Communications De la paléo- à la néo-télévision Francesco Casetti, Roger Odin C

Communications De la paléo- à la néo-télévision Francesco Casetti, Roger Odin Citer ce document / Cite this document : Casetti Francesco, Odin Roger. De la paléo- à la néo-télévision. In: Communications, 51, 1990. Télévisions / mutations. pp. 9-26. doi : 10.3406/comm.1990.1767 http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1990_num_51_1_1767 Document généré le 15/10/2015 Francesco Casetti, Roger Odin De la paléo- à la néo-télévision Approche sémio-pragmatique Cet article vise à mettre en évidence quelques-unes des transformations opérées dans le passage de la paléo- à la néo-télévision ; il s'attache plus particulièrement à comprendre, dans une perspective sémio-pragmatique, comment le changement de « dispositif » conduit à des changements dans les processus de positionnement du spectateur. Par-delà l'infinie diversité des comportements individuels et les grandes catégories de spectateurs repérées par l'analyse sociologique *, c'est donc du spectateur impliqué par le dispositif télévisuel qu'il sera question ici. Le recours au terme de « dispositif » est là pour indiquer que nous prendrons en compte non seulement ce qui se passe dans les émissions elles-mêmes (analyse immanente) mais le mode de consommation tel qu'il est programmé par un certain nombre d'agents externes. L'étude prendra appui sur ce qui se passe dans l'espace français et dans l'espace italien ; ces deux espaces constituent en effet deux bons terrains d'exploration : l'Italie est sans doute le pays d'Europe où l'explosion des télévisions privées a été la plus forte ; de son côté, la France est la seule en Europe à avoir dénationalisé une chaîne publique mais en même temps elle a toujours eu (du moins jusque- là) un réel souci de contrôler la prolifération des chaînes. Il ne faut toutefois pas se méprendre sur le rôle joué par ces références ; notre intention n'est pas de décrire le fonctionnement de la télévision en France et en Italie, mais de nous fonder sur les transformations repé- rables dans ces deux espaces pour construire deux modèles théoriques. On ne s'étonnera donc pas de nous voir grossir le trait (considérer comme accompli ce qui n'est qu'une transformation esquissée ou, inversement, présenter comme (dé)passé ce qui est encore présent sur telle ou telle chaîne) pour mieux faire apparaître la différence entre les deux modèles. Francesco Casetti, Roger Odin La paléo-télévision. En termes sémio-pragmatiques, la paléo-télévision se laisse décrire comme une « institution ». Par « institution », nous entendons une structure régissant dans son espace propre le recours à tel(s) ou tel(s) contrat(s) de communication 2. Fondée sur un projet d'éducation culturelle et populaire, la paléotélévision s'affiche d'abord comme fonctionnant au contrat de communication pédagogique ; suivant la formule de Jean-Louis Mis- sika et Dominique Wolton, les téléspectateurs y constituent une sorte de « grande classe » dont les professionnels de la télévision seraient les « maîtres » 3. Trois traits caractérisent la communication pédagogique : elle a comme objectif de transmettre des savoirs ; c'est une communication vectorisée avec tout ce que cela comporte de volontarisme, presque de dirigisme, dans la façon d'interpeller son Destinataire ; enfin, c'est une communication fondée sur la séparation et la hiérarchisation des rôles : il y a ceux qui sont détenteurs du savoir et ceux auxquels on cherche à le communiquer. Cette posture pédagogique envahit plus ou moins toutes les émissions quels que soient leur fonction et leur genre ; elle constitue la position énonciative majeure de la paléo-télévision, son image de marque : ce qui fait qu'on la regrette, mais aussi ce par quoi parfois elle agace (que n'a- t-on pas dit contre l'ennui généré par ce ton jugé trop pédagogique !). Par-delà ce contrat massif et insistant, la paléo-télévision met en œuvre un second niveau contractuel correspondant à un mode spécifique de structuration du flot 4. Dans la paléo-télévision, le flot se présente en effet comme une succession d'émissions fonctionnant chacune suivant un contrat de communication spécifié. La paléo-télévision donne à ses spectateurs la consigne d'être disponibles à la demande de ses émissions et leur fournit les moyens d'identifier sans difficulté les contrats proposés : nette répartition des émissions en genres (fictions, informations, sports, émissions culturelles, émissions de divertissement, etc.) ; ciblage de publics spécifiques : émissions pour enfants, émissions pour le troisième âge {Télé-Troisième âge, d'Eve Ruggieri, sur TF1), émissions pour les passionnés d'automobiles et de motos (Auto- Moto), pour les amateurs de musique (Musiclub), pour les amis des bêtes (Terre des bêtes), etc. ; inscription des émissions à l'intérieur d'une structure temporelle rigide avec une périodicité et des scansions bien définies : ainsi, sur telle chaîne, tel jour est le jour des 10 De la paléo- à la néo-télévision variétés, tel autre celui du cinéma, tel autre celui du sport ; les noms des émissions marquent cette régularité : Les Mardis de l'information, Sports Dimanche (sur la 1) ; Dimanche Magazine, Dimanche Martin (sur la 2), Le Nouveau Vendredi (sur la 3) 5 il y a des rendez- vous privilégiés : le Ciné-Club du vendredi, le psychodrame de Polac le samedi soir, L 'Heure de vérité le mercredi, etc. Dans le cours même d'une journée, les émissions succèdent aux émissions avec des séparations fortement marquées de l'une à l'autre. En bref, dans la paléotélévision, le flot est soumis à une grille de programmation jouant pleinement son rôle structurant. Publiée dans la presse écrite, cette grille permet au spectateur de faire son choix et de se préparer à effectuer les opérations de production de sens et d'affect liées au contrat de communication correspondant à l'émission choisie. Le passage de la paléo- à la néo-télévision se caractérise par une remise en cause de ces deux niveaux de fonctionnement. Un changement de modèle relationnel. La néo-télévision rompt avec le modèle de communication pédagogique de la paléo-télévision. L'un des aspects les plus visibles de cette transformation réside 11 Francesco Casetti, Roger Odin dans le refus affiché d'une communication vectorisée et dans l'introduction de processus d'interactivité : à tout moment, via les questions du présentateur, le téléphone (Pronto la RAI, Linea rovente, Telefono giallole), le Minitel, ou la caméra, le spectateur est consulté, interpellé, incité à intervenir et à donner son avis. Trois grands rôles lui sont assignés ; celui de mandant, avec la multiplication des programmes à la demande [Marisa la Nuit, Candid Camera ; dans La Une est à vous, les téléspectateurs peuvent voter en composant le 1 6 1 47 87 33 33 pour choisir un titre de série dans chacun des quatre genres proposés : aventures, fiction, policier, comédie) ; celui de participant : c'est bien sûr le cas dans toutes les émissions de jeu, mais les dramatiques et les fictions elles-mêmes commencent à réclamer son concours : dans les Procès reconstitués, de Marcel Jullian, le public joue par Minitel le rôle de juré ; Salut les homards (série de G. Bensoussan, sur TF1) demande au spectateur de résoudre les problèmes qui se posent à la famille Rivière ; enfin, celui d'évaluateur de la performance de l'invité dans les débats politiques, évaluateur des participants aux jeux (dans « Le jeu de la séduction », le spectateur doit dire laquelle des trois jeunes filles sélectionnées pour le jeu a le mieux séduit l'invité du jour), évaluateur de la télévision elle-même : enquêtes, sondages, audimétrie, jamais le spectateur n'aura été autant interrogé. A la néo-télévision, le centre autour duquel tout s'organise n'est plus tant le présentateur (le porte-parole de l'institution) que le spectateur dans sa double identité de téléspectateur qui se trouve devant son poste et d'invité qui se trouve sur le plateau de l'émission (notre tenant-lieu dans l'espace télévisuel). La néo-télévision n'est plus un espace de formation mais un espace de convivialité. L'espace de la néo-télévision par excellence, c'est celui du talk- show ; talk-shows avoués (Apostrophes, Libre-Echange, Pronto la RAI, Linea rovente), talk-shows déguisés en variétés ou en magazine (Télématin, Télé-Caroline, Nulle part ailleurs, Surtout le matin, Panique sur le 16) ; rares sont les émissions qui ne flirtent pas avec cette structure. Même les grands événements sont traités sur ce mode : la retransmission du concert de Madona à Turin (Rai Uno, le 4 septembre 1987) était interrompue par des témoignages et des échanges d'impressions ; même chose pour les reportages sportifs sur le Bol d'or ou les Vingt-Quatre Heures du Mans. La néo-télévision, c'est « le dernier endroit où l'on cause ». Il n'est plus question de transmettre un savoir mais de laisser libre cours à l'échange et à la confrontation d'opinions ; les affirmations cèdent le pas aux interrogations, le discours institutionnel au discours individuel. Chacun 12 De la paléo- à la néo-télévision (le présentateur, les invités, les téléspectateurs) énonce son idée sur la question : le célibat des prêtres, la guerre du Liban, l'élevage industriel des poulets, le dopage des sportifs, etc. Peu importe que l'on ne soit pas spécialiste, peu importe même qu'on ignore tout du sujet proposé, l'essentiel est d'en parler, l'essentiel est de parler. Débats et dialogues tournent aux discussions style « Café du Commerce » ; le contenu des échanges (leur banalité, leur platitude, leur bêtise même) importe peu, et l'on ne craint ni les redites, ni les hésitations, uploads/Management/ de-la-paleo-a-la-neo-television-pdf.pdf

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  • Publié le Jul 22, 2022
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