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© École de Paris du management - 94 bd du Montparnasse - 75014 Paris tel : 01 42 79 40 80 - fax : 01 43 21 56 84 - email : ecopar@paris.ensmp.fr - http://www.ecole.org 1 http://www.ecole.org LES DÉCISIONS ABSURDES par Christian MOREL Directeur des ressources humaines Division Véhicules Utilitaires, Renault Auteur du livre Les Décisions absurdes (Gallimard, 2002) Séance du 7 décembre 2001 Compte rendu rédigé par Élisabeth Bourguinat En bref Christian Morel a étudié les décisions absurdes, définies comme des erreurs radicales et persistantes, dont les auteurs agissent avec constance et de façon intensive contre le but qu’ils se sont donné, et ce dans des domaines très divers : erreurs incompréhensibles de pilotage d’avion ou de bateau, actions managériales totalement contraires à l’objectif visé, décisions de copropriété dénuées de sens… Ces cas sont analysés sous trois angles : l’interprétation cognitive qui met en évidence des erreurs élémentaires de raisonnement ; l’explication collective révélant des systèmes d’interactions qui enferment les protagonistes dans une solution absurde ; l’explication téléologique qui montre la perte du sens à différentes étapes de l’action. Le plus étonnant de tout cela, conclut Christian Morel, est la grande tolérance collective qu’on observe vis-à-vis des décisions absurdes ! L’Association des Amis de l’École de Paris du management organise des débats et en diffuse des comptes rendus ; les idées restant de la seule responsabilité de leurs auteurs. Elle peut également diffuser les commentaires que suscitent ces documents. Séminaire Vie des Affaires organisé grâce aux parrains de l’École de Paris : Accenture Air Liquide* Algoé** ANRT AtoFina Caisse des Dépôts et Consignations Caisse Nationale des Caisses d’Épargne et de Prévoyance CEA Centre de Recherche en gestion de l’École polytechnique Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris Chambre de Commerce et d’Industrie de Reims et d’Épernay*** CNRS Cogema Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts Comptables Danone Deloitte & Touche École des mines de Paris EDF & GDF Entreprise et Personnel Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme FVA Management IBM IDRH IdVectoR* Lafarge PSA Peugeot Citroën Reims Management School Renault Royal Canin Saint-Gobain SNCF Socomine* THALES TotalFinaElf Usinor *pour le séminaire Ressources Technologiques et Innovation **pour le séminaire Vie des Affaires ***pour le séminaire Entrepreneurs, Villes et Territoires (liste au 1er avril 2002) © École de Paris du management - 94 bd du Montparnasse - 75014 Paris tel : 01 42 79 40 80 - fax : 01 43 21 56 84 - email : ecopar@paris.ensmp.fr - http://www.ecole.org 2 EXPOSÉ de Christian MOREL Mon livre1 a pour objectif de décrire, analyser et comprendre des exemples de décisions absurdes. Pourquoi étudier de telles décisions ? D’une part, parce qu’elles ont un caractère d’étrangeté et même de mystère qui pique la curiosité ; d’autre part, parce qu’elles manifestent de façon éclatante des processus qui sont à l’œuvre, de façon plus difficile à repérer, dans beaucoup de décisions “normales” que nous prenons chaque jour. Qu’est-ce qu’une décision absurde ? Les décisions absurdes ne doivent pas être confondues avec de simples erreurs : il s’agit d’erreurs radicales et persistantes, dont les auteurs agissent avec constance et de façon intensive contre le but qu’ils se sont donné. Je précise qu’une décision absurde ne peut être jugée telle qu’à l’intérieur d’un cadre de référence donné. Par exemple, le fait que les anciens Égyptiens momifiaient les morts peut nous paraître absurde, mais cela ne l’était pas pour eux, dans la mesure où ils croyaient que la conservation des corps permettait une vie éternelle. En revanche, le fait d’accumuler des objets extrêmement précieux dans les tombeaux peut paraître absurde même à l’intérieur de leur cadre de référence : ces trésors étaient régulièrement pillés, ce qui privait les morts des objets de la vie quotidienne dont ils avaient besoin pendant leur vie éternelle. Le corpus J’ai choisi d’étudier une douzaine de cas de décisions absurdes très variés par leur nature et leurs enjeux. Certains ont fait l’objet de rapports d’enquête qu’on peut trouver sur l’internet, par exemple les accidents d’avions de ligne. D’autres sont tirés de l’observation directe, comme les cas de management ou les cas de la vie quotidienne. Voici quelques exemples de décisions absurdes : - l’un des deux réacteurs d’un avion présente des signes de dysfonctionnement ; le commandant de bord et son copilote arrêtent celui qui fonctionnait normalement ; - des pilotes retardent l’atterrissage d’un avion pendant plus d’une heure, et l’appareil finit par s’écraser par manque de carburant ; - alors qu’ils auraient pu se croiser sans incident, deux pétroliers, cherchant à s’éviter, se détournent de leur trajectoire et entrent en collision ; - la navette Challenger explose au moment du décollage à cause d’un problème de joints défectueux, qui était pourtant identifié depuis cinq ans mais n’avait toujours pas été résolu ; - un usage répandu et persistant veut que les orateurs présentent en général des transparents illisibles ; - une entreprise allemande crée une université d’entreprise qui finalement devient un organisme de formation externe ; - une entreprise pratique depuis des années des enquêtes d’opinion internes fondées sur des échantillons trop réduits pour avoir une quelconque valeur ; - pour lutter contre les cambriolages, les copropriétaires d’un immeuble décident durablement de ne fermer qu’un seul des deux accès aux sous-sols, et les cambriolages continuent. L’explication cognitive Comment de telles décisions peuvent-elles être prises ? Tout d’abord à cause d’une ou de plusieurs erreurs de raisonnement persistantes, parfois très grossières, et ce même dans des milieux de culture scientifique. 1 Les décisions absurdes, Gallimard, 2002. © École de Paris du management - 94 bd du Montparnasse - 75014 Paris tel : 01 42 79 40 80 - fax : 01 43 21 56 84 - email : ecopar@paris.ensmp.fr - http://www.ecole.org 3 La navette Challenger Par exemple, l’accident de la navette Challenger est dû, entre autres, au fait que les ingénieurs de Morton Thiokol, la société qui a fabriqué les boosters de la navette, n’ont pas pris en compte le fait que, même si le climat de la Floride est généralement très doux, il se produit parfois des phénomènes climatiques qui font brutalement baisser la température. Le jour du lancement, celle-ci se situait entre –1° et –2°, et la nuit avait été encore plus froide. Les joints qui devaient éviter que les gaz des fusées d’appoint servant au décollage ne s’échappent et n’aillent enflammer le réservoir principal de la fusée n’avaient pas été conçus en tenant compte de la possibilité d’une température aussi basse ; ils se sont mal détendus, le gaz s’est échappé et la fusée a explosé. Pourtant, de nombreux essais avaient été réalisés et des dysfonctionnements avaient été repérés sur ces joints ; mais jamais les ingénieurs n’avaient songé à établir une corrélation entre ces dysfonctionnements et le niveau de la température. Pire, lors d’un lancement précédent, effectué lors d’une vague de froid, les ingénieurs avaient noté que les joints avaient été très endommagés, mais ils avaient estimé qu’une température aussi basse était exceptionnelle, et que cela ne se reproduirait plus. À chaque fois, ils ont donc suivi le raisonnement de l’homme de la rue : ils ont pris en compte les moyennes climatiques au lieu de s’intéresser aux températures extrêmes ; lorsqu’il s’est produit une vague de froid, ils ont considéré que c’était l’événement du siècle et qu’il ne pouvait pas y en avoir une deuxième. Ces idées fausses étaient tellement ancrées que le standard de la NASA, qui veut que les joints résistent à une température de –1°, n’était pas respecté. Par ailleurs, la commission d’enquête a révélé que l’estimation de la probabilité d’échec d’un lancement était largement sous-évaluée ; alors que l’un de ses membres a estimé que cette probabilité était de l’ordre de 1 %, les managers de la NASA lui ont donné des évaluations de l’ordre d’un pour dix mille ou d’un pour cent mille. Ces deux biais cognitifs se sont renforcés mutuellement. Le jour du lancement, certains ingénieurs étaient inquiets à cause du froid ; mais comme cette variable n’avait pas été sérieusement prise en compte pendant les essais, ils ne disposaient pas de preuves chiffrées ; et comme la confiance des managers dans la fiabilité de l’appareil était excessive, ils n’ont pas pris cette inquiétude au sérieux. L’accident d’avion de Portland en 1978 L’accident de l’avion qui s’est écrasé à Portland en 1978 par manque de carburant alors que l’appareil tournait depuis une heure au-dessus de la piste, s’explique aussi par un biais cognitif, connu sous le nom de raisonnement non conséquentialiste. Par exemple, un étudiant a décidé que juste après les résultats de ses examens il s’offrirait un voyage à Hawaï, soit pour se récompenser en cas de réussite, soit pour se consoler en cas d’échec ; il attend pourtant les résultats avant d’acheter ses billets. Autre exemple : avant l’élection présidentielle américaine, les marchés financiers étaient tout aussi inquiets de l’éventualité de l’élection de Bush que de celle de Dukakis ; ils ont néanmoins attendu le résultat de l’élection pour réagir. Dans le cas de l’accident de Portland, les uploads/Management/ les-decisions-absurdes-christian-morel.pdf

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  • Publié le Nov 27, 2021
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