80 Orientation lacanienne III, 4 Jacques-Alain Miller Septième séance du Cours
80 Orientation lacanienne III, 4 Jacques-Alain Miller Septième séance du Cours (mercredi 23 janvier 2002) VII RÉFLEXIONS SUR LE MOMENT PRÉSENT - 2 - J’ai annoncé la dernière fois que nous allions consacrer ces quelques réunions de janvier et février à des réflexions sur le moment présent. Il s’agit du moment présent dans le mouvement psychanalytique, non pas dans l’actualité de la civilisation, comme il nous est arrivé de nous y engager, et il ne s’agit pas seulement de décrire, mais d’essayer d’anticiper, de palper les points vifs, les déchirures, autour de quoi il est susceptible de se rassembler le débat, qui aura lieu même lentement, même avec des précautions de distance, un essai d’anticipation, de préparation. J’ai présenté la dernière fois un argument simple sur ce qui fait, qui fera, la douleur exquise du mouvement psychanalytique, à savoir la tension entre la psychanalyse au singulier et la psychanalyse au pluriel. J’anticipe, je prophétise, je vois s’esquisser les termes d’un débat, d’un débat embarrassé sur la compatibilité de ces deux termes, leur articulation, toute une combinatoire qui peut déjà se dessiner à ce propos. On s’aperçoit en fait que l’idée de la psychanalyse au singulier, d’une seule psychanalyse, cette idée était protégée par l a notion de déviation, elle-même adossée à la notion d’orthodoxie. Freud avait voulu incarner l’unité de la psychanalyse dans une Association internationale, et quelles que soient les contingences de sa création, elle était dans la logique de son projet. C’est précisément parce que, pour Freud, la psychanalyse est Une que ses praticiens sont destinés à se rassembler tous. Il y a une connexion entre le Un et le Tout, comme une connexion entre la psychanalyse Une et la psychanalyse univers. Lacan, lui, s’est retrouvé hors du Tout, hors de cet univers au nom de l’Un. C’est-à-dire qu’il a validé l’idéal de la psychanalyse au singulier, il l’a assumé et il l’a retourné contre la psychanalyse univers, qu’il a au fond trouvée babélienne. Il a trouvé que la psychanalyse univers de son temps n’était pas conforme à la psychanalyse Une, et il s’est employé à fonder la psychanalyse au singulier. J’ai annoncé que, selon moi, il fondait la psychanalyse au singulier sur le retour à Freud et sur le retour à la logique. Nous sommes en même temps, dans le moment présent, à devoir appréhender la psychanalyse au pluriel. C’est au moins le nom, la dénomination qui émerge quand on ne peut plus réduire la multiplicité par un opérateur d’orthodoxie. D’où - ce que je vais formuler comme une hypothèse - le régime d’inconsistance sous lequel il est possible que doive vivre la psychanalyse, et qui repose sur une disjonction entre le prédicat psychanalyste et toute classe que l’on voudrait former à partir de là. La classe c’était la société analytique, la société des psychanalystes. On peut d’ores et déjà, après coup, d’où nous sommes maintenant, s’apercevoir que ce que Lacan a appelé l’École n’obéissait pas à la logique de la classe, que c’était un type d’ensemble bien particulier et où le “ tous psychanalystes ” devait s’accommoder de valences, de valeurs très distinctes du prédicat de psychanalyste. Dans cet ensemble que Lacan appelait École, de psychanalystes, il y avait d’une part ceux qui se disent psychanalystes, ceux qui de fait pratiquent la psychanalyse. Il y avait ceux qui, à force, se trouvaient validés dans leur exercice de fait sous le nom d’AME - analyste membre de l’École. C’est un titre qui faisait passer soi-disant du fait J.-A. MILLER, Orientation lacanienne III, 4 - Cours n°7 23/01/2002 - 81 au droit, pour employer un terme d’aujourd’hui, une sorte de blanchiment de la pratique empirique des psychanalystes. Et puis il y avait aussi ceux reconnus de droit comme psychanalystes, mais paradoxalement dans un temps préalable à leur pratique effective ou au moins indépendamment de leur pratique de fait. Autrement dit, trois valences fort distinctes du prédicat, certes combinables, mais qui n’étaient pas ordonnées du moins au plus, c’est-à- dire pas hiérarchisées entre elles. Pour ce qui est de ceux qui se disent psychanalystes et qui pratiquent de fait, pour éviter que ça paraisse le grade le moins élevé, Lacan disait tout simplement : “ Ce n’est pas un titre de psychanalyste ”. On se trouvait donc bien en peine de former une classe ou de distinguer vraiment des classes dans cette École, au point qu’elle s’est réduite progressivement à une simple liste, à une série, et on peut rétrospectivement s’apercevoir que l’École était déjà une introduction du régime d’inconsistance. Nous allons aujourd’hui toucher un second point vif, que va nous introduire, nous commenter Éric Laurent, comme prévu, avec un peu de retard par ma faute. Ce second point vif, c’est la tiercéité à tous les niveaux. Ce n’est pas un néologisme qui serait dû à Éric Laurent, mais une expression, sans doute toute récente, qui est venue vers lui, prononcée une fois, il y a une quinzaine de jours, par telle haute autorité ipéiste qui est dans le moment présent à la recherche des réponses à apporter à un certain brûlot qui leur a été présenté à l’automne dernier. Nous sommes donc nous- mêmes attentifs, vigilants, de saisir dans quels termes ce débat s’esquisse. Éric Laurent suppose que la tiercéité à tous les niveaux, c’est un futur slogan, que ce sera peut-être la réplique ipéiste dans ce régime d’inconsistance qui s’annonce. Il est frappant, comme l’indique Éric Laurent, que c’est une réponse bricolée à partir de Lacan, bricolée à partir de lambeaux de l’enseignement de Lacan. C’est un des enseignements, il faut bien dire, du moment présent que l’étonnante actualité de Lacan pour ceux-là mêmes qui, jadis, l’avaient mis de côté. Il est certain que la personne de Lacan, la pratique de Lacan, et l’enseignement de Lacan, sont mis au premier plan et servent de pivot au débat, nullement de notre fait, mais bien parce que c’est à cette personne, à cette pratique et à cet enseignement que se rapportent ceux-là mêmes qui cherchent aujourd’hui, en dehors du Champ freudien, à s’orienter, comme nous-mêmes, dans la psychanalyse et dans le devenir du mouvement analytique. Au point que l’on est conduit à revenir sur certains fondements de la pratique et de l’enseignement de Lacan pour apprécier leurs propos et pour les critiquer. C’est cela qu’Éric Laurent va présenter, c’est précisément à ça qu’il a recours, parce qu’il s’impose en effet, sans nulle torsion, de trouver la réplique dans des fondements qui sont par là même éclaircis, trouvent une perspective nouvelle, et en tout cas une actualité d’autant plus vive. Éric, je te donne la parole. Éric Laurent Jacques-Alain Miller situait l’enseignement de Lacan dans un double retour, retour à Freud et retour à la logique. J’interroge, dans cette perspective, le statut du cas, du récit de cas, la façon dont nous l’utilisons comme procédure démonstrative. Nous ne pouvons pas répondre simplement à cette question en disant que nos cas font retour à Freud et se formulent dans les concepts même qu'il nous a transmis et qu’ensuite ils sont articulés autour de la logique que les mathèmes de la psychanalyse structurent pour nous. Ce sont des réquisits. Nous formulons l'expérience dans les termes freudiens, et en même temps nous les construisons dans le cadre de la logique que Lacan a forgée. Mais en même temps nous sommes amenés à J.-A. MILLER, Orientation lacanienne III, 4 - Cours n°7 23/01/2002 - 82 saisir que le cœur de la question est cette bascule radicale du cas de l'analysant rapporté par un autre, au cas de l'analysant rapporté par lui- même. Cette bascule est congruente avec l’enseignement de Lacan selon lequel la structure dans ses aspects logiques est « dans le réel ». C’est un point de vue opposé à l’élaboration du cas comme « modèle » ou « représentation » d’un réel. Si le véritable cas est celui du passant aux prises avec son sinthome, témoignant ainsi de l'irréductible du symbolique dans le réel, que devient alors le récit de cas « des autres », celui qui s'échange lors des présentations publiques ou celui qui est présenté lors des supervisions ? Ce double versant du cas public et du cas qui s’expose dans les supervisions apparaît d’abord comme l’énoncé d'une opposition entre ce qui peut se dire entre praticiens, d’une façon ésotérique, et ce qui peut se dire « pour tous », de façon exotérique. Cette distinction nous vient de la philosophie. À notre époque du triomphe de la technique, elle se poursuit par la distinction entre ce que l’on peut dire entre spécialistes et ce que l'on peut dire à tous. Le contrôle relève par un côté de l’évaluation par un groupe de pairs, peer group evaluation. L’opposition entre ce qui est exposable devant tous, et ce qui l’est devant un groupe restreint de pairs montre que, même dans la culture technique, la barrière entre ésotérique et exotérique reste difficilement réductible. Cette première distinction n'est qu’un aspect du problème. Il faut sans doute la passe et la perspective de la passe uploads/Management/ cours-jacques-alain-miller-orientation-lacanienne-1-07.pdf
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- Publié le Nov 18, 2021
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