Théorie et pratique d’une analyse de texte littéraire avec des outils linguisti

Théorie et pratique d’une analyse de texte littéraire avec des outils linguistiques : bilan d’une recherche Sabine Mohr-Elfadl Université de Strasbourg 1. Remarques préliminaires Cette contribution présente le bilan de ma thèse de doctorat (Mohr- Elfadl 2006b) portant sur la phraséologie dans l’œuvre de Günter Grass : Etude thématique et pragma-stylistique du roman Die « Blechtrommel » (de 1959) et de sa traduction française « Le Tambour » (traduit par Jean Amsler 1960). Il s’agira d’une présentation de ce travail dans une perspective méthodologique, en tant qu’expérience d’application d’un certain nombre de méthodes et de concepts linguistiques à un corpus littéraire, en soulignant notamment la spécificité des résultats dus à l’approche linguistique d’un texte qui a déjà fait l’objet d’un grand nombre d’études, très majoritairement littéraires. Le corpus est constitué d’un tandem de textes, d’un original (Grass 1959) et de sa traduction (Grass 1961), qui ne sont pas comparés sur tous les plans mais de façon ponctuelle et ciblée. Au centre de l’intérêt se trouvent les unités langagières préfabriquées, autrement dit phraséologiques dans un sens large : idiomes (locutions partiellement ou totalement idiomatiques), collocations (solidarités lexicales), constructions à verbe support, locutions géminées, formules de routine, expressions onymiques, citations, sentences, mots ailés etc. Dans la mesure où le plan de la thèse reflète la démarche méthodologique, je présenterai dans un premier temps ce plan pour revenir ensuite sur les conditions particulières d’une recherche linguistique sur ce corpus littéraire, sur les objectifs poursuivis par cette thèse en particulier, sur les outils notionnels et méthodologiques mis en œuvre, sur les principaux résultats et finalement sur quelques difficultés rencontrées. Sabine Mohr-Elfadl 2. Le Plan de la thèse Etant donné que ce travail fait appel à des notions et méthodes issues de domaines de recherche distincts, le bilan de la recherche qui constitue la première grande partie de la thèse s’organise en cinq chapitres, consacrés (i) aux recherches qui prennent pour objet le texte et / ou le discours, dans une perspective structurale et / ou énonciative, entre autres la Textanalyse (allemande) et l’analyse du discours (française), en particulier des approches linguistiques de l’objet «texte littéraire » (de Beaugrande & Dressler 1981 ; Sandig 1988 ; Ehlich 1994 ; Antos & Tietz 1997 ; Adam 1999 ; Brinker 2000 ; Fix 2001 ; Maingueneau 2001 ; Adamzik 2002 ; Charaudeau & Maingueneau 2002 ; Sandig 2006). (ii) aux recherches en stylistique, en particulier les tendances qui s’intéressent aux traits stylistiques dans une perspective discursive, réunissant description et analyse fonctionnelle, que l’on peut appeler la pragma-stylistique (Fleischer 1993 ; Pérennec 1995 ; Adam 1997 ; Püschel 2000 ; Mohr-Elfadl 2006a) ; (iii) aux recherches phraséologiques, en particulier à celles qui s’intéressent aux dimensions textuelles des phrasèmes, leurs rôles pour la constitution textuelle et discursive (Fleischer 1997 ; Gréciano 1997 ; Gülich & Krafft 1997 ; Schmidt 1998 ; Dobrovol’skij 1999 ; Rothkegel 1999 ; Sabban 2007) ; (iv) à la traductologie, en particulier à la description analytique et évaluative, mais aussi aux questions liées à la traduction du préfabriqué langagier comme éléments discursifs, à la phraséologie comme difficulté de traduction (Eismann 1995 ; Hausmann 1997 ; Gläser 1999 ; Stolze 2003) ; (v) à un certain nombre de résultats de la recherche autour du roman Die Blechtrommel (BT), concernant les thématiques, le style, la narratologie et le genre. La seconde partie de la thèse débute sur quelques réflexions concernant l’onomasiologie étant donné que dans l’annexe, je propose (sur 70 pages, environ 3500 expressions) un inventaire raisonné des unités phraséologiques relevés dans le roman, en suivant un classement thématique et conceptuel, c’est-à-dire onomasiologique (Reichmann 1990 ; Bardosi 1992 ; Möhrig 1992). Les études de cas qui forment le noyau de la seconde partie cherchent à représenter dans leur variété les fonctions textuelles et les valeurs stylistiques de l’emploi du préfabriqué langagier dans ce roman. 3. Les conditions particulières de l’analyse d’un texte fictif narratif littéraire Une question fondamentale qu’il a fallu se poser en amont de toute analyse concrète (cf. le thème du colloque) est celle des conditions particulières dans lesquelles a lieu ce qu’on appelle la « communication 2 Théorie et pratique d’une analyse de texte littéraire avec des outils linguistiques esthétique’ ou encore « l’énonciation littéraire » (Maingueneau 2001). Un roman en constitue un cas de figure parmi d’autres, avec une complexité spécifique en ce qui concerne les instances énonciatives (auteur – narrateur). Il est question de textes à prétention littéraire dont les propriétés de forme et de contenu confondues sont censées avoir une valeur en soi ; des textes qui ne sont donc pas destinés à un usage de communication pratique et peuvent être « goûtés » selon différents critères : originalité, virtuosité, expressivité, densité, congruence fonction – moyens d’expression. Une des particularités sémantiques de ces textes est souvent leur caractère non univoque, une multiplication des lectures possibles, la marge d’interprétation que l’auteur laisse à ses lecteurs, incitant à une lecture entre les lignes. Une analyse linguistique doit prendre en compte ces spécificités si elle veut prétendre à représenter une approche réellement concurrentielle ou complémentaire par rapport à d’autres analyses, notamment littéraires. 4. Les objectifs L’objectif principal d’une étude confrontative comme c’est le cas de cette thèse ne peut pas être une évaluation globale de la qualité du texte traduit. Elle comporte néanmoins des aspects évaluatifs. L’évaluation n’a pas lieu de façon systématique mais lorsqu’elle s’impose du fait d’un important décalage entre les effets de sens observés dans des séquences parallèles issues des deux textes. Ou bien lorsque la convergence entre deux séquences apparaît particulièrement réussie. Mais l’évaluation des solutions de traduction n’est de toute manière qu’un produit secondaire de l’étude car l’apport principal de la confrontation entre des séquences de texte source et de texte cible réside dans un éclairage particulier interlangue du texte original. Toute traduction étant aussi une interprétation due aux choix de traduction, l’analyse des choix du traducteur peut enrichir la connaissance sur la ou les lectures possibles d’un passage concret ou du texte dans sa globalité. La mise en regard systématique des deux textes permet une double perspective sur le texte source et en particulier sur les aspects phraséologiques. L’objectif principal poursuivi a été en effet une meilleure connaissance du texte source, donc du roman BT, par le biais des fonctions textuelles des éléments phraséologiques, ce qui englobe les effets stylistiques ainsi que les impacts thématiques. Le terme pragma-stylistique (Sandig 1988) a été choisi pour démarquer cette démarche analytique et explicative, forcément aussi interprétative, d’une perspective normative (Malblanc 1963) ou encore purement stylométrique (Zemb 1995). La question fondamentale étant celle du rôle des éléments envisagés, des phrasèmes, pour la constitution du sens. 3 Sabine Mohr-Elfadl Non pas d’un hypothétique seul et unique sens du texte, mais du sens qu’un lecteur est susceptible de percevoir dans telle séquence étudiée. Non pas en laissant libre cours à son ressenti subjectif, mais en restant le plus près possible des faits observables, pour ainsi remplir au mieux le contrat de scientificité. 5. Les outils notionnels Dans l’objectif de mieux cerner les fonctions des phrasèmes dans et pour le texte, ce travail s’appuie sur des outils notionnels développés par les différentes tendances d’analyse textuelle. Les principaux termes retenus étant ceux de structure (les aspects formels et thématiques de la structuration interne du texte, dont la progression thématique), de cohésion (morphosyntaxique et lexicale) et de cohérence (thématique et logique), de texte (un ensemble verbal cohérent doté d’une structure) et de discours (d’un texte considéré comme énoncé, comme outil principal d’un acte de communication, avec prise en compte des participants à cet acte et de la situation). La notion de genre étant équivoque ici, nous retenons celle de type de texte (ou schéma, par exemple lettre administrative, prière). Concernant la notion de style, les deux principales notions d’analyse dans une perspective pragma-stylistique sont celles de choix et de saillance : on peut parler de style lorsque des choix sont possibles entre différentes solutions d’expression, lorsque la langue (le système fixé comme tel par les grammaires et les dictionnaires) ou les zones de liberté de la langue (là où la communication – l’expression et la compréhension – est possible, éventuellement au mépris d’une règle), lorsque donc la langue ou les zones de liberté linguistique (Adam 1997) permettent différentes possibilités d’expression, parmi lesquelles l’auteur choisit ou qu’il peut créer. La notion de saillance est complémentaire de la notion de choix dans la mesure où elle met l’accent sur un autre aspect des mêmes phénomènes. Lorsqu’un élément du texte se fait remarquer d’une façon ou d’une autre dans son contexte, c’est-à-dire le cotexte ou la situation d’énonciation, il est perçu comme saillant. Cette saillance peut se manifester sur le plan formel, ou bien être due à des contrastes sémantiques. La saillance se distingue de l’erreur ou du mal dit par le facteur de l’intentionnalité. Un moyen d’expression saillant n’est pas remplaçable sans modification du sens, il a été choisi (nous écartons la question du degré de conscience de ce choix), il a été approuvé par l’auteur qui l’a trouvé uploads/Management/ mohr-elfadl.pdf

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  • Publié le Dec 25, 2021
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