QUE SAIS-JE ? Sociologie des organisations CATHERINE BALLE Huitième édition mis

QUE SAIS-JE ? Sociologie des organisations CATHERINE BALLE Huitième édition mise à jour 29e mille Introduction es organisations sont un élément familier de notre environnement quotidien. Nous associons des activités à des noms qui eux-mêmes renvoient à des organismes ou à des organisations : entreprises, administrations, sociétés de service et bien d’autres institutions. Par le biais de l’expérience, la connaissance des organisations correspond ou, inversement, n’échappe pas à une perception immédiate du social. L ’importance des organisations s’inscrit dans l’évolution des sociétés contemporaines. Au xixe siècle, dans le monde occidental, leur développement est lié à l’industrialisation et à la bureaucratisation. Un certain repli institutionnel a caractérisé la période de l’entre-deux-guerres. Mais, après 1945, cette tendance a connu une accélération spectaculaire. Dans le secteur industriel, les activités ont été concentrées dans des structures de grande taille. L ’intervention des administrations s’est étendue du local au national. Plus récemment encore, l’action des organisations, publiques et privées, se situe dans un cadre supranational. Les entreprises et les administrations possèdent ainsi des capacités d’action considérables. Depuis plus d’un siècle, la complexité des organisations a attiré l’attention des spécialistes en sciences humaines. Universitaires, chercheurs, consultants et praticiens ont contribué à définir une démarche scientifique qui permette de rendre compte du phénomène organisationnel. Ces spécialistes ont mis en évidence la présence de nombreux traits communs au-delà de l’hétérogénéité des situations concrètes : taille des unités, production de masse, structures formelles, importance des ressources financières, nombre et professionnalisation des employés, innovation technique, rationalisation administrative, internationalisation des échanges. La mondialisation accentue les traits évoqués dans ce panorama organisationnel. Les organisations suscitent également des critiques sévères sur leur incapacité à gérer la complexité et leur inefficacité. À cet égard, les petites unités qui L avaient été longtemps négligées, font l’objet d’une reconsidération. Par ailleurs, les entreprises et les administrations sont le lieu de tensions et de conflits. L ’inégalité des relations professionnelles est à l’origine de différends politiques et de débats scientifiques. En outre, avec l’apparition des nouvelles technologies, les formes traditionnelles d’organisation sont mises en question. Au début du xxie siècle, les changements d’échelle et la flexibilité qu’ils requièrent sont devenus des enjeux majeurs. La difficulté de diriger ces ensembles humains a fait de la connaissance de leur fonctionnement une priorité. Les spécialistes ont proposé des modèles d’action susceptibles d’apporter des solutions aux problèmes soulevés par la complexité. Atteindre une plus grande efficacité par une meilleure organisation est apparu comme la clé du succès. La dimension humaine des organisations est un objet d’étude et d’intervention. Cette double vocation, scientifique et pratique, est une particularité de la réflexion sur les organisations. Elle est une source d’enrichissement et d’ambiguïté. C’est aux États-Unis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que les sociologues ont abordé la réalité sociale sous l’angle de l’organisation, pour reprendre la formulation de Georges Friedmann à propos de la sociologie du travail. Depuis lors, les travaux de recherche effectués dans cette perspective se sont considérablement étendus. Ils ont donné lieu à la constitution d’un domaine spécifique – à savoir, la sociologie des organisations et, plus généralement, l’étude des organisations. En France, l’approche organisationnelle n’a pas acquis une ampleur similaire. La réflexion menée par Michel Crozier a été pionnière et les recherches réalisées par le Centre de sociologie des organisations, dans le cadre du Centre national de la recherche scientifique, sont demeurées longtemps inédites. Qu’en est-il actuellement ? Il ne fait aucun doute que la situation de la sociologie des organisations en France s’est notablement modifiée. La multiplication des études sur la dimension organisée du social est le signe d’une telle évolution. Toutefois, les travaux nord-américains consacrés à l’organisation et aux organisations, les plus nombreux, sont toujours mal connus du lecteur français. C’est pourquoi le « Que sais-je ? » présenté ici, sous une forme à la fois révisée et actualisée, se situe dans une perspective internationale pour retracer les étapes essentielles de cette tradition intellectuelle. À la fin du xixe siècle et au début du xxe, une réflexion sur les organisations se dessine (chap. I). Puis, dans l’entre-deux-guerres, les organisations donnent lieu à des observations et font l’objet d’une réflexion théorique (chap. II). Après la Seconde Guerre mondiale, l’étude des organisations devient un thème de la sociologie (chap. III). Parallèlement, des théories de l’organisation s’élaborent (chap. IV). À partir des années 1970, l’étude des organisations est désormais un domaine de réflexion autonome (chap. V). Vingt ans plus tard, la diversité des approches renforce l’importance du débat théorique (chap. VI). Les contributions récentes témoignent de l’actualité de la démarche (chap. VII). Chapitre I Les origines d’une tradition es sociologues de l’organisation partagent avec les autres sociologues le souci de marquer leurs différences, qu’il s’agisse d’une divergence de points de vue, de la spécificité des méthodes ou de l’originalité des interprétations. Ils échappent cependant à cette pratique courante en ce qui concerne les origines de la sociologie des organisations et les influences intellectuelles qui ont favorisé l’apparition d’une telle approche. Dans les manuels qui ont contribué à définir ce domaine particulier de réflexion, les auteurs sont unanimes sur les « ancêtres », les « pionniers » ou les « précurseurs » : Max Weber et Frederick Winslow Taylor [1]. Weber et Taylor partagent certaines caractéristiques. Ils ont vécu à la même époque – à la fin du xixe siècle et au début du xxe –, ont porté un intérêt similaire à la modernisation de la société et ont étudié ses transformations. Mais, de fait, tout les distingue : leur pays d’origine, leur expérience professionnelle, leur projet intellectuel, leur apport scientifique, les répercussions sociales de leurs travaux. I. La doctrine taylorienne L ’importance accordée à F. W. Taylor par les spécialistes de l’organisation est à la fois très grande et particulièrement contestée. En effet, ces universitaires ont repris les critiques plus générales dont le taylorisme faisait l’objet. « Peu d’hommes ayant voué leur vie à l’étude du travail ont été, par les uns plus encensés, par les autres plus maudits », écrit Louis Danty-Lafrance, en 1957, dans la préface de la traduction française de l’ouvrage le plus connu de Taylor : The Principles of Scientific Management [2]. L 1. Frederick Winslow Taylor F. W. Taylor est né en 1856 près de Philadelphie. Il entreprend des études supérieures mais doit les interrompre pour des raisons de santé. Taylor est ouvrier de 1874 à 1878, apprenti modeleur dans une fabrique de pompes. En 1878, à 22 ans, il entre à la Midvale Steel et « ce fut une période d’intense travail ». En effet, Taylor devient contremaître puis responsable d’atelier et ingénieur dont il acquiert le titre universitaire. Il quitte cette entreprise en 1880 pour la Manufacturing Investment Company dans laquelle il procède à de nombreuses expérimentations dans le domaine de la production et de l’organisation, malgré les réticences du personnel et de la direction – opposition que Taylor a rencontrée pendant toute sa carrière. En 1893, Taylor s’établit comme ingénieur-consultant, spécialiste en « organisation systématique des ateliers et des prix de revient ». Il participe activement aux travaux de réflexion menés au sein de l’American Society for Mechanical Engineers dont une des préoccupations majeures était l’amélioration de la rentabilité des entreprises par la modernisation des modes d’organisation et de direction. C’est dans le cadre d’une manifestation de cette société savante que Taylor donne, en 1895, une conférence dans laquelle il expose, pour la première fois, les idées du « management scientifique ». En 1903, il fait une présentation sur le shop management, c’est-à-dire la direction des ateliers, et, en 1909, sur les Principles of Scientific Management. Taylor prend un poste de responsabilité à la Bethlehem Steel. Il met au point une technique de découpage de l’acier et reprend ses travaux sur l’organisation. Il est congédié par cette entreprise en 1901 et a un rôle de conseil bénévole tant aux États-Unis qu’à l’étranger jusqu’en 1915, date de sa mort à l’âge de 59 ans. Taylor a été l’objet tout autant d’une « foi passionnée » de la part de ses disciples, tel Henry Le Chatelier qui a fait connaître Taylor en France, que de la réticence des milieux patronaux et du discrédit des organisations syndicales. 2. Un doctrinaire La personnalité et la vie professionnelle de Taylor offrent une image d’une extrême ambivalence. Par certains aspects, il se situe dans un milieu et à une époque, la bourgeoisie américaine de la côte Est des États-Unis à la fin du xixe siècle. C’est d’ailleurs ce que traduit parfaitement le portrait tracé par Georges Friedmann dans La crise du progrès. Esquisse d’histoire des idées, 1895-1935, publié en 1936 : « C’est dans cette époque héroïque des États- Unis, à la fois industrialiste et scientiste (L’Origine des espèces et La Descendance de l’Homme étaient alors en train de pénétrer une partie du public), que sont conçus, grandissent, s’expriment, s’impriment dans les hommes et dans les choses, les grands systèmes d’organisation scientifique du travail industriel (…). Bien des traits dans l’ascendance de Frederick Winslow Taylor semblaient le préparer à jouer un rôle de doctrinaire (…). La famille uploads/Management/ sociologie.pdf

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  • Publié le Jui 15, 2021
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