LE CONTROLE DE GESTION DANS LA GRANDE DISTRIBUTION : UN EXEMPLE POUR LA BANQUE

LE CONTROLE DE GESTION DANS LA GRANDE DISTRIBUTION : UN EXEMPLE POUR LA BANQUE COMMERCIALE? . Par Dominique Bessire, maître de conférences Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne UFR 06 – Gestion Sorbonne Résumé Venues tard au contrôle de gestion, les banques ont massivement mis en œuvre des systèmes transposés du monde industriel. Face aux limites de plus en plus évidentes de ce modèle, elles cherchent aujourd’hui une source d’inspiration dans la grande distribution Cependant, en méconnaissant la logique d’entreprise qui sous-tend le design des systèmes de contrôle de gestion mis en œuvre dans ce secteur, les banques risquent une nouvelle fois d’être victimes d’une illusion instrumentale. Abstract: Management control in retail industry : an example for bank industry? Banks have recently implemented management control systems which are deeply influenced by the industrial world. Confronted with the more and more obvious limits of this model, they seek a new inspiration in retail industry. But, in this way, they do not fully appreciate the logic which underlies the design of the management control systems used in this sector and run the risk of labouring under an instrumental delusion. Introduction " Ce n’est pas enlever au métier ses lettres de noblesse que d’affirmer que la banque commerciale appartient au secteur de la distribution " ; cette déclaration de B. Tournier (1995), président de l’Association Française des Contrôleurs de Gestion de Banque, témoigne d’une profonde évolution. Venues tard au contrôle de gestion, les banques ont en effet massivement mis en œuvre des systèmes transposés du monde industriel. Face aux limites de plus en plus évidentes de ce modèle, elles cherchent aujourd’hui une source d’inspiration dans la grande distribution (14). Les systèmes de contrôle de gestion adoptés dans ce secteur apparaissent en effet aux yeux d’un nombre de plus en plus grand d’observateurs comme des systèmes performants et, semble-t-il, aisément transposables (15). Cependant, en méconnaissant la logique d’entreprise qui les sous-tend, les banques risquent une nouvelle fois d’être victimes d’une illusion instrumentale (16) 1. Les limites d’un modèle classique de contrôle de gestion La mutation brutale de l’environnement bancaire au milieu des années quatre-vingt (déréglementation, banalisation, désintermédiation…) a rendu possible et nécessaire la mise en œuvre de systèmes de contrôle de gestion : " possible, car la liberté sur les volumes et les prix permet la mesure de performances par rapport au marché ; indispensable, car la chute des marges oblige à une gestion beaucoup plus fine " (Simon, 1992, p. 5). Conçus à beaucoup d’égards comme une simple transposition de techniques largement éprouvées dans les milieux industriels (Simon, 1992, p.15), les systèmes de contrôle de gestion bancaire élaborés dans les dix dernières années souffrent cependant de handicaps sérieux. 1.1. La prégnance du modèle industriel Le contrôle de gestion bancaire, tout au moins jusqu’au début des années 1990, s’est presque exclusivement identifié à une comptabilité de gestion extrêmement sophistiquée, fondée sur la méthode des sections homogènes, telle qu’elle a été mise en œuvre dans les grandes entreprises industrielles. Nomenclatures, gammes opératoires, catalogues des tâches élémentaires, temps standard et coûts par unité d’œuvre (Lemaître, 1992-93, p. 18 ; Naulleau et Rouach, 1994 ; de Coussergues, 1996) sont les maîtres mots décrivant ces systèmes. Beaucoup d’efforts sont déployés en vue d’une répartition optimale des charges indirectes (sur les centres de responsabilité, les produits, les clientèles...). La comptabilité de gestion vise en effet à calculer des marges sur coûts complets par produit ou famille de produit ainsi que par client ou groupe de clients. Le système d’évaluation des performances repose principalement sur un découpage très fin de l’organisation en centres de responsabilité, dont un grand nombre sont érigés en centres de profit grâce à la mise en œuvre d’un système élaboré de prix de cession internes, notamment pour la trésorerie, et la mise en équation à grande échelle des prestations réciproques. C’est notamment le cas des agences, dont la performance est essentiellement appréciée en termes de résultat comptable (Ardoin, 1995), même si peuvent être également pris en compte des indicateurs quantitatifs non comptables tels que " le nombre de clients, de comptes à ouvrir, de produits à placer ou d’argent à placer " (Lemaître, 1992-93, p. 18), voire des indicateurs qualitatifs comme les délais et le nombre d’anomalies. L’informatisation joue un rôle majeur dans la mise en place de ces systèmes ; elle est conduite selon des schémas directeurs dont le déploiement complet exige de longues années et des ressources importantes tant humaines que matérielles. 1.2. Ses faiblesses Les limites techniques du modèle classique de contrôle de gestion -surpondération du mesurable par rapport au non mesurable, incapacité à intégrer les différentes dimensions du temps et propension à développer des comportements opportunistes (Burlaud et Simon, 1997, pp. 58-64)- s’appliquent mutatis mutandis au contrôle de gestion bancaire. Elles sont accentuées par l’application d’un modèle initialement conçu pour le contrôle d’activités industrielles à une activité dont les caractéristiques sont fort différentes. L’hypertrophie de la comptabilité de gestion est le premier signe de cette manifestation de la priorité donnée au mesurable. Elle exacerbe les insuffisances de la comptabilité de gestion traditionnelle. Le calcul des coûts repose ainsi sur l’évaluation de temps opératoires qui, malgré les efforts considérables que lui consacrent les banques, est source de nombreux biais. Répartition de charges indirectes en cascades et refacturations systématiques contribuent également à altérer la fiabilité et la lisibilité du calcul des coûts et des rentabilités. C’est pourtant sur ces chiffres dont la maîtrise et la signification leur échappent qu’est en grande partie appréciée la performance des opérationnels. La focalisation sur le calcul des coûts et des rentabilités a pour contrepartie une certaine insuffisance de la réflexion sur la prise en compte de facteurs essentiels de performance. Il en va ainsi des risques dont l’évaluation est pourtant à la base du métier bancaire (Levasseur et Quintart, 1990). Pour l’appréciation des risques individuels, les banques concentrent l’essentiel de leurs efforts sur le développement et la diffusion de méthodes instrumentales : en négligeant de compléter l’évaluation technique par une évaluation sociale (Ferrary, 1997, p. 62), elles s’exposent au danger d’asservir " l’activité bancaire à des techniques de mesure et d’objectivation du risque, réprimant l’initiative de proximité et niant donc la place intrinsèque du pari et de la confiance dans toute activité commerciale " (Paradeise, in Courpasson, 1995, p. 12). Par ailleurs, les risques globaux liés à la conjoncture ou à l’évolution de certains secteurs ainsi que ceux résultant de la pratique de métiers nouveaux –par définition plus risquée font encore rarement l’objet d’une appréhension méthodique. Il en va de même pour la qualité qui, dans un contexte concurrentiel où ni les prix ni l’innovation n’assurent un avantage durable, semble également fondamentale (Ferrary, 1997, p. 53). Les démarches engagées dans les banques restent, à quelques exceptions près, fragmentaires et instrumentales. La qualité arrive ainsi au dernier rang des critères de performance et n’est citée que 5 fois parmi 34 réponses (Ardoin, 1995). Le temps étant lui aussi une composante essentielle de l’activité bancaire, l’incapacité du modèle classique de contrôle de gestion à intégrer ses différentes dimensions constitue un handicap sérieux. Le système de mesure de la performance, inscrit le plus souvent dans un horizon annuel, incite par exemple les chargés de clientèle à négocier des taux faibles qui pèseront sur la rentabilité de l’opération sur l’ensemble de sa durée contre des commissions plus importantes, comptabilisées, elles, en produit dès la conclusion du crédit (Simon, 1992, p. 24). Enfin le système d’incitations étant étroitement lié aux informations comptables et de manière plus générale aux informations quantitatives, il tend à provoquer une " réallocation des efforts au détriment des tâches non mesurables " (Nakhla, 1997, p. 45), soit parce qu’elles ont un caractère qualitatif marqué (tâches liées notamment à la maîtrise du risque et à la fourniture d’un service de qualité), soit parce que leurs effets se feront sentir hors de l’horizon de mesure. La crise du management bancaire évoquée par H. Bonin (1997) est aussi une crise du contrôle de gestion. Les acteurs du monde bancaire en prennent progressivement conscience et tentent de faire évoluer les systèmes. Les années 1990 ont vu une mutation importante : la reconnaissance de l’autonomie de l’activité de distribution bancaire, voire de sa primauté stratégique sur la production ; dans ce contexte, c’est tout naturellement vers les entreprises du commerce de détail organisé que les banques se sont tournées pour imaginer de nouveaux systèmes de contrôle de gestion. 2. La référence à la grande distribution Les systèmes élaborés par la grande distribution se distinguent fortement du modèle industriel classique. Quelles que soient leurs qualités, leur transposition au secteur bancaire rencontre certaines limites. 2.1. L’exemple proposé par la grande distribution A l’inverse de ce qui peut être observé dans la banque, les systèmes de contrôle de gestion dans le commerce de détail organisé apparaissent techniquement simples et donc peu coûteux. Le système de mesure de la performance commerciale et le système de suivi des coûts et des rentabilités peuvent se développer de manière relativement autonome, grâce à la coexistence de deux systèmes de comptabilité interne, uploads/Management/ le-controle-de-gestion-dans-la-grande-distribution.pdf

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  • Publié le Jul 12, 2021
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