LES STRATÉGIES DE MÉMOIRE * Claude Paraponaris Gilda Simoni Aix Marseille Unive
LES STRATÉGIES DE MÉMOIRE * Claude Paraponaris Gilda Simoni Aix Marseille Université, CNRS, LEST UMR 7317 13626, Aix en Provence, France 35 Av. Jules Ferry, 13626 Aix-en-Provence Cedex 01 Résumé Cet article questionne les stratégies de mémoire développées par les firmes multinationales. A partir de l’identification des besoins de mémoire engendrés par la diversité des activités et les exigences de l’innovation, on formule un choix d’analyse qui permet de positionner les méthodes de management des connaissances au sein d’un projet d’élaboration de la mémoire d’entreprise. On examine un ensemble de dispositifs majeurs de production et de diffusion des connaissances qui soutiennent la stratégie de mémoire. Cette analyse s’appuie sur des études de cas réalisées auprès de vingt multinationales européennes et américaines. La construction d’une mémoire d’entreprise apparaît ici comme une modalité importante de consolidation des compétences centrales des firmes. Mots-clés : Management des connaissances, Capitalisation des connaissances, Mémoire d’entreprise, Mémoire de projet, Ressources stratégiques, Réseaux de diffusion. * Le travail présenté a été réalisé dans le cadre d’un programme européen (contrat n°SOE 1- 1054, project n°1297, Communauté Européenne, DG XII) regroupant un réseau de laboratoires : Canterbury Business School, CRIS International Berlin et Santa Barbara, Institute for Advanced Studies (Vienne), Dinamia (Lisbonne), Lirhe (Toulouse), Lest (Aix- en-Provence). Les auteurs restent seuls responsables des analyses développées. 1. Introduction Que faire du passé lorsque c’est le futur qui guide les actions ? Telle est la question que peuvent se poser les dirigeants convaincus par l’idée que la production et la circulation des connaissances au sein de leur organisation définissent la capacité de celle-ci à conforter leur compétitivité. Les connaissances figurent au rang des ressources sur lesquelles une entreprise peut fonder son développement stratégique (Grant 1997). De nombreux travaux nous enseignent aujourd’hui le rôle particulier que jouent les connaissances d’une part dans la formation des décisions, d’autre part dans la construction des organisations. On met ainsi en évidence le concept de carte cognitive des dirigeants (Huff 1990) et celui de paradigme stratégique (Johnson 1987) afin d’expliciter le cheminement de la pensée stratégique. La prise de décision fait l’objet d’une modélisation accordant toute leur place aux croyances, aux apprentissages ainsi qu’au fonctionnement de la mémoire (Munier 1994). De manière complémentaire, les travaux relatifs aux activités de conception nous montrent comment se forment les connaissances au sein d’une organisation en identifiant les points de passage entre les dimensions individuelle et collective (Hatchuel 1994). De ce point de vue, le développement d’un management explicite des connaissances invite à s’interroger sur l’élargissement de la scène stratégique. Le management des connaissances représente un enjeu nécessaire compte tenu des mouvements qui affectent les données de base d’une activité (départs des employés, fusions industrielles et commerciales, management par projet, partage en réseau des activités entre plusieurs partenaires). On justifie l’intérêt de la question par la prise de conscience que les connaissances détenues par les employés constituent un capital immatériel qu’il convient de gérer surtout dans des situations d’instabilité informationnelle. C’est notamment le cas lorsque la firme s’engage dans des collaborations variées (alliances, réseaux) pour justement bénéficier de nouvelles connaissances techniques ou commerciales (Inkpen 1996 ; Kale et Singh 1999). D’une manière plus générale c’est la question de l’organisation des différents types d’apprentissage, une fois l’activité terminée, qui se pose. On évoque à ce titre les risques d’une mémoire défaillante (Dieng et al. 1998). La mémoire organisationnelle (Girod 1995) devient un point de passage obligé pour consolider les ressources détenues afin de conserver une capacité d’action stratégique. Il reste alors à savoir selon quelle intensité les connaissances sont utilisées en tant que levier stratégique. Quels sont par exemple les rôles respectifs des bases de données (codification des connaissances) et de la communication (personnalisation des 2 connaissances) ? En d’autres termes quel crédit accorder à une politique spécifique de management destiné aux connaissances ? Ne doit-on pas plutôt s’attacher à explorer les processus qui soutiennent l’élaboration d’une stratégie de mémoire ? On peut ainsi s’intéresser aux contours de la mémoire organisationnelle et caractériser les différentes modalités de gestion des connaissances. On peut aussi s’attacher à démontrer que les processus de construction et de diffusion des connaissances font l’objet d’une certaine répartition au sein des missions traditionnelles d’organisation et d’animation propres à chaque entreprise. Répartition qui a toujours existé et dont l’importance ne fait que s’aiguiser avec les besoins d’identification et de maîtrise des ressources détenues (Barney 1991). Nous développerons ici cette orientation en définissant les différents besoins de mémoire d’entreprise et en explicitant leurs modalités de prise en charge au sein des entreprises. Une grande partie de ces besoins se structure autour du défi de la diversité (ressources, lieux d’exercice, activités). Leur prise en compte n’est pas forcément assurée par des outils spécifiquement dédiés mais davantage par des outils et dispositifs de gestion dont une bonne part ne correspond pas exclusivement à des besoins de management des connaissances. Les mémoires dont nous traiterons concernent des entreprises au sein desquelles la Recherche et Développement (R&D) est centrale, il s’agit de firmes dites à « haute intensité technologique » développant leurs activités en réseau sur une échelle globalisée (firmes multinationales). Les connaissances qui y sont en jeu sont en grande partie de nature scientifique et technique, elles alimentent les processus d’innovation et doivent pour cela être fréquemment renouvelées ou faire l’objet de nouvelles combinaisons. Il est particulièrement intéressant d’apprécier à ce niveau la place faite aux dispositifs de gestion dans la capitalisation des connaissances. Notre étude empirique présente un caractère exploratoire. Elle a été conduite sur une échelle internationale auprès de firmes multinationales qui fondent leur croissance sur la consolidation de leur patrimoine de connaissances et qui sont à ce titre intéressées par des alliances aussi bien avec des partenaires industriels qu’universitaires (« alliances académiques »). Nous distinguerons tout d’abord les différents choix méthodologiques qui s'offrent à l'analyse des stratégies de mémoire (Partie 1). Les travaux récents sur la mémoire organisationnelle démontrent l'intérêt de combiner plusieurs options de gestion des connaissances plutôt que d'opérer une sélection plus limitée, leur présentation nous permet de préciser notre méthodologie. Nous traiterons par la suite (Partie 2) des questions de construction et de diffusion des connaissances en précisant le rôle des dispositifs d’évaluation de la mémoire d’entreprise. 3 2. Quelle conception de la mémoire ? 2.1. Mémoire individuelle et mémoire organisationnelle Si l’on adopte la vision de ses principaux promoteurs, la mémoire d'entreprise se définit comme la représentation explicite et désincarnée des connaissances et des informations dans une organisation. La capitalisation des connaissances a alors pour objectif de favoriser la croissance, la transmission et la conservation des connaissances (Steels 1993). Une mémoire d’entreprise devrait fournir « la bonne connaissance ou information à la bonne personne au bon moment et au bon niveau pour que cette personne puisse prendre la bonne décision » (Grundstein et Barthès 1996). Ces volontés d’organisation ont le mérite de mettre en évidence la nécessité de maîtriser la diversité cognitive qui s’est développée au sein des activités. Cette diversité est multiforme, elle a été en grande partie créée par les choix stratégiques des entreprises. En fait les besoins de mémoire apparaissent explicitement à l’issue de deux mouvements stratégiques bien connus qui ont tout d’abord été analysés dans la littérature de manière dichotomique (March et Simon 1958) puis complémentaires (Lawrence et Lorsch 1967). Ces deux mouvements décrivent assez bien les multinationales étudiées. Dans un premier temps, et face à un accroissement du caractère imprédictible de l’environnement (ici technologique et commercial), ces firmes différencient leurs investissements en R&D en internationalisant davantage leurs laboratoires qui reçoivent chacun une mission particulière de création de connaissances technologiques. La diversité des implantations internationales crée de fait une complexité plus forte en matière de transactions externes : il s’agit de la diversité des modalités de collaboration avec les acteurs locaux (alliances avec firmes et universités) aussi bien que des connaissances technologiques qui sont élaborées. D’où la nécessité d’intégrer les différents processus qui alimentent les projets d’innovation de la firme. Avant même la mise en oeuvre d'une stratégie de mémoire, il existe au sein d'une organisation plusieurs types et niveaux de mémoire. Pour un niveau individuel la mémoire peut déjà être présentée comme double : elle rassemble des unités symboliques retraçant le passé, elle constitue aussi le reflet des projets de par ses mécanismes de sélection, de pondération et d'oubli. On peut en fait distinguer trois capacités de mémoire : le stockage proprement dit, le processus de recherche et de réactualisation, enfin, plus dynamique, le processus de stockage, d'organisation et d'évolution (Atlan 1978). Les termes de la mémoire permettent ensuite de distinguer les différents processus de traitement de l'information et de construction des connaissances individuelles. Selon Simon (1969) la mémoire est organisée au moyen d'un 4 schème associatif, les associations ayant les propriétés de structures de listes. Ces dernières se forment, avec des performances différenciées, en mémoire court terme (renfermant de petites quantités d'information disponible à accès rapide) et mémoire long terme (fonctionnant comme une grande encyclopédie, l'information y étant rangée par thèmes reliés par des références croisées, dotée d'un accès direct via uploads/Management/aims-2002-lesstratgiesdemmoire.pdf
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- Publié le Jul 14, 2022
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