13 Contrôle de gestion et gouvernance : des espaces pour penser par Yann Quemen
13 Contrôle de gestion et gouvernance : des espaces pour penser par Yann Quemener1 Résumé Cet article est une contribution à l’étude des liens entre contrôle de gestion et gouvernance. L’approche classique de la gestion a principalement vu dans la gouvernance et le contrôle de gestion des espaces de décision. Les problématiques de mise en œuvre pratique des principes de gouvernance semblent renouveler l’approche et nous invite à y voir également, des espaces pour penser. Abstract This paper is a contribution to the study of links between management control and governance. The classical approach to management has primarily considered governance and management control as decision spaces. The issues related to the practical implementation of the principles of governance seem to be renewing the approach and invite us to see also, spaces for thinking. Force est de constater que les recherches portant sur la gouvernance et le contrôle de gestion sont quasiment toujours pensées séparément. Les quelques travaux qui ont abordé ces sujets conjointement ont notamment interrogé les limites d’une articulation gouvernance-contrôle fondée sur un principe disciplinaire de conformité (Sundaramurthy et Lewis, 2003). Ils ont aussi adopté une approche idéologique du lien entre contrôle et gouvernance (Pesqueux, 2005), étudié le lien contrôle de gestion-gouvernance dans un contexte spécifique (Van Veen-Dirks et Verdaasdonk, 2009) ou analysé la question du reporting pour les membres des Conseils d’Administration (Johanson, 2008, CIMA, 2003, 3005). Le rôle du contrôle de gestion dans la gouvernance est relativement peu questionné car leur lien est souvent perçu comme une articulation lisse et non problématique. Bouquin et Fiol (2007) constatent ainsi que pour le COSO, « l’élaboration des objectifs d’ensemble de l’organisation, de ses missions, le chiffrage des performances et les plans stratégiques ne relèvent pas du contrôle interne (COSO 1992, 1994, p33) ». La dimension “performance” de la gouvernance est négligée (Busco et al, 2007) et le contrôle de gestion est pensé comme un levier fonctionnel alimentant un processus hiérarchique de déclinaison des décisions. Ceci contribue à déconnecter les deux champs de recherche et laisse à penser que l’étude des 1. Yann Quemener, ESC Bretagne Brest, yann.quemener@esc-bretagne-brest.com 39 14 liens entre ceux-ci ne présente que peu d’intérêt. Certains travaux, toutefois, ont étudié le rôle et l’intégration du contrôle de gestion dans une perspective élargie de la gouvernance (Pesqueux, 2002 ; Busco et al, 2007 ; Fahy et al, 2005 ; CIMA, 2004 ; Seal, 2006 ; Bouquin et Fiol, 2007 ; Bisbe et Otley, 2004, Donada et al, 2008). Dans cette perspective, la gouvernance ne se réduit plus à une question de discipline (Charreaux, 2002 ; Wirtz, 2006 ; CIMA, 2004). Au-delà des instruments de contrôle, c’est sur « l’adaptation de la configuration de gouvernance (en termes de stratégie, de structure et de contrôle) aux évolutions de l’environnement» (Donada et al, 2008) qu’il convient de porter son attention. Au-delà des principes, ces travaux nous invitent à nous interroger sur la question de la mise en œuvre pratique de la gouvernance (Bouquin, 2008 p.23) et du rôle attribué au contrôle de gestion. Nous nous inscrivons dans ce courant de recherche et souhaitons prolonger la réflexion en montrant qu’entre décision et action, gouvernance et contrôle de gestion peuvent également être conçus comme des « espaces pour penser », c’est-à-dire des espaces, au sens de Quattrone et Hopper (2005) où différentes rationalités se rencontrent et d’où émerge une action collective. L’articulation entre gouvernance et contrôle de gestion se réduit-elle à un savoir discrétionnaire maîtrisé par une poignée de spécialistes et devant se décliner en cascade, le long de lignes hiérarchiques ? Quelle est l’influence des logiques locales dans l’articulation entre gouvernance et contrôle de gestion, c’est-à-dire dans l’usage et la conception des dispositifs de « bon gouvernement » (Pesqueux, 2002) ? Nous développons une approche de l’articulation entre contrôle de gestion et gouvernance qui intègre l’idée d’une structuration dynamique des entreprises (Vaujany, 2005). Dès le début des années 90, certaines études se sont appuyées sur la théorie de la traduction pour étudier des problématiques de contrôle de gestion (Robson, 1991, 1992 ; Chua 1995 ; Briers et Chua, 2001 ; etc.). Ce cadre théorique permet de mettre en évidence l’apport des logiques locales pour la conception de dispositifs de contrôle répondant à des principes de bon gouvernement. Dans la première partie nous décrivons la vision de la gouvernance et du contrôle de gestion comme des espaces de décision. Puis nous tentons de montrer qu’ils peuvent être également conçus comme des espaces d’action reposant sur des enjeux plus cognitifs liés à l’apprentissage et l’innovation. N’est-ce pas là finalement une invitation à considérer gouvernance et contrôle de gestion comme des espaces pour penser ? 15 1. Gouvernance et contrôle de gestion : espaces de décision L’approche dite disciplinaire de la gouvernance s’inscrit dans la posture traditionnelle des chercheurs en sciences de gestion qui focalise son attention sur la décision (Lorino, 2006 ; Urfalino, 2005). Pour Lorino (2006) « la gestion a historiquement pris le parti de conceptualiser les organisations comme des systèmes de prise de décision plutôt que comme des systèmes d’action collectifs et les instruments comme les réplications d’un réel (le monde externe ou les procédures de pensées sur le monde) plutôt que comme des ressources interprétatives engagées dans l’action ». Urfalino (2005) constate ainsi que « dans la première page et dans les premières lignes d’Administrative behavior, Simon installe une coupure entre action et choix (…) Du coup, le moment du choix ou de la décision s’oppose à celui de l’action ». Les outils de gestion et, partant, le contrôle de gestion, sont alors perçus, dans ce cadre, comme des artefacts inscrits dans des ruptures telles que contrôleur/controlé, ici/là-bas, avant/après (Andon et al, 2007) ou conception- utilisation (Vaujany, 2005, p. 33). Cette perception des organisations a donné un élan disciplinaire aux études portant sur la gouvernance, les réflexions se préoccupant principalement d’énoncer des principes de bonne gouvernance. La théorie de l’agence et les théories contractualistes ont cherché à réduire le risque d’opportunisme des dirigeants. Lorsque le discours sur la gouvernance est devenu plus partenarial (Charreaux et Desbrière, 1998 ; Blair, 1995), les bénéficiaires de la rente résiduelle se sont élargis à différentes parties prenantes. Nonobstant, la logique est restée disciplinaire : « La démarche reste celle de l’allocation optimale de façon à maximiser la valeur créée » (Charreaux, 2002). Partenariaux ou financiers, les fondements contractuels de la gouvernance ont pour objet la question du partage de la rente et la maîtrise des conflits d’agence. C’est un esprit de « conformance » (Busco et al, 2007, p.84) qui préside au déploiement des différentes techniques gestionnaires dans l’organisation : « la source de l’efficience est disciplinaire » (Charreaux, 2002). Dans la même perspective, le contrôle de gestion s’est essentiellement développé sur une conception normative des relations actionnaires-dirigeants. Dans cette approche, les actionnaires doivent s’assurer de la loyauté et de l’alignement de l’intérêt des dirigeants dans le but de préserver leur rente résiduelle. Restant à distance des processus de création de valeur, ils organisent le contrôle sur un mode fonctionnaliste, cherchant plus à discipliner les dirigeants qu’à co- construire la pertinence des dispositifs de gouvernance et de pilotage. Le « processus productif » demeure une boîte noire dont les ressorts et la mécanique sont réputés maîtrisés : « les théories contractuelles en accordant un intérêt quasiment exclusif aux conflits d’intérêts, à l’appropriation des rentes, ignorent la dimension productive de la construction des rentes » (Charreaux, 2002). Contrôle de gestion et gouvernance : des espaces pour penser 39 16 L’appareillage gestionnaire, le contrôle organisationnel, en charge de la mise en œuvre de la gouvernance se décline alors sur un mode normatif constituant « prioritairement, les moyens d’un contrôle de conformité, conformité des actions et du comportement des individus au ‘schéma’ préalablement conçu par les décideurs dirigeants » (Rouby et Solle, 2002). Depuis le développement, dans les années 1920 du modèle Sloan Brown, le contrôle de gestion s’est orienté vers un modèle financier servant d’appui aux préoccupations disciplinaires des actionnaires. Le ROI avait notamment pour objet d’intégrer leurs intérêts au management des différentes activités de l’entreprise. La gestion budgétaire impose aux managers une responsabilité tacite sur l’atteinte de résultats. Les dirigeants fixent la stratégie et attribuent des ressources. Charge ensuite aux entités opérationnelles de mettre en œuvre les plans d’action adéquats permettant de respecter la discipline financière qu’impose la logique actionnariale. Dans les années 80, la perte de pertinence des dispositifs traditionnels de contrôle de gestion a été révélée par les travaux de Johnson et Kaplan (1987). Ils ont notamment montré que les enjeux du pilotage traduits par les outils financiers n’épuisent pas la réalité opérationnelle et économique des entreprises. Mais les développements qui ont suivi, comme le Balanced Scorecard, se sont avérés, eux aussi, essentiellement disciplinaires dans l’esprit de leurs concepteurs (Naro et al, 2009). Autre avatar disciplinaire du contrôle de gestion, le développement de l’EVA dans les années 90 a accompagné l’émergence d’un renouveau des problématiques de gouvernance. L’avènement de l’EVA a traduit la remise des actionnaires au centre des systèmes de contrôle et d’incitation. uploads/Management/ controle-de-gestion-et-gouvernance-des-espaces-pour-penser.pdf
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- Publié le Jul 14, 2022
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