Le principe de précaution : de l'éthique à la politique 1 Technologies de l'i

 Le principe de précaution : de l'éthique à la politique 1 Technologies de l'information et intensification du travail 4 L’utilisation des services en ligne : l’envolée sauvage ? 6 Sommaire nes se situent dans une question éthique : celle de la responsabilité face aux généra- tions futures. Le principe de responsabilité selon Hans Jonas La plupart des auteurs situent le principe de précaution dans la filiation directe d’une ré- flexion éthique, ouverte par le philosophe al- lemand Hans Jonas (1903-1993) dans son li- vre “Le principe responsabilité”. Jonas s’in- terroge sur l’évolution de nos modes d’ac- tion au sein de la civilisation technologique. Le pouvoir que nous confèrent aujourd’hui la science et la technologie entraîne une res- ponsabilité nouvelle et inédite : “léguer aux générations futures une terre humainement habitable et ne pas altérer les conditions bio- logiques de l’humanité”. Cet impératif limite notre liberté. Mais Jonas reconnaît qu'on ne saurait édifier un système plus respectueux des contraintes écologiques sans un effort scientifique et technique approprié. Il plaide donc pour une nouvelle conception de la res- ponsabilité. u’il s’agisse d'effet de serre, d’orga- nismes génétiquement modifiés, de déchets nucléaires ou de vaches fol- les, le principe de précaution est de plus en plus souvent invoqué dans des décisions politiques où il faut évaluer un risque à long terme pour l’en- semble de la société, dans un contexte lourd d’incertitudes. Le principe de précaution va bien au-delà de la prudence élémentaire que le scientifique doit prendre dans l’interprétation de ses données ou le décideur politique dans l’appréciation des conséquences de ses mesu- res. Il consiste à affirmer que “face à des ris- ques graves et irréversibles, mais potentiels, l’absence de certitudes scientifiques ne doit pas retarder l'adoption de mesures qui auraient été jugées légitimes si de telles certitudes avaient été acquises” (Déclaration de Rio, 1992). Cette brève définition contient tous les ingrédients du problème : le risque, l’incerti- tude des connaissances, la responsabilité, la légitimité. L'irruption du principe de précaution sur la scène politique est récente ; elle est liée à l’importance croissante des débats sur le déve- loppement durable, la gestion des risques et l’évaluation des choix technologiques. Le principe de précaution revêt aujourd’hui un caractère politique et juridique : il est inscrit dans le Traité d’Amsterdam et il vient de faire l’objet d'une communication de la Commis- sion européenne, à propos de ses modalités de mise en oeuvre (février 2000). Mais ses raci- Trimestriel d’information sur l’évaluation des choix technologiques Septembre 2000 Numéro 25 Le principe de précaution : de l’éthique à la politique Expériences de Médiation et d’Evaluation dans la Recherche et l’Innovation Technologique Expériences de Médiation et d’Evaluation dans la Recherche et l’Innovation Technologique Expériences de Médiation et d’Evaluation dans la Recherche et l’Innovation Technologique Expériences de Médiation et d’Evaluation dans la Recherche et l’Innovation Technologique Cette fois, c’est décidé : la prochaine fois, on change de look. Vingt-cinq numéros, c’est un jalon important. La Lettre EMERIT est diffusée aujourd’hui à 1500 exemplaires, sur simple demande, grâce au soutien de la Région wallonne. Vingt-cinq numéros, c’est aussi un défi que nous tentons chaque fois de relever : fournir une information scientifique de qualité, mais concrète, sur des enjeux sociaux liés au développement technologique, dans une présentation accessible à un large public. Bureau de dépôt: Namur 1  dure démocratique – le temps de la ré- flexion, de la collecte des informa- tions scientifiques et du débat public – avant la prise de décision face à un risque grave ou irréversible. Mais le principe de précaution ne signifie pas : “dans le doute, abstiens-toi”. Il requiert une mise à jour continue et une évaluation dynamique de l’état des connaissances et des mesures po- litiques visant à maîtriser les risques à long terme. Mais une controverse a aussitôt surgi : le principe de précaution peut-il être traduit en termes juridiques, ou doit-il rester un principe éthique ou politi- que ? Ce n'est pas seulement une l’espèce humaine, alors il convient d’y renoncer, en attendant d’en savoir da- vantage. Cette attitude conduit à aban- donner l’optimisme technicien, qui suppose que la technologie sera tou- jours capable de résoudre les problè- mes qu’elle crée. Du principe de responsabilité au principe de précaution Hormis dans son pays, où il a reçu un célèbre prix littéraire en 1987, Hans Jonas n’aura connu qu’une gloire pos- thume, car son livre publié en 1979 n’a été traduit en français et dans d’autres langues qu’au cours des années 90, quand le débat sur la responsabilité et la précaution était déjà lancé, notam- ment à l’occasion de la conférence de Rio sur le développement durable. C’est dans la Déclaration de Rio que le principe de précaution a été présenté comme une façon de concrétiser le principe de responsabilité dans des en- gagements politiques. La référence au principe de précaution permet de don- ner un fondement objectif à une procé- Dans la conception courante de la res- ponsabilité, telle que la définissent la morale et le droit, on ne peut être ren- du responsable que de ce que l’on a effectivement commis ou occasionné, ainsi que des conséquences immédia- tes. La responsabilité doit être liée à une faute passée, directement imputa- ble. Dans des cas comme les accidents du travail ou les accidents industriels, la responsabilité peut dépasser l’impu- tabilité personnelle, mais elle reste an- crée dans le passé. La conception nou- velle prônée par Jonas dépasse à la fois le cadre du passé et l’imputabilité de la faute. Il s’agit de considérer les conséquences lointaines des décisions et des actions, au-delà des générations actuelles et au-delà des possibilités de réparation ou de dédommagement. Une telle responsabilité est de nature à la fois individuelle et collective. Idéalement, il faudrait donc connaître les conséquences à long terme des dé- cisions prises aujourd'hui, afin de pouvoir les apprécier moralement. Or, cette forme de connaissance scientifi- que est souvent entachée de lourdes incertitudes. Jonas suggère de pallier cette méconnaissance par une autre forme d’anticipation, qu’il appelle “heuristique de la peur”. Celle-ci rend “moralement obligatoire” d’envisager, pour toute décision qui pourrait avoir des conséquences irréversibles et in- certaines, quel serait le scénario catas- trophe. Et s’il apparaît qu’une option technologique peut déboucher, fût-ce selon une faible probabilité, sur une menace importante pour la nature et 2 La lettre EMERIT Le principe de précaution concrétise le principe de responsabilité dans des engagements politiques. De Hans Jonas ... Extraits du livre de H. Jonas, “Le principe responsabilité” : “Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l'homme de devenir une malédiction pour lui. (…) Qu'est-ce qui peut servir de boussole ? L'anticipation de la menace elle-même ! C'est seulement dans les premières lueurs de son orage qui nous vient du futur, dans l'aurore de son ampleur planétaire et dans la profondeur de ses enjeux humains, que peuvent être découverts les principes éthiques, desquels se laissent déduire les nouvelles obliga- tions correspondant au pouvoir nouveau. Cela, je l'appelle “heuristique de la peur”. Seule la prévision de la déformation de l'homme nous fournit le concept de l’homme qui permet de nous en prémunir (…). Mais le véritable thème est ce devoir nouvellement apparu que résume le concept de responsabilité. Sans doute n'est-ce pas un phénomène nouveau dans l’éthique. La responsabilité n'a pourtant jamais eu un tel objet, de même qu'elle a peu occupé la théorie éthique jusqu'ici. Le savoir, aussi bien que le pouvoir, étaient trop limités pour incorporer l'avenir plus lointain dans la prévision, bien plus, pour inclure la planète entière dans la conscience de la causalité personnelle. Plutôt que de deviner vaine- ment les conséquences tardives, relevant d'un destin inconnu, l'éthique se concentrait sur la qualité morale de l'acte momentané lui-même, dans lequel on doit respecter le droit du prochain qui partage notre vie. Sous le signe de la technologie par contre, l'éthique a affaire à des actes (quoique ce ne soient plus ceux d'un sujet individuel), qui ont une portée causale incomparable en direction de l'avenir et qui s'accompagnent d'un savoir prévisionnel qui, peu importe son caractère incomplet, déborde lui aussi tout ce qu'on a connu autrefois. Il faut y ajouter l’ordre de grandeur des actions à long terme et très souvent également leur irréversibilité. Tout cela place la responsabilité au centre de l'éthique, y compris les horizons d'espace et de temps qui correspondent à ceux des actions.”  question académique. Dans certains conflits récents, notamment à propos de la viande aux hormones et des OGM, elle a tracé une ligne de démar- cation entre deux camps : d’une part ceux qui, à l’instar de plusieurs pays européens, entendent justifier des dé- cisions économiques et commerciales sur la base de règles juridiques déri- vées du principe de précaution – ce qui peut conduire à des décisions de refus (hormones) ou de limitation (OGM) ; d’autre part, ceux qui, sous l’égide des Etats-Unis, dénient tout fondement juridique au prin- cipe de précaution et limitent sa uploads/Management/hans-jonas.pdf

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  • Publié le Mar 30, 2021
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