Pour citer cet article : Chanut Odile et Paché Gilles (2014), « La logistique,
Pour citer cet article : Chanut Odile et Paché Gilles (2014), « La logistique, dimensions de la stratégie », in F. Tannery J.-Ph. Denis, T. Hafsi, A. Martinet, Encyclopédie de la Stratégie, Vuibert, Paris, pp. 763-784. La logistique, dimensions de la stratégie Odile CHANUT et Gilles PACHÉ Le management des chaînes logistiques relève désormais d’une perspective à forte dominante stratégique. En effet, les chaînes logistiques, devenues multi-acteurs sous l’effet du changement de périmètre des organisations observé depuis quarante ans, impliquent de mieux coordonner les flux physiques et d’information entre des entreprises industrielles, commerciales et de services collectivement impliquées dans un processus de création de valeur. La gestion des interfaces intra et inter-organisationnelles qui en résulte ne se limite plus à une simple dimension technique d’optimisation de flux. Elle suppose des questionnements sur la manière de penser et de mettre en œuvre un projet collectif de nature logistique. En d’autres termes, il s’agit de construire et de gérer des relations d’affaires pour permettre un pilotage optimal des activités logistiques au sein de réseaux de supply chains, dans les meilleures conditions de coût, de qualité de service et de réactivité (plasticité). Les conditions d’exercice de la compétition entre entreprises s’en trouvent radicalement transformées. La prise de conscience de l’urgence sociétale du développement durable oblige également à imaginer de nouvelles formes d’action collective qui privilégient des stratégies logistiques fondées sur la mutualisation des ressources entre partenaires, notamment dans des espaces urbains saturés, exigeant des politiques concertées de gestion durable des activités de transport et de stockage. Dès 2007, le groupe L’Oréal mettait en place une charte logistique fournisseurs de 27 pages, qui fait depuis référence pour les industriels de biens de grande consommation. Il s’agit d’un document cadre, destiné aux fournisseurs de matières premières et d’emballages à l’échelle de la planète, dont l’objectif est de définir les droits et devoirs réciproques des fournisseurs comme des usines L’Oréal pour tous leurs échanges logistiques. La charte propose un mode standardisé de fonctionnement en matière d’approvisionnement, formalise les contraintes avant le lancement de nouveaux produits, et précise les paramètres logistiques à respecter. Elle établit en outre des indicateurs objectifs pour mesurer et améliorer la performance logistique des fournisseurs du groupe. Cette contractualisation souligne les enjeux actuels de la démarche logistique : au-delà de la mise à disposition du consommateur (ou de l’utilisateur final) des produits finis ou semi-finis, dans les meilleures conditions de coût, de qualité de service et de réactivité, il s’agit de penser le rôle des interfaces intra- organisationnelles, mais aussi inter-organisationnelles, dans les processus de création de valeur. En effet, pour mener à bien les activités de conception, de production et de commercialisation des produits, des entreprises industrielles et commerciales sont dorénavant conduites à établir entre elles des relations d’échange étroites et durables au sein de chaînes logistiques qui constituent l’un des principaux supports des systèmes de chaînes de valeur décrits par Porter (1985). Longtemps étudiée dans la seule perspective technique d’optimisation des flux, la démarche logistique retient désormais l’attention de nombreux chercheurs en management stratégique et elle constitue un thème majeur de la littérature managériale. Cela est heureux car s’interroger sur la structure et le fonctionnement des chaînes logistiques multi-acteurs, dénommées supply chains dans les travaux anglo-saxons, suppose l’analyse approfondie des modes spécifiques de coordination entre leurs membres. Ceci s’avère d’autant plus urgent qu’une telle vision rompt avec un héritage ancien, celui des politiques d’intégration verticale menées par les grandes entreprises manufacturières et certains groupes de distribution, du début du XXe siècle jusqu’à la fin des Trente Glorieuses. Les grandes entreprises cherchaient alors à maîtriser les incertitudes de leur environnement externe en prenant le contrôle, partiel ou total, d’activités créatrices de valeur, depuis les sources d’approvisionnement jusqu’aux magasins. Certains y ont vu, à l’instar de Coase (1937/1987), de Rugman (1981) et de Chandler (1990), la naissance de la firme moderne issue d’un capitalisme industriel triomphant. La firme intégrée, souvent multinationale, fut d’ailleurs longtemps privilégiée dans les travaux des enseignants des business schools nord-américaines, car supposée représenter la structure organisationnelle la plus efficiente. La rupture date des années 1970 et 1980 et peut être qualifiée de « révolution copernicienne ». En effet, l’émergence de nouvelles règles de la concurrence va radicalement modifier la manière d’envisager le contrôle efficace des ressources en vue de mener à bien un projet productif. Désormais, il s’agit moins pour l’entreprise de posséder des actifs matériels et immatériels que de savoir les mobiliser auprès d’un réseau de partenaires fiables et performants ; l’entreprise se recentre sur son cœur de métier et construit une organisation en réseau (Paché et Paraponaris, 2006). La décision stratégique voit alors son objet central évoluer vers des problématiques nouvelles de construction et d’activation de relations inter- organisationnelles de qualité. La structuration des chaînes logistiques multi-acteurs témoigne parfaitement de cette mutation. Les activités d’approvisionnement, de gestion de production et de distribution physique impliquent dorénavant une pluralité d’entreprises en étroite interaction. Le fait que plusieurs entreprises participent collégialement à une chaîne logistique pose la question de son pilotage et de la cohérence des décisions prises, qu’elles concernent le temps long du stratégique ou le temps court du tactique et de l’opérationnel. En l’absence d’une instance capable d’imposer, par autorité, des normes globales de construction et d’activation à tous les acteurs, comment en effet fixer par exemple les niveaux de capacité de production et de transport dans lesquels investir aux différents maillons de la chaîne logistique multi-acteurs ? Ou encore, comment définir le niveau de stockage à respecter pour minimiser les risques de rupture en magasin ? Le chapitre souhaite aborder la démarche logistique comme dimension singulière de l’action stratégique en référence aux aspects éminemment collectifs que sous-tend le pilotage des flux de produits et d’informations associées. Il est effectivement essentiel de comprendre pourquoi et comment des entreprises industrielles, commerciales et de services interagissent entre elles dans le temps long pour concevoir, produire et distribuer des produits dans les meilleures conditions de coût, de qualité de service et de réactivité. Se pencher sur les fondements de la démarche logistique renvoie de ce fait, dans une première étape, à l’étude du management des interfaces intra et inter-organisationnelles, avant de s’interroger, dans une deuxième étape, sur la construction et la gestion des relations entre membres des chaînes logistiques multi-acteurs. Ceci permet de mettre en perspective, dans une troisième étape, les tendances les plus actuelles en matière de stratégies collectives, tout particulièrement autour des pratiques de mutualisation des ressources logistiques. 1. Logique de management des interfaces En l’espace d’une génération, la démarche logistique a connu une radicale mutation de son statut et de son identité dans la plupart des pays occidentaux. Longtemps confinée à la gestion (puis à la maîtrise) d’un certain nombre d’opérations élémentaires liées à l’acheminement des produits jusqu’à leurs marchés, elle est désormais perçue comme un élément stratégique majeur en vue d’affirmer un avantage concurrentiel durable (Tixier et al., 1996), notamment en permettant aux entreprises d’être totalement orientées client. Les organisations sont ainsi passées d’un modèle logistique que l’on qualifiera de gravitaire, dominé par l’offre, à un modèle logistique que l’on qualifiera de piloté, dominé par la demande. Ce dernier modèle s’appuie sur des registres opérationnels et stratégiques originaux en matière de coordination des acteurs, des activités et des ressources. Plus largement, la question posée est celle du management des interfaces, entre fonctions et entre parties prenantes, au sein des processus de création de valeur. 1.1. Orientation entreprise : les interfaces intra-organisationnelles Depuis ses origines militaires, au XIXe siècle, jusqu’au début des années 1960, la démarche logistique s’est appuyée sur les mêmes fondamentaux, à savoir la recherche d’une optimisation d’activités élémentaires décomposées, liées au déplacement des hommes et des marchandises, pour les uns vers le terrain des opérations, pour les autres vers les marchés et la clientèle à desservir. Tout manuel sur le management logistique rappelle ainsi que la discipline académique et la mise en pratique en entreprise émergent, puis se structurent, dans un souci de gestion efficace des moyens de transport, de manutention et de stockage, sans aucune volonté stratégique de penser une meilleure articulation entre ces moyens. La vision est « cloisonnée » et aboutit à des optimisations locales, censées déboucher sur une solution globalement satisfaisante. Par exemple, il est entendu que toute entreprise doit chercher à minimiser simultanément ses coûts de transport et ses coûts de stockage, alors que l’objectif de performance ne peut évidemment être atteint qu’à partir d’une approche globale du couple transport / stockage. En bref, la démarche logistique sous-tend alors une vision « machinique » de l’entreprise, une organisation découpée en différentes activités logistiques élémentaires s’articulant entre elles dans le cadre d’un modèle gravitaire d’écoulement des flux de produits, de l’amont vers l’aval. Magee (1968) est le premier théoricien à se référer à la logistique selon une perspective de nature systémique. Ayant passé plusieurs années dans l’industrie manufacturière américaine en tant que responsable de planification de la production, il comprend très rapidement les enjeux d’une vision d’ensemble des opérations que doit gérer un industriel pour pouvoir mettre ses produits à disposition uploads/Management/logistique-strategie.pdf
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- Publié le Mai 14, 2021
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