© 2005 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.amp.2005.08.002 Annales Médico Ps
© 2005 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.amp.2005.08.002 Annales Médico Psychologiques 163 (2005) 769–779 Communication Évaluation des psychothérapies selon les principes de l'Evidence-based Medicine. Enjeux et scientificité du rapport de l'Inserm Psychotherapy's evaluation on EBM principles. Stakes and scientific char- acter of Inserm's report of psychotherapy G. Fischman Psychiatre des hôpitaux, Service hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique, Centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France Disponible sur internet le 03 octobre 2005 Résumé L'auteur aborde l'évaluation des psychothérapies d'après les principes de l'Evidence-based medicine tels qu'ils émergent dans le rapport de l'Inserm sur l'efficacité comparée des psychothérapies cognitivo-comportementales, psychodynamiques et familiales où seules les études cliniques randomisées ou contrôlées et les méta-analyses ont été retenues. La méthodologie et les conclusions du rapport ont soulevé de nom- breuses objections. Une évaluation appropriée ne doit pas se fonder uniquement sur des études fondées sur les principes de l'EBM : critères d'inclusion restrictifs, réduction des variables, non prise en compte des biais des études primaires, amplification des résultats en fonction du nombre d'études. Les recherches futures devraient intégrer la réalité complexe des données subjectives et rendre compte, par des études de cas individuels, de la difficulté de la quantification des changements psychothérapiques. Des remarques épistémologiques concernant la scientificité des démarches évaluatives sont abordées. © 2005 Publié par Elsevier SAS. Abstract The author deals with the psychotherapy's assessment according to the principles of the Evidence-based medicine that emerge from the Inserm's report about the comparative efficacy of cognitivo-behavioral, psychoanalytical and family therapies, in which only randomised cli- nical trials and meta-analyses were accepted. The methodology and the report's conclusions raised many objections. A proper assessment should not be founded only on the EBM principles, i.e. restrictive inclusion criteria, reduction of variables, increasing results in relation to the number of studies, absence of attempts to take into account the devices of the primary studies. Future research should integrate the com- plex reality of subjective data and, through studies of individual cases, give an account of the difficulties related to the quantification of psy- chotherapeutic changes. Epistemological comments are made about the scientific nature of this method of evaluation. © 2005 Publié par Elsevier SAS. Mots clés : Épistémologie ; Évaluation des psychothérapies ; Evidence-based medicine ; Inserm Keywords: Epistemology; Evidence-based medicine; Inserm; Psychotherapy assessment * Auteur correspondant Adresse e-mail : georges.fischman@wanadoo.fr (G. Fischman). 770 Évaluation des psychotherapies / Annales Médico Psychologiques 163 (2005) 769–779 1. Introduction : objectifs et résultats de l'expertise de l'Inserm L'évaluation des psychothérapies a depuis longtemps sus- cité le développement d'études afin de connaître leurs effets tant sur les symptômes que sur la personnalité. Pourtant, les diverses écoles ont accordé une importance diverse à la dé- marche évaluative systématisée. En France, il n'existe pas une tradition de recherche quantitative et peu d'équipes de recherches, telle celle de Gérin et Dazord, se sont consacrées à l'évaluation [18,11]. En 2002, afin d'éclairer le législateur dans le processus politique d'encadrement sanitaire des pratiques psychothéra- piques, les pouvoirs publics ont commandé à l'Inserm un rapport d'expertise évaluant les effets des principales appro- ches. Celui-ci a réalisé l'analyse de la littérature internationale comparant l'efficacité des approches psychodynamiques (psychanalytiques), cognitivo-comportementales (TCC) et familiales. La méthodologie retenue pour l'analyse de la lit- térature s'est exclusivement fondée sur les critères de l'Evi- dence-based medicine (EBM). Le rapport, par sa conception initiale, les méthodes retenues et ses conclusions, a soulevé des multiples remarques critiques. Un comité ad hoc a été désigné sur la base d'une frappante dominance des adeptes des TCC. En effet, J.-M. Thurin, le seul expert se réclamant de sa qualité de psychiatre–psychanalyste, rédacteur du cha- pitre consacré aux techniques psychodynamiques, s'est dé- solidarisé du groupe de travail dès la publication du rapport, prenant clairement des distances à l'égard des conclusions de celui-ci [50]. Les résultats comparatifs des études consultées montrent la supériorité des techniques comportementales sur l'ensemble des troubles psychopathologiques : agoraphobie, attaques de panique, phobies sociales, anxiété généralisée, stress post-traumatique, TOC, états dépressifs, réhabilitation des schizophrènes, personnalités borderline féminines et al- coolo-dépendantes, troubles des conduites alimentaires, à partir des preuves d'efficacité établies par « une ou plusieurs méta-analyses ou des essais randomisés de forte puissance statistique et convergents ». Seuls les troubles de la person- nalité du type état limite montrent l'intérêt de l'approche d'inspiration psychanalytique. La recherche évaluative des résultats des psychothérapies n'est que rarement neutre. En effet, si des réserves de forme sont exprimées, les enjeux pour l'avenir des professionnels, sous couvert d'information scientifique des usagers, sont formulés clairement. Les auteurs du rapport proposent au pouvoir politique de mettre en acte leurs recommandations, préconisant un changement radical dans la formation des cliniciens en France, et ainsi de recomposer le champ professionnel au profit des techniques cognitivo-comportementales, afin de garantir, selon eux, la meilleure gestion de la santé publique. Nous lisons dans le chapitre de synthèse du rapport de l'Inserm : « Enfin, il nous faut ajouter que l'application sur le terrain de recommanda- tions thérapeutiques fondées sur la présente expertise pour- rait dépendre de changements à apporter à la formation des psychothérapeutes en France. Les cliniciens pratiquant les formes de psychothérapie dont on a établi la supériorité en termes d'efficacité sont considérablement moins nombreux que ceux qui pratiquent d'autres approches. Par conséquent, on constate que les psychothérapies les plus efficaces ne sont probablement pas les plus fréquemment proposées aux pa- tients atteints de ces troubles » [31], p. 27. Le clivage entre le savoir des cliniciens et les données de la littérature retenues comme ayant une valeur scientifique a rarement été aussi important [28]. Quelques mois après le choc provoqué par ce rapport tant contesté, qualifié même par Shepens de « putsch idéologique » [47], un vif débat pro- fessionnel suivi d'une polémique dans l'espace public et d'une forte mobilisation des professionnels a conduit au fait sans précédent du retrait, par le ministre de la Santé, en fé- vrier 2005, du rapport commandité par ses propres services, et ayant généré un rejet massif, inédit dans l'histoire de la psychiatrie française. Si certains y ont trouvé le dévoilement d'une vérité enfin énoncée avec la force de la certitude scientifique, les prati- ciens du champ psychanalytique l'ont jugé inacceptable. La vive polémique enclenchée était prévisible, dans un champ professionnel caractérisé jusque-là par une indifférence courtoise, voire par une certaine complémentarité. Il est tout à fait éclairant quant à la détermination des auteurs du rapport qu'ils n'ont nullement tenu compte des ré- serves émises depuis longtemps par les experts sur l'applica- bilité de résultats pour les cliniciens. Dazord avertissait déjà en 1997 : « Il n'est pas pensable de généraliser les résultats [anglo-saxons] au contexte français… En France, pour met- tre au point des stratégies d'évaluation par enquêtes des psy- chothérapies, il fallait partir de la problématique des cliniciens concernés… L'attitude scientiste d'asservissement systématique à une méthodologie existante, si elle a le mérite de permettre une comparaison avec des recherches effec- tuées dans d'autres continents, elle est souvent malheureuse- ment stérile et non créatrice et conduit à une recherche de type mimétique […] ; lorsque l'on cherche à être proche du questionnement clinique des soignants, les échelles existan- tes sont très insuffisantes, et ce particulièrement dans un contexte psychiatrique francophone où la subtilité semble importer davantage que le pragmatisme opératoire des Anglo-Saxons » [11]. Notre propos est ici d'apporter un éclaircissement sur les raisons de ce refus, par l'explicitation de quelques remarques sur la méthodologie et les fonde- ments épistémologiques du rapport, notamment en ce qui concerne les approches psychodynamiques et les thérapies cognitivo-comportementales. 2. Recours méthodologiques 2.1. Postulats et définition des règles Les principes sur lesquels repose l'EBM sont devenus de- puis une décennie le paradigme dominant dans l'univers mé- dical et psychiatrique anglo-saxon [5,16,44]. Ils répondaient Évaluation des psychotherapies / Annales Médico Psychologiques 163 (2005) 769–779 771 au souci de guider les cliniciens dans la prise de décisions thérapeutiques individuelles par l'instauration de normes de crédibilité scientifique des diverses sources d'information. Les meilleurs critères de décision devraient privilégier deux types de méthodologies : d'une part, les essais contrôlés ran- domisés (ECR) conçus selon le modèle de la recherche phar- macologique et, d'autre part, les méta-analyses des études primaires, considérées comme techniques d'analyse statisti- que fiable. Ces données factuelles déterminent des niveaux hiérarchiques de preuves de validité scientifique, au détri- ment des études sans groupe de contrôle, de l'expérience et des convictions des cliniciens. Cette visée d'objectivité et de vérification s'avère essentielle dans le cadre des recherches biomédicales. L'évolution ultérieure de ces principes appliqués à la re- cherche psychothérapique a produit un déséquilibre en fa- veur de la seule prise en compte des études contrôlées randomisées comportant des critères d'inclusion sévères, ne correspondant que partiellement aux conditions de la prati- que courante [17]. Cela a relégué au dernier plan les enquê- tes « naturalistes » réalisées en tenant compte de la complexité des conditions réelles de la clinique. La réalisa- tion d'études comparatives entre les populations incluses dans le cadre des ECR et dans des conditions de pratique courante a brisé cet élan consensuel. uploads/Management/fishman-evaluation-psychotherapie-ebm-05-1.pdf
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