Ethique et Marketing Achat Par Hugues Poissonnier1 et Murielle Francillette2 In
Ethique et Marketing Achat Par Hugues Poissonnier1 et Murielle Francillette2 Introduction A une époque où le développement durable et la soutenabilité apparaissent comme de plus en plus prégnants dans les discours managériaux, le déploiement de la RSE touche toutes les fonctions de l’entreprise. Longtemps focalisés sur leur contribution à la performance financière de l’entreprise, souvent dans une optique relativement court- termiste, les achats apparaissent aujourd’hui clairement comme un levier essentiel de la prise en compte d’une conception sociale et environnementale de la performance. Le Livre Vert de la Commission Européenne intègre d’ailleurs clairement les achats dans les activités relevant de la RSE en définissant cette dernière comme l’« intégration volontaire de préoccupations sociales tout au long de la chaîne de production et d’approvisionnement, conjuguée à un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes ». L’introduction des préoccupations éthiques dans les pratiques achats se traduit par un intérêt croissant des chercheurs ainsi que par la mise en place de codes de bonnes conduites achat en entreprise. L’objectif étant ici de prévenir les risques liés à une fonction achat très souvent sollicitée et en prise directe avec des enjeux importants pour l’entreprise qui sont l’équité dans la sélection des fournisseurs et la passation de marchés. La volonté largement partagée de développer des « achats responsables » se développe au moment même où, pour toute une série de raisons, le rôle de l’acheteur évolue. Les raisons sont essentiellement liées à l’importance de la fonction (représentation accrue du CA achat dans le CA vendu), la présence de la fonction dans des secteurs d’activité très divers, les différents types d’achats (achats de production, achats de prestations intellectuelles, d’achat projet, achat d’investissements..), et le rapprochement de la fonction avec les centres décisionnaires de l’entreprise (rattachement à la Direction Générale notamment..). Dorénavant, l’acheteur doit contribuer à la mise en œuvre, mais aussi parfois à la définition même de la stratégie de l’entreprise. Et cela non plus dans une dynamique de court terme mais également à moyen et long terme. On n’achète de plus en plus pour se différencier, afin d’amener un avantage concurrentiel durable reposant sur l’innovation. La rareté, la difficulté à imiter et enfin l’apport de valeur au client final sont les éléments clés de cet avantage concurrentiel durable que les achats doivent permettre d’obtenir. Aujourd’hui l’acheteur en est parti prenante, car il contribue au marketing intégré de son entreprise en comprenant et /ou anticipant le besoin client au plus juste et répondant au besoin à travers le cahier des charges. C’est ainsi que l’acheteur va intégrer la demande des clients finaux, ou clients internes notamment en termes 1 Hugues Poissonnier est enseignant-chercheur à Grenoble Ecole de Management et Directeur de la Recherche de l’IRIMA (Institut de Recherche et d’Innovation en Management des Achats) 2 Murielle Francillette est Responsable Marketing Partenaires Stratégiques chez HP et Chargée du développement du marketing achat à l’IRIMA 1 d’achats éthiques, d’achat responsable, d’achats solidaires ou plus largement de développement durable. La démarche marketing achat est bien celle qui permet à l’acheteur plus que d’adapter ses besoins au marché fournisseurs, d’influencer le marché fournisseurs afin qu’il s’adapte aux besoins de son entreprise (Sostène 1994). Dans ce chapitre, nous proposons de montrer en quoi le marketing achat peut constituer un élément central de la politique d’achats responsables. Nous revenons, pour cela, sur la politique achat en tant que levier de la RSE. Nous abordons ensuite le marketing achat et ses principales modalités avant de montrer en quoi ces dernières, en s’appuyant sur des relations partenariales, peuvent participer du développement des achats responsables. I. La politique achat : un levier essentiel de la RSE La RSE est aujourd’hui partie intégrante de la stratégie de nombreuses entreprises. Ces dernières apparaissent de plus en plus conscientes du rôle crucial que les achats ont à jouer en la matière. 1.1. L’entrée du développement durable dans l’entreprise …et les pratiques achats Dans ce premier point, nous proposons, par le biais d’une perspective historique, de revenir sur les modalités de l’entrée du développement durable dans l’entreprise, puis dans les pratiques achat. 1.1.1. Le développement durable, des grands discours aux pratiques L’expression « Développement Durable » apparaît en 1980 comme une traduction française de l’expression anglaise « sustainable development ». La définition de référence du Développement Durable demeure celle qui fut donnée en 1987 dans le rapport Brundtland : « un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Au-delà de la notion de solidarité intergénérationnelle à laquelle cette définition fait clairement référence, trois grandes dimensions apparaissent rapidement constitutives du concept. A côté de la dimension économique (contrairement aux idées prônées depuis les travaux du Club de Rome, défendant l’idée d’une « croissance zéro », voire pour certains d’une décroissance, le Développement Durable s’accommode très bien d’une croissance, cette dernière ne devant simplement par être poursuivies au détriment d’autres objectifs et pouvant même servir à financer ceux-ci), l’accent est mis sur une dimension sociale et une dimension environnementale. Ces trois dimensions sont bien entendu liées. Le prix Nobel de la paix reçu récemment par Al Gore et le GIEC pour leurs travaux sur le réchauffement climatique atteste par exemple des liens très forts entre les considérations environnementales (qui constituent l’essentiel du discours) et les considérations sociales liées puisqu’un des messages forts consiste à dire que la paix au XXIème siècle va 2 dépendre de l’accès à des ressources rares (l’eau) menacé par les évolutions climatiques décrites. Le Développement Durable est avant tout abordé lors de grands sommets internationaux, comme les sommets de la Terre de Rio en 1992 et de Johannesburg en 2002. Ces grands sommets constituent souvent l’occasion de prendre des engagements, mais ne sont pas forcément suivis de mise en œuvre de pratiques concrètes. Ceci nous rappelle que le seul véritable niveau de l’action demeure le niveau local. Les prises d’engagement n’en sont pas pour autant inutiles. Elles permettent doucement de doter les collectivités locales de nouveaux pouvoirs3 leur permettant progressivement de mettre en place au niveau local des agendas 21 locaux (la démarche agenda 21, pour XXIème siècle, prend naissance à Rio en 1992 et repose sur la prise d’engagement des Etats participants à œuvrer en faveur du respect de l’environnement). Le niveau local est aussi celui des entreprises qui peu à peu intègre la RSE4 (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise) dans leurs pratiques. 1.1.2. La RSE : une traduction au niveau de l’entreprise du concept de DD Pour simplifier, nous proposons de présenter la RSE comme une traduction au niveau de l’entreprise du concept plus macroéconomique de développement durable. En effet, les trois grandes dimensions constitutives du développement durable se retrouvent dans la RSE : - une dimension économique, puisque pour être pérenne, une entreprise doit être rentable ; - une dimension sociale ; - une dimension environnementale. Deux types de représentation de la RSE coexistent aujourd’hui. La première fait des objectifs sociaux ou environnementaux des objectifs « hors business », déconnectés de la stratégie de l’entreprise. La seconde représentation intègre ces objectifs à la stratégie de l’entreprise. Le développement actuel de la RSA s’accompagne d’une évolution vers la domination de la seconde représentation sur la première, comme l’expliquent bien Quairel et Auberger (2005). 1.1.3. Un éclairage par les évolutions de la gouvernance Indissociables du concept d’entreprise (Pérez, 2003), les pratiques de gouvernance d’entreprise découlent de la dissociation entre des parties prenantes et des mandataires sociaux auxquels la gestion de l’entreprise est confiée. Si cette dissociation n’est pas nouvelle, la gouvernance d’entreprise a connu de profondes mutations au cours du XXe 3 Nous pouvons citer en France la loi Voynet de 1999, la loi sur la coopération intercommunale de 1999 ou encore la loi solidarité et développement urbain de 2000. 4 Par RSE, nous entendons Responsabilité Sociétale de l’Entreprise. Cette dernière intègre trois grandes dimensions : économique puisqu’une entreprise se doit d’être rentable en vue d’assurer sa pérennité, sociale et environnementale. Il est à noter que le sigle RSE est souvent utilisé pour évoquer la responsabilité sociale de l’entreprise. La plupart des auteurs précisent alors que cette dernière intègre les mêmes trois dimensions, ce qui constitue un abus de langage. 3 siècle. Plus précisément, nous proposons de retenir trois grandes périodes marquées par des évolutions déterminantes et conjointes de la gouvernance de l’entreprise et des outils de pilotage des performances. La première est marquée par l’émergence des grandes théories de la gouvernance de l’entreprise, de la Théorie Managériale à la Théorie de l’Agence et s’étend des années 1930 aux années 1970. En posant le client au centre des préoccupations des entreprises, la crise des années 1970 suscite des évolutions importantes de la gouvernance qui se traduisent par l’émergence d’une nouvelle conception dominante de la performance et de nouveaux outils de gestion associés à cette dernière. Enfin, les années 1990 marquent la reconquête de leur pouvoir par les actionnaires, tandis que la période actuelle se caractérise par l’entrée de la société dans l’entreprise et l’émergence de la notion de « performance globale ». De la Théorie Managériale uploads/Management/ ethique-et-marketing-achatv13.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2022
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