Demeure et altérité: mise à distance et proximité de l’autre par Perla Serfaty-

Demeure et altérité: mise à distance et proximité de l’autre par Perla Serfaty-Garzon* et Montagna Condello, IN ARCHITECTURE ET COMPORTEMENT Vol. 5, no 2, 1989 pp. 161-173 *Ce texte a été publié pour la première fois par Perla Serfaty-Garzon sous le nom de Perla Korosec-Serfaty. Perla Serfaty-Garzon Demeure et altérité : mise a distance et proximité de l’autre 2 ©Perla Serfaty-Garzon Texte téléchargé sur le site http://www.perlaserfaty.net La diffusion de ce texte est autorisée à condition d’en citer la source: http://www.perlaserfaty.net/texte11.htm Résumé Cette étude tente une analyse de 1a relation à autrui chez soi. Elle s’appuie .sur les données rassemblées au cours d’entretiens avec vingt-huit femmes âgées de 30 à 35 ans. L’ouverture de la maison apparaît comme une situation, dont la configuration de facteurs interdépendants est dynamique, créant un changement constant du sens de l’échange. Les visiteurs, désignés comme étrangers complets, étrangers familiers, connaissances ou proches sont accueillis sur la base de ‘contrats d’usage de la maison’ temporaires, dont les termes ne les laissent jamais totalement libres de leurs gestes. Perla Serfaty-Garzon Demeure et altérité : mise a distance et proximité de l’autre 3 ©Perla Serfaty-Garzon Texte téléchargé sur le site http://www.perlaserfaty.net La diffusion de ce texte est autorisée à condition d’en citer la source: http://www.perlaserfaty.net/texte11.htm I. La demeure comme espace du secret et de la sociabilité privée Nous avons souligné, au cours de travaux antérieurs sur la phénoménologie de la demeure (Korosec-Serfaty, 1984a; Korosec-Serfaty, 1983a, 1985b; Korosec-Serfaty et Bolitt, 1986) l’importance du secret dans 1’expérience moderne et occidentale de l’habiter. Cette vision de la demeure comme lieu du secret dérive directement de celle du privé comme valeur et comme droit. Dans ce contexte culturel et historique, La maison devient un espace de jouissance et d’exercice légitime de l’intimité et de la distanciation par rapport aux autres. Mais le secret n’existe que dans sa reconnaissance en tant que tel par les autres. Il n’est pas seulement soustrait à ces derniers par la personne, mais aussi un mode de relation qui consiste, pour celle-ci, à inviter autrui à respecter l’existence d’un tel domaine réservé, lui appartenant en propre. En d’autres termes, l’expérience du secret est aussi celle de la quête de sa légitimité Dans cette quête, le sujet évite le risque de l’aliénation en s’inscrivant dans une dialectique de disponibilité et de révélation à autrui. L’objet de cette étude est donc l’autre pole dialectique du secret, c’est-à-dire l’hospitalité telle qu’elle se manifeste dans les divers modes de la sociabilité privée Nous ferons l’hypothèse que les divers modes de la sociabilité privée s’appuient sur une vision de l’hospitalité reconnue id comme une disponibilité vis-à-vis d’autrui, c’est-à-dire s’appuyant sur une attitude de reconnaissance de son existence comme personne au sens éthique du terme. Nous nous proposons de montrer la part des représentations et celle des pratiques de la sociabilité dans la conception du chez-soi comme lieu du secret, et, pour ce faire, de rattacher celles-ci aux sous-territoires de la maison où elles prennent place. Dans la mesure où, dans une maison, n’importe qui n’entre pas n’importe où, il devient important de poser, de surcroît, une double question: qui entre où et quel accueil lui est-il fait? Nous sommes ainsi conduites à cerner, dans un même mouvement, les repères, les pratiques, les lieux et les acteurs de cette forme particulière de sociabilité dite ici ‘sociabilité privée’, par opposition à la ‘sociabilité publique’ (Korosec-Serfaty, 1988). Cette approche situe donc ce travail également dans le champ de la problématique, posée depuis les travaux de Park (1925) sur l’influence, dite négative, de la vie urbaine sur les liens sociaux. De ce point de vue, la vie urbaine a pour résultat un désengagement de l’individu des réseaux familiaux et amicaux qui étaient traditionnellement serrés, avec pour résultats notables le déclin de la vie communautaire dune part, et la dégradation do la confiance sociale d’autre part. Les travaux de Fischer (1982) défendent pourtant la thèse opposée, et dénoncent ce déclin comme un mythe. Perla Serfaty-Garzon Demeure et altérité : mise a distance et proximité de l’autre 4 ©Perla Serfaty-Garzon Texte téléchargé sur le site http://www.perlaserfaty.net La diffusion de ce texte est autorisée à condition d’en citer la source: http://www.perlaserfaty.net/texte11.htm Ce n’est ni la qualité ni la force des réseaux qui auraient changé, mais les styles d’intégration à une série de réseaux extrêmement diversifiés. Ouvre-t-on volontiers sa porte? Est-on indifférent à autrui? Qui met-on à distance, et pourquoi? Qui met-on à distance et pourquoi? Le retour à la parole du sujet devrait permettre à la fois une description de la sociabilité privée et une phénoménologie de l’hospitalité et donc du rapport à autrui dans la maison. 2. Échantillon et méthode d’analyse L’étude que nous présentons ici s’appuie sur les données rassemblées au cours d’entretiens avec vingt-huit femmes âgées de 30 à 35 ans. Nous nous sommes limités, dans un premier temps, à nous adresser à des femmes seulement. Nous pressentions quo les femmes nous réserveraient bon accueil et seraient disponibles pour de longs entretiens simplement parce que la sociabilité constitue un aspect fondamental de leur rôle social tel qu’il est défini traditionnellement. Partant de l’idée que la vision moderne de la maison est celle d’un espace de retrait, nous avons pensé que le nouveau modèle valorisé de femme-mère au travail (Segalen, 1981) ne rendait pas caduque leur rôle traditionnel de ‘gardiennes du foyer’ et que des femmes seraient, en conséquence, des interlocutrices particulièrement désireuses de nous livrer des justifications de leur attitude, d’aller au-delà des manières de faire pour nous faire percevoir des manières de penser les relations à autrui, des valeurs, en somme une éthique de l’hospitalité et du bon usage de la maison comme espace de sociabilité. Ce choix dessine une des limites de cette étude, puisqu’elle privilégie la parole de celles que la société charge de clore et d’ouvrir les demeures, mais se déroule comme si elles accomplissaient ce rôle seules, sans s’inscrire par exemple, dans une dynamique de couple, familiale, ou de classe. Il garantit pourtant l’existence d’un contexte psychologique et social favorisant un dialogue, comme la longueur et la richesse des entretiens l’ont prouvé par la suite. Toutes les personnes rencontrées dans le cadre de cette étude habitent des maisons individuelles ou des appartements dans de petits immeubles collectifs neufs, à la périphérie dune petite commune, non loin de Strasbourg (France). Cet ensemble d’habitations ne constitue pas une banlieue au sens propre du terme, mais une extension d’une petite ville très dépendante de Strasbourg qui représente un cas, fort répandu dans la région, du quartier récent, habité par des familles dont les chefs sont jeunes et de niveau socio-économique semblable, qui travaillent quotidiennement a Strasbourg - très proche et facilement accessible -, y font leur achats à un rythme hebdomadaire et s’y distraient régulièrement (Renaud, 1978; Korosec-Serfaty, 1984). Perla Serfaty-Garzon Demeure et altérité : mise a distance et proximité de l’autre 5 ©Perla Serfaty-Garzon Texte téléchargé sur le site http://www.perlaserfaty.net La diffusion de ce texte est autorisée à condition d’en citer la source: http://www.perlaserfaty.net/texte11.htm L’échantillon est d’une relative homogénéité. L’étude concerne une population qui appartient à l’origine aux couches économiques inférieures de la classe moyenne et qui accède aujourd’hui à la propriété de l’habitation. Il faut noter que ce quartier est entièrement résidentiel et piétonnier, n’offrant donc pratiquement aucun prétexte de visite à un ‘étranger’, exceptées les visites se situant justement dans le contexte de la sociabilité organisée. L’échantillon est principalement composé de mères de famille, une seule femme étant célibataire, et trois mariées sans enfants. Une lettre a été adressée à tous les sujets afin de leur demander de nous accorder un entretien. Dans un deuxième temps, une visite leur a été rendue, pour fixer la date de cet entretien. Nous n’avons essuyé aucun refus (un seul était motivé par un déménagement de la famille du quartier). Tous les entretiens, de type clinique semi-directif et centrés sur le thème de la sociabilité, ont pris place dans la maison des sujets, enregistrés puis intégralement retranscrits avant de donner lieu à une analyse de contenu thématique. Nous n’avons donc pas tenu compte de la dynamique ni de l’organisation du discours, mais de l’apparition et de la fréquence des thèmes, considérés alors comme des données à la fois comparables et segmentables (Bardin, 1983). Ce faisant notre but est de répertorier toutes les dimensions de la sociabilité telle quelle est vue, agie et vécue en fonction des visiteurs et des sous- territoires de la maison. 3. La sociabilité comme situation Qui entre où, quand et comment est-il reçu? À cette question, une seule réponse nous est donnée: ‘ça dépend’. Cela dépend de quatre types de facteurs interdépendants. Le premier est de nature temporelle et concerne le moment de la visite et sa durée. Le second porte sur 1’ identité du visiteur, c’est-à-dire l’ensemble constitué par son sexe et son “statut” dans sa relation à l’habitant: inconnu, ouvrier sollicité pour une tâche donnée, ami, parent, etc. Le troisième facteur est le but de la visite, tel qu’il est perçu par l’habitant et le quatrième enfin, la manière dont uploads/Management/ demeure-et-altcritc-un-texte-de-perla-serfaty-garzon.pdf

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  • Publié le Mar 05, 2022
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