Entretien avec Sigmund Freud La valeur de la vie (1926) partie II* (Voici la se
Entretien avec Sigmund Freud La valeur de la vie (1926) partie II* (Voici la seconde livraison de l’entrevue avec Sigmund Freud réalisée en 1926 par Georges Silvestre Viereck, que notre collègue Rosa Liguon nous a fait parvenir) … G.S.V. : Je me demande, observai-je, quels peuvent bien être mes complexes ! S. Freud : Une analyse sérieuse dure environ un an. Cela peut même durer deux ou trois ans. Vous consacrez beaucoup d’années de votre vie à « la chasse aux lions », vous avez toujours recherché les personnages célèbres de votre génération (invariablement des hommes plus âgés que vous) : Roosevelt, l’Empereur, Hindenburgh, Briand, Foch, Joffre, Georg Bernard Shaw… G.S.V. : ça fait partie de mon travail. S. Freud : Mais c’est aussi votre choix. Le grand homme est un symbole. Votre recherche est la recherche de votre cœur. Vous recherchez aussi le grand homme pour qu’il prenne la place du père. Cela fait partie de votre complexe du père. (J’ai rejeté avec véhémence cette affirmation de Freud. Mais en y réfléchissant bien, il me semble qu’il pourrait y avoir une vérité, que je ne soupçonne pas, dans cette remarque fortuite. Cela pourrait être une impulsion de même nature que celle qui m’a conduit à lui). G.S.V. J’aimerais – remarquai-je après un moment – pouvoir rester ici assez longtemps pour entrevoir mon cœur par vos yeux. Peut-être que, comme la Méduse, je mourrais de peur en voyant ma propre image ! Même si je ne suis pas sûr de bien m’y connaître en psychanalyse, j’anticiperais souvent, ou j’essaierais d’anticiper vos intentions. S. Freud : L’intelligence d’un patient n’est pas un obstacle. Au contraire, cela facilite souvent le travail. (Sur ce point, le maître de la psychanalyse diffère passablement de ses disciples, qui n’apprécient pas beaucoup l’assurance chez les patients qu’ils ont en analyse) G.S.V. : Je me demande parfois si nous ne serions pas plus heureux en en sachant moins sur les processus qui forment nos pensées et nos émotions. La psychanalyse dérobe à la vie son ultime enchantement, à force de mettre en rapport chaque sentiment avec son groupe originel de complexes. Cela ne nous rend guère joyeux de découvrir que nous abritons tous un sauvage, un criminel ou un animal. S. Freud : Qu’avez-vous contre les animaux ? Moi je préfère la compagnie des animaux à celle des humains. G.S.V. : Pourquoi ? S. Freud : parce qu’ils sont plus simples. Ils ne souffrent pas de division de la personnalité, de désintégration de l’ego, dus à la tentative de l’homme de s’adapter à des modèles de civilisation trop élevés pour son mécanisme intellectuel et psychique. Le sauvage, comme la bête, est cruel, mais il n’a pas la méchanceté de l’homme civilisé. La méchanceté est la vengeance de l’homme contre la société, à cause des restrictions que celle-ci lui impose. Les caractéristiques les plus désagréables de l’homme sont engendrées par cet ajustement précaire à une civilisation compliquée. C’est le résultat du conflit entre nos instincts et notre culture. Les émotions simples et directes d’un chien sont bien plus agréables, quand il remue la queue ou qu’il aboie pour exprimer son déplaisir. Les émotions du chien (ajoute Freud pensivement) nous rappellent les héros de l’antiquité. C’est peut-être la raison pour laquelle nous leur donnons inconsciemment des noms de héros comme Achille ou Hector. G.S.V. : J’ai un chiot doberman Pinscher qui s’appelle Ajax. S. Freud : (souriant) Je suis heureux de savoir qu’il ne sait pas lire. Il serait sûrement un membre de la famille moins apprécié, s’il pouvait aboyer ses opinions sur les traumatismes psychiques et le complexe d’Œdipe ! G.S.V. : Même vous, professeur, trouvez l’existence excessivement complexe. Il me semble tout de même que vous êtes en partie responsable des complexités de la civilisation moderne. Avant que vous inventiez la psychanalyse, nous ne savions pas que notre personnalité était dominée par une troupe belligérante de complexes contestables. La psychanalyse fait de la vie un véritable casse-tête. S. Freud : En aucun cas. La psychanalyse rend la vie plus simple. Nous acquérons une nouvelle synthèse après l’analyse. La psychanalyse réordonne l’enchevêtrement de pulsions dispersées, elle s’efforce de les enrouler autour de leur touret. Ou, pour changer de métaphore, la psychanalyse procure le fil qui conduira la personne hors du labyrinthe de son propre inconscient. G.S.V. : En surface, du moins, il semble que jamais la vie humaine n’ait été plus complexe. Chaque jour vous proposez, vous ou vos disciples, une idée nouvelle qui rend plus embrouillé et contradictoire le problème de la conduite humaine. S. Freud : La psychanalyse au moins, ne ferme jamais la porte à une nouvelle vérité. G.S.V. : Certains de vos disciples, plus orthodoxes que vous, s’accrochent à chaque énoncé qui sort de votre bouche. S. Freud : La vie change. La psychanalyse change, elle aussi. Nous sommes tout juste aux commencements d’une science nouvelle. G.S.V. : La structure scientifique que vous construisez me paraît beaucoup plus élaborée que ça : ses fondements – la théorie du « déplacement », de la « sexualité infantile », du « symbolismes des rêves » etc. – semblent avoir une permanence. S. Freud : Je le répète, nous n’en sommes qu’aux débuts. Je ne suis qu’un initiateur. J’ai réussi à dégager des monuments enterrés dans les substrats de l’esprit. Mais là où j’ai découvert quelques temples, d’autres découvriront peut-être des continents. G.S.V. : Vous mettez toujours surtout l’accent sur la sexualité ? S. Freud : Je répondrai par les mots d’un poète de chez vous, Walt Whitman : « Yet all were lacking, if sex were lacking »1. Ceci dit, je vous ai expliqué que je mets maintenant l’accent sur « l’au-delà » du plaisir – la mort, la négation de la vie. Ce désir explique pourquoi certains hommes aiment la douleur – comme un pas vers l’anéantissement. Cela explique pourquoi les poètes aiment ceci : « Quels que soient les dieux qui existent Qu'aucune vie ne vive pour toujours Que les morts jamais ne se lèvent Et qu'aussi le fleuve le plus las Débouche tranquillement dans la mer » G.S.V. : Comme vous, Shaw ne souhaite pas vivre à jamais, mais la différence avec vous, c’est qu’il considère le sexe comme sans intérêt. S. Freud : (souriant) Shaw ne comprend rien au sexe. Il n’a même pas la plus vague conception de l’amour. Aucune de ses pièces ne présente de véritable histoire d’amour. Il fait une farce de l’amour de Jules César – qui est peut-être la plus grande passion de l’histoire –. Avec méchanceté, il dépouille délibérément Cléopâtre de toute grandeur pour en faire une simple jeune fille insignifiante. La raison de l’étrange attitude de Shaw envers l’amour, qu’il nie être le mobile de toutes choses humaines (ce qui fait ses pièces n’atteignent pas à une acclamation universelle malgré leur immense portée intellectuelle), est inhérente à sa psychologie. Dans l’une de ses préfaces, il souligne lui-même l’aspect ascétique de son tempérament. Je peux me tromper sur beaucoup de choses, mais je suis sûr de ne pas me tromper quand j’insiste sur l’importance de l’instinct sexuel. Cela est tellement fort que cela heurte toujours les conventions et les garde-fous de la civilisation ; l’humanité, par autodéfense, tend à lui dénier cette importance suprême. Râpez (si vous grattez ?) un Russe, dit le proverbe, sous la peau apparaîtra le Tartare. Analysez n’importe quelle émotion humaine, peu importe sa distance de la sphère de la sexualité : vous trouverez cette pulsion primordiale grâce à laquelle la vie se perpétue. G.S.V. : Vous avez sans aucun doute été bien suivi dans votre transmission de ce point de vue aux écrivains modernes. La psychanalyse a donné de nouvelles intensités à la littérature. S. Freud : Elle a aussi beaucoup reçu de la littérature et de la philosophie. Nietzsche a été l’un des premiers psychanalystes, il est surprenant de voir à quel point son intuition préfigure nos découvertes. Personne d’autre que lui n’a aussi profondément pressenti la dualité des motivations de la conduite humaine et l’insistance du principe de plaisir à prédominer indéfiniment. Zarathoustra dit : « La douleur crie : Va ! Mais le plaisir appelle de ses vœux l’éternité pure, Il appelle l’éternité profonde et inextinguible ». On discute peut-être moins de la psychanalyse en Autriche et en Allemagne qu’aux États-Unis, mais son influence sur la littérature est immense. Thomas Mann et Hugo von Hofmannsthal nous doivent beaucoup. Le parcours de Schnitzler est en grande partie parallèle à mon propre cheminement. Il exprime poétiquement ce que j’essaie de communiquer scientifiquement. Mais le Dr. Schnitzler n’est pas seulement un poète, il est aussi un scientifique. G.S.V. : Vous, vous n’êtes pas seulement un scientifique mais aussi un poète. La littérature américaine est imprégnée de psychanalyse : Hupert Hugues, Harvrey O’Higgins et d’autres sont vos interprètes. Il est presque impossible d’ouvrir un roman nouveau, sans y trouver une quelconque référence à la psychanalyse. Parmi les dramaturges, Eugene O’Neil et Sydney Howard ont une grande dette envers vous. The silver cord, uploads/Management/ lm245-freud-la-valeur-de-la-vie.pdf
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- Publié le Dec 07, 2022
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