Hors-série N° 28 - Mars/Avril/Mai 2000 Le changement. De l'individu aux société
Hors-série N° 28 - Mars/Avril/Mai 2000 Le changement. De l'individu aux sociétés Le rôle des émotions Jean-Luc Emery Changer nécessite souvent de se débarrasser de ses automatismes. Mais pour cela, il faut prendre en compte ses émotions : celles cachées dans les automatismes, mais aussi celles qu'éveillent les nouveaux comportements. Isabelle est une assistante dévouée et performante, elle remplit parfaitement les missions qui lui sont confiées. Son directeur lui reproche depuis plusieurs mois son manque de disponibilité et son ton sec quand elle prend des clients au téléphone. Malgré ses qualités, sa bonne volonté et l'insistance de son directeur pour qu'elle améliore sa qualité d'écoute, Isabelle ne change pas. A sa demande, elle vient de suivre une formation spécifique à l'accueil téléphonique. Il faut bien admettre que les résultats ne sont pas probants. Pour analyser ses difficultés à faire évoluer son comportement, Isabelle doit essayer de décrire ce qu'elle ressent quand elle a un client en ligne. Elle décrit un état de tension et surtout un sentiment diffus de culpabilité. En amont de cette émotion pénible, la représentation d'Isabelle est la suivante : «Quand je réponds au téléphone, je ne fais pas mon travail, j'ai l'impression de perdre mon temps.» Dans ces conditions, il est facile de comprendre que ses tentatives de changement sont parasitées par l'émotion. L'histoire d'Isabelle illustre différents aspects du changement : tout d'abord, la persistance d'un comportement malgré des efforts sincères de changement. La résistance au changement ne traduit ni un manque de motivation, ni de la mauvaise foi. Isabelle ressent une émotion négative, qui ne fait qu'augmenter au fur et à mesure qu'elle essaye d'investir plus de temps dans son contact avec le client : plus elle est attentive aux clients, plus son impression de perdre son temps augmente. Cette histoire révèle aussi un principe essentiel : le changement se perçoit dans la modification du comportement de quelqu'un. On peut donc le ramener à l'apprentissage de nouveaux comportements. Mais si l'apprentissage élémentaire consiste en une simple modification du comportement, les apprentissages les plus décisifs reposent le plus souvent sur une modification des connaissances et des représentations. La plupart du temps, l'homme s'adapte spontanément, sans grandes émotions. L'homme reste le système le plus sophistiqué pour s'adapter au changement. Dans certains cas plus rares, le changement dépasse la simple adaptation ; il sollicite les capacités de réflexion et déclenche des réactions émotionnelles conséquentes. Différents niveaux de changement Les différentes théories du fonctionnement psychologique rendent compte des conditions d'apparition Le rôle des émotions http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article... 1 sur 6 18/02/2015 15:34 des comportements. Si chaque modèle apporte des éléments intéressants pour analyser le changement personnel, on peut, pour simplifier l'analyse, distinguer deux types de fonctionnement psychologique: les processus automatiques et les processus contrôlés. Un comportement automatique classique est celui que l'on a développé dans la conduite automobile. L'automatisme est même parfois tel qu'il n'est pas rare de faire une erreur de trajet en se rendant machinalement à son domicile plutôt qu'au lieu du rendez-vous. A l'opposé, un exemple de processus contrôlé est celui nécessaire pour rédiger un texte ou mener une négociation. Il faut à ce moment mobiliser toutes ses capacités d'attention et de concentration. Bien que ces exemples illustrent cette dichotomie, les choses sont rarement aussi tranchées. Le plus souvent, nous combinons des proportions variables de processus automatiques et de processus contrôlés. Selon le type de processus sur lequel nous agissons, le degré de changement atteint n'est pas le même. Pour Gregory Bateson, il existe deux niveaux de changement. Le changement 1 est le changement qui s'opère dans un système sans modifier ce système. Le changement 2, par opposition au changement 1, introduit une transformation du système auquel il s'applique. Il implique une modification des connaissances et des représentations. Prenons l'exemple des changements dans les moyens de communication. Personne n'a éprouvé de grandes difficultés ou résistances lorsqu'il a fallu ajouter deux nouveaux chiffres aux numéros de téléphone, car cela ne modifiait pas la façon de communiquer. Par contre, adopter un nouveau moyen de communication, comme le téléphone mobile ou le courrier électronique, est un changement plus fondamental : pour utiliser Internet, il faut apprendre à se servir d'un ordinateur. Mais il faut aussi changer sa conception de la correspondance écrite : la réponse est potentiellement immédiate. Il devient donc essentiel de réagir très rapidement, au risque d'être mal perçu par l'interlocuteur. Problème que ne posait pas le courrier postal. Pour opérer de véritables changements, il faut donc adopter des changements 2. Ils correspondent aux apprentissages par des processus contrôlés. Le rôle et la nature des émotions sont différents pour chacune de ces modifications. Dans un contexte de changement où les enjeux sont clairs, les raisons justifiées et la motivation suffisante, quelles sont les difficultés à abandonner les processus automatiques pour adopter des processus contrôlés ? Au coeur du changement, les émotions Abandonner les automatismes pour changer nécessite souvent une phase de désapprentissage pendant laquelle les per- formances baissent et les frustrations s'accumulent. En effet, les automatismes (voir encadré page 16) donnent une grande impression de maîtrise et de contrôle, y compris l'idée que nous maîtrisons tout ce qui nous entoure. Pour évoluer, nous devons sortir de ces processus automatiques et apprendre à les repérer. Mais le propre des phénomènes automatiques est justement que nous n'en avons qu'une perception très atténuée tant que tout se passe bien. Ils nous font croire qu'un comportement est toujours déclenché par une situation. Ils ne prennent pas en compte un élément décisif du déclenchement des comportements : l'émotion. Pour lever les blocages d'origine psychologique, pour sortir des comportements automatiques, le repérage et la prise en compte des émotions est le point de départ incontournable. L'émotion infiltre l'ensemble de nos comportements et tout changement, même s'il est considéré comme positif par l'individu, possède un coût sur le plan émotionnel. Il peut déclencher une résistance au changement Le rôle des émotions http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article... 2 sur 6 18/02/2015 15:34 plus ou moins importante. Cette difficulté ne doit pas être négligée, elle prend ses racines dans la complexité des processus qui déterminent les comportements de l'homme. En amont du savoir, du pouvoir, du vouloir se situent les émotions. Une bonne lecture des émotions et un bon contrôle émotionnel se présentent donc comme une condition impérative pour favoriser les processus de changement. La nécessité de l'erreur pour apprendre et les efforts pour réduire la marge d'erreur semblent tellement logiques qu'ils sont facilement adoptés et défendus par tous. Mais qui parle facilement ou fréquemment de ses erreurs ? Si ce type d'apprentissage est fréquent chez l'enfant, c'est bien parce que l'enfant n'a pas peur de faire des erreurs. Chez l'adulte, la détection de l'erreur et sa médiatisation s'accompagnent d'émotions pénibles. De plus, pour bénéficier de ses erreurs, il faut accepter d'apprendre et pour apprendre, il faut accepter de désapprendre. Il faut pouvoir temporairement régresser, ce qui n'est pas facile sur le plan émotionnel : la valeur personnelle est remise en cause et l'image de soi peut être ternie. La priorité donnée à une image positive de soi ne facilite pas l'apprentissage par essais et erreurs. En effet, pour conserver une bonne image de soi, il faut faire l'expérience fréquente du contrôle. Il faut des résultats qui correspondent aux attentes, il faut ressentir de l'efficacité et du plaisir. Toute anticipation contraire à ces attentes déclenchera une émotion négative et une tentative d'évitement pour réduire ou éviter l'émotion désagréable. Garder le contrôle Or, toute situation d'apprentissage, de découverte amène une perte de maîtrise sans garantie de réussite immédiate. Nous connaissons tous l'inconfort du débutant. Le premier réflexe pour limiter la charge émotionnelle est de s'accrocher au présent immédiat et d'utiliser les attitudes comportementales que l'on maîtrise le mieux et le plus facilement. Dans le contrôle des émotions, la priorité est toujours donnée au contrôle des émotions à court terme, comme le montre l'exemple de Michel. Michel est en vacances de sports d'hiver avec ses amis. Ce matin, il s'est laissé entraîné au sommet de la station. Skieur débutant, il n'est pas à son aise sur la piste noire. Le chasse-neige, ce n'est pas l'idéal. Son ami Bertrand lui conseille de tourner sur les bosses en dérapant les skis parallèles comme il le faisait hier sur les pistes bleues. Mais Michel s'accroche à la technique qu'il contrôle le mieux. Pour l'instant, pas question de prendre le risque de tomber dans cette pente raide. Michel adopte le comportement qui est le plus rassurant dans l'immédiat, même s'il sait que ce n'est pas la bonne méthode pour progresser. Un obstacle à la progression des apprentissages Ce souci d'un contrôle des émotions à court terme est un obstacle fréquent à la progression des apprentissages et au changement. C'est pourquoi il est important de connaître le niveau émotionnel à ne pas dépasser pour favoriser l'apprentissage d'un nouveau comportement. Bien sûr, il n'existe pas d'appareil de mesure pour évaluer le niveau émotionnel. Mais, comme dans les thérapies comportementales et cognitives, on peut apprendre à évaluer subjectivement son anxiété. Cela évite de s'exposer à des situations trop anxiogènes, incompatibles avec uploads/Management/ le-role-des-emotions.pdf
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- Publié le Jul 16, 2022
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