer l’analyse de la pièce de théâtre uniquement en tant que pièce de théâtre. Puisque que tout savoir peut être remis en question lors d’un exercice aussi libre et ouvert que l’interprétation ou le commentaire, et en partant du principe que personne ici n’espère trouver une encyclopédie, il me semble qu’un tel livre requiert un type de connaissance plus restreint et technique. Nul doute qu’il serait pratique pour nous d’affronter l’objet à analyser munis d’un instrument de mesure, de certaines prévisions sur ses caractéristiques, de certains « modèles » avec lesquels on puisse le comparer ; compter, au bout du compte, sur des connaissances que l’on puisse enseigner et apprendre. Afin d’analyser (et finalement, décrire et évaluer) n’importe quelle « classe » d’objets ( qu’il s’agisse d’une table de travail, d’une pièce de théâtre ou d’un costume de bain), il s’avère utile avant tout de savoir comment ils sont faits et à quoi ils servent, en d’autres termes, de déterminer leur forme et leur fonction, étroite- ment liées entre elles. Or il apparaît clairement que la classe « pièce de théâtre » s’avère plus difficile à définir que celles « table de travail » ou « costume de bain ». D’où le défi authentiquement théorique que ce livre se propose de relever : parfaire un modèle ou une méthode cohérente pour analyser ce type d’œuvres. Par l’emploi du terme analyse, j’entends exprimer la seconde restriction d’envergure de mon essai. Il s’agit de tailler dans le concept trop ouvert et peu manipulable de commentaire afin d’en extraire les opérations analytiques exigeant une connaissance technique de l’objet et permettant d’en identifier les éléments significatifs en les isolant (artificiellement) des opérations, au © 2017. Classiques Garnier. Reproduction et diffusion interdites. 14 COMMENT ANALYSER UNE PIÈCE DE THÉÂTRE caractère plus créatif et synthétique, consistant à attribuer un sens aux éléments analysés, c’est-à-dire, de l’interprétation ou du commentaire proprement dit, dans lequel une accumulation tellement vaste et variée de savoirs et intentions entre en jeu qu’elle résiste à toute tentative de systématisation. L’analyse est donc, si l’on uploads/Management/ comment-analyser-une-piece-de-theatre-elements-de-dramatologie-prologue.pdf
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- Publié le Jui 16, 2022
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