www.christianpuren.com – Janvier 2012 Page 1 sur 8 COMPTE RENDU DE LECTURE MAUR
www.christianpuren.com – Janvier 2012 Page 1 sur 8 COMPTE RENDU DE LECTURE MAURER Bruno, Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante. Paris : Éditions des archives contemporaines, 2011, 156 p. … ET DE RELECTURES PERSONNELLES Par Christian PUREN www.christianpuren.com Résumé Ce texte rend compte de l’ouvrage de Bernard MAURER, dont le vrai titre est le second : « Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante ». L’auteur de l’ouvrage y développe, avec de solides arguments et des citations très éclairantes, une critique en règle de l’orientation actuelle du Conseil de l’Europe – déjà présente dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, mais qui s’est renforcée depuis –, celle d’un enseignement-apprentissage des langues instrumentalisé au service exclusif d’une « éducation plurilingue et interculturelle ». L’auteur du compte rendu, Christian PUREN, accompagne d’extraits de ses propres articles la dénonciation de l’absence de débat démocratique et scientifique qui caractérise les travaux et publications de cette institution, ainsi que l’exigence d’un moratoire nécessaire pour évaluer concrètement sur le terrain les résultats des expérimentations déjà réalisées. Tous deux partagent les mêmes craintes concernant les effets pervers de cette orientation : minoration des compétences linguistiques dans l’apprentissage des langues, du rôle de l’école dans le développement des compétences en langues, du linguistique dans la formation des enseignants. Avis à tous les collègues qui se contenteraient, lors d’une rapide visite entre deux cours dans leur librairie préférée, de lire sur la tranche de l’ouvrage le seul titre, Enseignement des langues et construction européenne : non, ne passez pas votre chemin ! Il ne s’agit pas d’un ouvrage de plus célébrant les orientations du Conseil de l’Europe pour l’enseignement des langues. Vous n’y retrouverez pas une de ces gloses aussi respectueuses que besogneuses de l’inévitable Cadre Européen Commun de Référence. Sortez-le et regardez sur la couverture son sous-titre en petits caractères, parce que c’est son vrai titre : Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante. Je suppose que c’est une blague de l’éditeur, bien en avance sur le 1er avril 2012… L’ouvrage, lui, est très sérieux, c’est un « essai », même s’il faut attendre la conclusion finale pour trouver le mot. Là, c’est sans doute une blague de l’auteur. Mais le lecteur un tant soit peu attentif aura compris bien avant la page 151 qu’il s’agit de cela, d’un essai, et dans le genre critique. Très critique même, en forme de déconstruction et de dénonciation aussi implacables que convaincantes. Il était grand temps ! Je me sens un peu moins seul depuis la lecture de l’ouvrage de B. MAURER, parce que bien peu nombreux ont été en France les didacticiens, depuis la parution du CECR en 2001, à y critiquer l’abandon de la réflexion méthodologique ; à en dénoncer les insuffisances et les incohérences didactiques ; à alerter sur les risques liés au pilotage de l’enseignement par les résultats et à l’harmonisation forcée des systèmes scolaires www.christianpuren.com – Janvier 2012 Page 2 sur 8 qu’il promeut ; à pointer les logiques de marchandisation et de privatisation de l’enseignement et de la certification en langues dans lesquelles il s’inscrit ; à contester la légitimité d’« experts » choisis de manière totalement opaque ; à défendre l’idée que l’innovation la plus intéressante du point de vue didactique, ce ne sont ni les échelles de compétences, ni les compétences plurilingue et pluriculturelle, mais la perspective actionnelle, parce qu’elle implique par rapport à l’approche communicative-interculturelle des ruptures qui rendent cette nouvelle orientation didactique plus adaptée aux nouveaux enjeux sociaux européens (le faire société et le travailler ensemble) et à l’enseignement scolaire (grâce en particulier à la réactivation de la pédagogie du projet).1 Ce qui a été moins réjouissant pour moi – et le sera sans doute aussi pour tous les lecteurs –, c’est d’apprendre de B. MAURER que non seulement ces problèmes ont subsisté depuis la parution du CECR, mais qu’ils se sont aggravés depuis 2004-2005 avec la réorientation du Conseil de l’Europe vers un projet unique dont on retrouve l’appellation – « éducation plurilingue et interculturelle » – dans le titre des deux premières parties de l’ouvrage : 1. L’éducation plurilingue et interculturelle : le nouveau paradigme de l’éducation en Europe. 2. De quoi l’éducation plurilingue et interculturelle est-elle le nom ? Production et diffusion d’une idéologie. 3. Rôle de l’idéologie plurilingue dans la construction de l’Europe Je retrouve dans cet ouvrage de B. MAURER, constamment reprises à juste titre, les deux critiques les plus importantes que j’adresse depuis 10 ans au Conseil de l’Europe en ce qui concerne ses orientations et publications pour les langues ; « les plus importantes » non pas parce que les autres critiques seraient« secondaires », mais parce qu’elles sont « secondes » dans le sens où elles seraient sans objet sans les deux premières ; elles correspondent toutes deux à une absence de débat : – absence de débat démocratique concernant les orientations de politique linguistique préconisées par cette institution Dans mon article de 2006(b), j’écrivais ceci, à partir d’une position héritée de mon parcours de militant et président de l’APLV, l’Association française des Professeurs de Langues Vivantes : Il y a une forte contradiction à demander aux enseignants de former leurs élèves à la responsabilité citoyenne, et à proposer par ailleurs à leurs instances hiérarchiques, sans les consulter, des « conclusions » qui engagent lourdement la conception de leur mission. Ce qu’apporte B. MAURER dans son ouvrage, c’est un élargissement et un approfondissement de l’analyse, devenus nécessaires, concernant les préconisations de politique linguistique à l’adresse des États européens et de l’Union européenne, cette dernière institution reprenant généralement à son compte les orientations du Conseil de l’Europe sur les langues : Alors même que l’éducation plurilingue et interculturelle vise à l’émergence d’une citoyenneté européenne, il y a dans la manière dont s’opèrent ces réformes un déficit de citoyenneté et donc une contradiction majeure. (p. 2). […] on s’empresse de promouvoir l’éducation plurilingue et interculturelle comme un modèle dominant alors que son adoption n’a jamais fait l’objet de débats dans les États, que ses effets n’ont pas été appréhendés dans leur ensemble, et encore moins mesurés dans les détails. (note 13, pp. 25-26). L’éducation plurilingue et interculturelle, par la manière dont elle est élaborée, présente un concentré des déficits démocratiques de la vie politique européenne, de ceux qui suffisent à expliquer que vote après vote, les Européens se déplacent moins. (p. 105) 1 On peut retrouver toutes ces critiques dans de nombreux articles publiés ou republiés sur mon site personnel à l’adresse http://www.christianpuren.com/mes-travaux-liste-et-liens/, en particulier dans ceux référencés par les codes 2001e, 2001j, 2006b, 2006h, 2007a, 2007b, 2011e, 2011j (ces codes sont « cliquables » sur la version pdf du présent compte rendu). Voir aussi, sur mon « Blog-Notes », ma réaction à propos d'un projet européen soutenu par le Conseil de l’Europe sur « le plurilinguisme au travail », avec un titre explicite contenu dans l'adresse : http://www.christianpuren.com/2011/05/04/les-représentations-un-concept-de-plus-en-plus-fumigène/. www.christianpuren.com – Janvier 2012 Page 3 sur 8 – absence de débat scientifique sur les textes rédigés par ses « experts », aussi bien en amont qu’en aval de leur publication Depuis des années, lorsque j’écris sur les publications du Conseil de l’Europe, je mets toujours le mot « experts » entre guillemets pour deux raisons : a) parce leur légitimité est douteuse : on ne sait jamais par qui ils ont été choisis et sur quels critères, et donc à quel titre exactement et au nom de qui ils s’expriment (cf. titre du chapitre 2.2.1a. de l’ouvrage de B. MAURER: « Ambigüité [du statut] des rédacteurs : scientifiques, consultants ou conseillers ? », p. 86) ; ce qui est sûr, comme le dénonce aussi B. MAURER, c’est qu’ils organisent efficacement entre eux une « circularité des références et [un] contrôle des publications » (titre du chapitre 2.2.3., pp. 94-95) ; b) parce que je refuse la logique bureaucratique de l’expertise, non seulement parce qu’elle est anti-démocratique, mais aussi parce qu’elle est particulièrement inefficace dans un domaine tel que celui de l’enseignement-apprentissage des langues-cultures, dont la complexité est telle que les décisions adéquates ne peuvent être prises que par les acteurs eux-mêmes à leurs différents niveaux, depuis les États jusqu’aux enseignants. J’écrivais ainsi dans un article publié en 2006(h) : À l'opposé de toute logique hiérarchique et bureaucratique (fût-elle celle du Conseil de l'Europe...), il est temps désormais, avec les enseignants aussi, de passer de l'approche communicative (on les informe des dernières orientations décidées par des « experts ») à la perspective actionnelle (ils sont d'emblée partie prenante d'une action collective d'innovation). Et l’année suivante (2007a), à propos d’un de ces textes du Conseil de l’Europe, je proposais que cette institution, à défaut de pouvoir expertiser ses experts, fasse en sorte du moins que dans leur groupe soit assurés une réelle diversité de compétences et d’expériences ainsi qu’un réel débat scientifique, conditions qui pourraient éviter à l’avenir que ne soient publiés sous sa responsabilité des textes aussi discutables tant du point de vue didactique que politique et idéologique. Il y va de uploads/Management/ critique-de-la-doxa-du-plurilinguisme-et-du-pluriculturel-ch-puren.pdf
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- Publié le Aoû 17, 2021
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