LES MÉTHODES • METHODOLOGIES Dialogos z 14/2006 10 LA MÉTHODE DIRECTE Dan DOBRE

LES MÉTHODES • METHODOLOGIES Dialogos z 14/2006 10 LA MÉTHODE DIRECTE Dan DOBRE 1. Cadre historique et théorique général 1.1 Les origines de la méthode directe doivent être recherchées dans le manuel du célèbre auteur de Didactica Magna, le tchèque J. A. Comenius. Le manuel proposé en 1658 comprend des images et des mots en L2 insérés dans des descriptions de scènes de vie. La grammaire y est apprise «inductivement sans abus d’explications savantes» [1, p. 33]. Même orientation dans les travaux du didacticien français B. Lamy (1645 – 1715) qui affirmait qu’une L2 doit être apprise comme on a appris sa L1, sans traduction et sans savoir grammatical superflu [id.]. 1.2 Du point de vue théorique, les méthodes directes (car il y en a plusieurs) sont nées dans le contexte plus général du néo-behaviorisme qui prend ses distances à la fois du mentalisme et du behaviorisme «dur» skinnerien. Les théories médiationnelles (parmi lesquelles le modèle de la différentielle sémantique d’Osgood) enrichissent la mécanique stimulus – réponse d’une nouvelle entité intermédiaire – le contexte [cf. 4] - en tant qu’environnement où l’élève «se comporte » linguistiquement et psychologiquement. À cet égard, au niveau des mécanismes psychologiques sous-jacents, Osgood [4, p. 698] distingue quatre types de relations sémantiques comportementales qui déterminent « des comportements signifiants » [in 3]; il s’agit des relations de représentation, de médiation, d’empathie et de communication. Dans la méthode directe, le contexte joue un rôle décisif: «Le dénotatif correspond à un certain degré de communauté linguistique établissant une relation signe-référent relativement stable» [3, p. 48]. Le dénotatif « pur » doit être mis en relation avec le contexte, la signification étant pour l’apprenant la « somme des expériences qu’il a eues avec ce mot dans un environnement culturel donné » [id.]. Moyennant les acquisitions symboliques et linguistiques, on procède à une sorte de découpage du concret confiné à l’histoire de chaque individu. Cette façon de penser justifie l’idée qu’il n’y a pas d’équivalent exact entre les lexies appartenant à des langues différentes. On se trouve maintenant à l’époque de la remise en cause des structures branchées exclusivement sur le linguistique et de l’attribution d’un rôle capital à l’environnement et à la situation d’apprentissage. On passe d’une situation de communication structurée (par exemple du pattern des exercices structuraux) à une situation non structurée plus proche des situations de communication réelles. Si dans le premier cas il s’agit d’un système linguistique composé (compound language system) caractéristique de l’apprentissage scolaire, dans le second, on parle d’un système linguistique coordonné visant l’acquisition nouvelle « sur le terrain » [3, p. 51] d’une L2 dont le produit devrait être comparable, sinon identique, à celui d’un natif. C’est là le fondement théorique des méthodes dites « directes ». 1.3 En Europe, cette méthode fut en vogue à partir de la seconde moitié du XIX-ème siècle. Parmi ses tenants français de marque, il faut mentionner: J. J. Jacotot qui insista sur le « globalisme » de l’apprentissage, F. Gouin et P. Passy, ce dernier étant l’auteur d’une synthèse très précise du champ théorique de la méthode. En Angleterre, ses adeptes furent H. Sweet et H. E. Palmer tandis qu’en Allemagne, W. Viëtor. Préconisée par le premier Congrès international des langues vivantes de Vienne, la méthode directe connut un grand succès commercial et finit par être recommandée dans les instructions officielles françaises dès 1890. 2. Caractéristiques 2.1 Son originalité fondamentale consiste en l’utilisation dès la première leçon de la seule L2; on enseigne directement sans recours à L1. Dans une LES MÉTHODES • METHODOLOGIES Dialogos z 14/2006 11 première étape, on travaille avec des mots dits concrets comme référents d’une eccéité visible et nommable. On met en jeu le corps de l’enfant (mimique, gestualité) pour imiter des échanges qui se veulent naturels, mais qui restent pourtant artificiels. Aux petits, on demande de nommer des objets concrets de la réalité à l’exception des actions qui ont une représentation abstraite. À ce niveau, les « fausses » questions et les « fausses » réponses sont interprétées sans trop de difficulté. Une question comme Qu’est-ce que c’est ? – question d’ailleurs très fréquente à ce stade – signifie en réalité Comment se nomme en L2 l’objet que je vous montre ? [cf. 1] La seconde étape transgresse le concret, la monstration et l’imitation par la prise en considération des réalités abstraites difficilement montrables et mimables en classe. Cette fois-ci, on recourt au dessin et aux images, à l’iconique en général qui est à l’origine de la méthode audio- visuelle (un dérivé de la méthode directe). Les mots, les énoncés sont associés aux images, plaqués sur les images sans recourir à L1; « L’audio-visuel est alors utilisé à titre de succédané de la méthode directe, ou, vu sous un autre angle, de la méthode directe « améliorée », pour reprendre la formule de Mauger et de Bruézière » [3, p. 53]. 2.2 La grammaire n’est pas explicitée, les règles, les régularités grammaticales devraient ressortir des paradigmes d’énoncés bien choisis et ordonnés pour permettre leur induction. Cette démarche de grammaire inductive, implicite semble avoir été lancée dès le XV-ème siècle [1, p. 32]. À l’époque, les manuels réduisaient au maximum le métalinguistique à la faveur de la pratique des paradigmes de formes soigneusement ordonnées. 2.3 Comme nous l’avons déjà remarqué, la méthode en question élimine la traduction en L1 et a recours exclusif à l’oralité, ce qui explique la présence, dans les manuels, de la transcription phonétique. Les contenus sont enseignés progressivement, il s’agit d’une progression circonscrite par le passage du concret à l’abstrait. 2.4 L’acte d’enseignement/apprentissage, au début au moins, semble cohérent et surtout sollicitant: l’interaction maître-élève se fait à travers les mouvements corporels, la gestualité, la mimique, l’ouïe, la vue, etc. Sous cet angle, cette méthode peut être interprétée comme «active» et «globale». L’effort du maître est soutenu; il doit s’engager « corps et âme » dans les échanges qu’il amorce avec l’apprenant pour introduire, utiliser et réutiliser des mots nouveaux. 3. Conclusions Malgré le succès remporté, la méthode présente toute une série de défaillances: 1. La traduction n’est pas complètement exclue: l’élève identifie souvent l’objet nommé par le maître en L1 en établissant une « équivalence silencieuse » [1, p. 34] par le biais d’une traduction implicite souvent fautive car il n’a pas la possibilité de la vérifier. 2. Dans le domaine des questions – réponses, il faut admettre que celles-ci sont relativement différentes par rapport à celles utilisées par les natifs dans leurs conversations, ce qui justifie le risque d’induire chez les débutants certaines attitudes inadéquates. 3. La place accordée à la dimension connotative des mots est extrêmement raréfiée. 4. La «complicité» [3, p. 54] interactionnelle propre aux communications réelles est difficilement réalisable dans l’espace artificiel de la classe où la situation de communication risque de rester «figée» dans une «microlinguistique», c’est-à- dire une linguistique de l’énoncé [2]. 5. Cette méthode met en oeuvre une pédagogie du dressage qui a recours, au moins dans la première étape, à l’imitation d’un modèle centralisé et unique. Le travail de réflexion et d’explication est ignoré car le comportement behavioriste ne s’intéresse qu’à l’aspect formel à l’exclusion de ce qui est intériorisé [2, p. 41]. 6. Il faut remarquer aussi avec R. Galisson le caractère autocratique de la méthode – tout vient du maître qui montre, prescrit, impose. 7. Pourtant, la méthode directe est la première à prendre en charge les langues vivantes dans leur oralité et dimension globale par l’introduction du contexte et par sa tentative d’apprendre la communication réelle. La réutilisation constante de ce qu’on a appris tient du behaviorisme et crée un effet de «boule de neige» assurant la dynamique interne de l’apprentissage. LES MÉTHODES • METHODOLOGIES Dialogos z 14/2006 12 RÉFÉRENCES 1. BESSE, H., 1995, Méthodes et pratiques des manuels de langue, Crédif, Didier, Paris 2. GALISSON, R., 1980, D’hier à aujourd’hui. La didactique générale des langues étrangères, CLÉ International, Paris 3. GAONAC’H. D., 1991, Théories d’apprentissage et acquisition d’une langue étrangère, Hatier / Didier, Paris 4. OSGOOD, C. E., 1953, Method and theory in experimental psychology, New York, Oxford University Press uploads/Management/ dobre-la-metode-directe.pdf

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  • Publié le Nov 02, 2021
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