L'autre | Janine Dove-Rumé, Michel Naumann, Tri Tran L'autre - L’Autre dans la
L'autre | Janine Dove-Rumé, Michel Naumann, Tri Tran L'autre - L’Autre dans la langue : de la co-énonciation à l’interlocution - ... https://books.openedition.org/pufr/5027?lang=fr 1 sur 25 29/12/2019 à 16:13 1 2 Catherine Douay et Daniel Roulland p. 15-33 Résumé L’idée que c’est l’interaction, plutôt que le monologue, qui est au coeur du fonctionnement des langues naturelles tend à se développer depuis ces dix dernières années. Pourtant, on est loin d’avoir tiré toutes les conséquences de l’introduction de l’interaction en grammaire. La thèse que nous soutenons ici est que la grammaire doit être construite en rapport avec les schèmes interactionnels, et non sur des bases référentielles. La forme be + v-ing en anglais est un bon exemple d’une marque de relation comparative ou oppositive entre l’émetteur et le récepteur de la proposition. Cette analyse se situe dans le cadre général de notre étude des conditions formelles de l’interlocution (Théorie de la Relation Interlocutive). Texte intégral 1. ÉTAT DES LIEUX Le fait que cette communication sur « l’Autre » soit la seule qui ait été proposée en linguistique pour ce colloque montre à quel point la question est négligée dans notre discipline. C’est pour le moins paradoxal. Parler, dans l’expérience commune, c’est d’abord s’adresser à quelqu’un ou quelque chose, fût-ce à soi-même. Pourtant, en linguistique, le rôle de l’Autre s’est toujours trouvé minoré. Au mieux concède-t-on à l’interlocuteur réel ou supposé une participation à la mise en œuvre de la langue, dans la « parole », en laissant ainsi la question de l’interlocution aux bons soins de la pragmatique, traditionnellement conçue comme discipline connexe de la linguistique. Le rôle de l’Autre dans la genèse et la structuration des systèmes de langue est une des questions les moins étudiées. Pour G. Guillaume, par exemple, la langue est posée en relation diachronique et synchronique avec le discours L'autre - L’Autre dans la langue : de la co-énonciation à l’interlocution - ... https://books.openedition.org/pufr/5027?lang=fr 2 sur 25 29/12/2019 à 16:13 3 auquel elle fournit les moyens formels, la « puissance » qui lui permet de se développer en effection. Mais Guillaume ne se départit pas autrement de la position saussurienne au sujet de la « parole » : il déclare le face-à-face homme- homme un « petit » face-à-face au regard du « grand » face- à-face homme-univers. C’est quand il touche aux lois universelles et se représente face à l’univers que l’homme construit le langage, non quand il s’adresse à ses congénères. Les théories de l’énonciation dans leur ensemble ont cherché à intégrer une certaine dimension interactive dans le cadre benvenistien, et plus indirectement jakobsonien, en concevant l’énonciation comme ce qui pose le sujet existant dans le monde. Autrement dit, l’Autre est une conséquence déictique de l’émergence du sujet, « tu » existant secondairement par rapport à « je » comme déictique « corrélatif » dans les formules culioliennes. Cette participation de l’Autre à l’énonciation réduite à une co- présence est manifestée par le terme courant de « co- énonciateur » qui désigne l’allocutaire. Divers niveaux modaux d’appréciation et d’illocution complètent le dispositif à l’égard du « tu » récepteur, et en ce sens, la cible visée interagit en déterminant des stratégies subjectives. Mais le récepteur demeure un déterminant pragmatique, non un déterminant linguistique. Pour l’énonciation, quand le sujet parlant parle, fondamentalement il énonce. Si la perspective n’est pas exactement monologale, elle demeure foncièrement unilatérale. D’une certaine façon, le qualitatif et la modalité énonciative sont des manières d’intégrer une dimension interactionnelle, qui intéresse la cause et le mode de production des messages, mais on ne dépasse pas les frontières de l’univers énonçant, avec des paramètres tels que l’anaphore ou la visée. Il s’agit toujours d’une problématique de l’amont, et non de l’aval interlocutif. Le clivage ancien entre grammaire et rhétorique se perpétue là. L’Autre fonctionne évidemment à plein dans le plan rhétorique, mais L'autre - L’Autre dans la langue : de la co-énonciation à l’interlocution - ... https://books.openedition.org/pufr/5027?lang=fr 3 sur 25 29/12/2019 à 16:13 4 5 « Pour communiquer, il faut préalablement être en mesure, au moyen du langage, de former une pensée communicable. Dans cette hypothèse, on traitera des phrases comme d’objets formels : une telle attitude ne me semble en aucune façon frappée de désuétude. » « Notre objectif n’est […] nullement de promouvoir un tout- interactionnel […] qui nierait la multiplicité des contraintes auxquelles sont soumises les productions langagières (exigences de l’interactivité, mais aussi contraintes codiques pour ajouter au clivage traditionnel, le décret saussurien définissant la langue hors de la parole la définit aussi et surtout hors de l’interlocution. Le privilège accordé au locuteur a été ces dernières décennies logiquement discuté par les tenants d’une approche ouvertement « interactionniste ». La promotion d’une conception dialogale de l’acte de langage, en ouvrant à l’analyse linguistique un nouveau champ d’investigation, a permis l’exploration, qui se poursuit, de phénomènes passés sous silence dans les approches monologales1. Il semble cependant pour le moins hâtif de parler, à propos des retombées théoriques de l’approche interactionniste sur la linguistique en général, de « mutation fondamentale », ou de « révolution ». Tout en insistant sur le fait que l’interaction constitue la réalité fondamentale du langage2, l’interactionnisme ne franchit pas les limites traditionnelles de la pragmatique. On garde l’hypothèse d’un système de langue déconnecté de la communication3. La pragmatique en général accepte comme « légitime » un divorce4 entre les deux plans et s’accommode d’une linguistique formelle du « code » indépendante de l’interaction. Les linguistes « du code » s’inquiètent, voire s’irritent alors de l’engouement pour le phénomène de la communication, comme R. Martin5 qui déclare en 1987 : C. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 8) lui répond, somme toute conciliante : L'autre - L’Autre dans la langue : de la co-énonciation à l’interlocution - ... https://books.openedition.org/pufr/5027?lang=fr 4 sur 25 29/12/2019 à 16:13 6 7 ou psycho-cognitives), ni de sommer la communauté des linguistes à se convertir en bloc à l’interactionnisme : la linguistique du code a encore de beaux jours devant elle. » « Il ne s’agit pas de nier l’existence des contraintes codiques, ni de prétendre que tout se crée ex nihilo dans l’interaction : celle-ci se construit à partir de matériaux préexistants dont la description est et sera toujours légitime. » (C. Kerbrat- Orecchioni, 1990 : 54). « Dans notre introduction à la pragmatique, Anne Reboul et moi-même (Reboul & Moeschler 1998) avons insisté sur le fait que le langage doit davantage, et ceci pour des arguments de type phylogénétique, être considéré dans sa fonction cognitive plutôt que dans sa fonction sociale. Le langage s’est certainement développé par la nécessité de représenter, de stocker et de communiquer de l’information sur le monde, et non parce qu’il permettait aux individus de renforcer les liens sociaux à l’intérieur des groupes humains. Ainsi, si le langage a principalement une fonction cognitive, et accessoirement une fonction communicative, comment peut-on définir le rapport que le langage entretient avec la communication ? Il n’est peut-être pas inutile de rappeler les deux propositions suivantes : Le langage n’est pas la communication et la communication n’est pas le langage. Les êtres humains peuvent communiquer sans l’intermédiaire du langage, par des gens (sic), des sons, des regards, etc. De même le langage peut être utilisé en dehors de la communication. Dans les termes de Banfield (1982), seule la présence d’un pronom de deuxième personne relève de la communication […]. Le rapport entre le langage et la communication est donc le suivant : le langage n’est pas un système dont l’émergence et l’évolution est déterminée par la communication, mais dont l’un de ses usages (sic) est la communication verbale ». Ce point de vue est partagé par J. Moeschler (2001) : La déconnexion langue/discours peut aller jusqu’à l’extrême. Le phénomène étant conçu comme bi-polaire, se sont développées d’une part des théories fondées sur le postulat de l’autonomie du système de codage (autonomie de la syntaxe, et de la compétence, postulat d’une perfection de la L'autre - L’Autre dans la langue : de la co-énonciation à l’interlocution - ... https://books.openedition.org/pufr/5027?lang=fr 5 sur 25 29/12/2019 à 16:13 8 structure, innéisme, LAD6, modularisation, recours au formalisme mathématique7,... etc.) et d’autre part les théories adverses de la grammaire « émergente » ou du constructivisme radical8, qui considèrent que la forme est totalement subordonnée pour ce qui est de sa valeur au contexte et à l’usage. Dans cette dernière perspective, il n’y aurait pas d’invariant grammatical, de valeur constante, même abstraite, pour une forme donnée. Un certain cognitivisme s’accommode en effet volontiers de significations exogènes au langage et seulement traduites par lui. Cette position se fait jour à l’occasion même dans le cadre global qu’on peut appeler « énonciativiste ». Si nous cherchons donc un « notionnel d’approche de l’Autre » en linguistique, autant dire que ni l’énonciation, ni la pragmatique ne le fournissent. Le modèle que nous proposons a précisément pour objet d’installer l’Autre dans le système de la langue, dans toute son acception structurante. L’idée générale en est simple : la prise en compte de l’interlocution comme motif structurant invite uploads/Management/ l-x27-autre-dans-la-langue-de-la-co-enonciation-a-l-x27-interlocution.pdf
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- Publié le Dec 28, 2022
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