Recherche et Applications en Marketing 2014, Vol 29(1) 3­ –26 © The Author(s) 2

Recherche et Applications en Marketing 2014, Vol 29(1) 3­ –26 © The Author(s) 2013 Reprints and permissions: sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav DOI: 10.1177/0767370113505952 ram.sagepub.com RAM Introduction « Les nouveaux concepts de magasins jouent avec l’émotion, la tradition et l’authentique : ils s’habillent de bois, jouent sur la nostalgie des années cinquante… » (Gérard Caron, designer, co-fondateur de l’agence Carré Noir)1. Alors que la distribution doit faire face à une crise sans précédent, les exemples de distributeurs qui cherchent, en travaillant leur design et en stimulant les sens du consommateur, à susciter des émotions positives chez leurs clients sont nombreux et variés. On peut citer pour exemples Disney Store, les boulangeries traditionnelles Paul, Nature et Découvertes… Comme l’explique Fabrice Billard, directeur Segmentation & Positionnement chez TNS Sofres, on touche ici à « des attentes et des Les émotions ressenties dans un point de vente : Proposition d’une échelle de mesure Marie-Christine Lichtlé Professeur des Universités, Université de Montpellier 1, MRM (Montpellier Research in Management) UFR Administration Economique et Sociale, Avenue Raymond Dugrand, 34960 Montpellier cedex 2, France Véronique Plichon Maître de conférences, Université François-Rabelais de Tours, Université d’Orléans, VALLOREM EA 6296, CRESCEM 37000 Tours, France. Résumé Les états affectifs ressentis en magasin sont nombreux, hétérogènes et spécifiques. Pour les mesurer, la majorité des chercheurs utilise les instruments de mesure des psychologues anglo-saxons. Or ces mesures comportent de nombreuses limites et sont peu adaptées au contexte de la distribution. L’objectif de cette recherche a été de créer une échelle de mesure des émotions ressenties dans un point de vente. Après une rapide analyse de la littérature sur les états affectifs et sur leurs mesures, nous avons étudié plus particulièrement les affects ressentis par les clients en magasin. Enfin, une phase qualitative et deux études quantitatives nous ont permis de proposer une échelle de mesure en six dimensions (la plénitude, l’évasion, la nervosité, le plaisir, la détente et l’oppression) adaptée au contexte de la distribution. La fiabilité, la validité convergente, discriminante et prédictive de l’échelle sont toutes très satisfaisantes. Mots-clés Atmosphère, distribution, échelle de mesure, émotions, magasin, mesure, PAD, réactions affectives Auteur correspondant : Marie-Christine Lichtlé, Professeur des Universités, Université de Montpellier 1, MRM, UFR Administration Economique et Sociale, Avenue Raymond Dugrand, 34960 Montpellier cedex 2, France. Email : Marie-Christine.LICHTLE@univ-montp1.fr 505952 RAM29110.1177/0767370113505952Recherche et Applications en MarketingLichtlé et Plichon 2013 Article 4 Recherche et Applications en Marketing 29(1) aspirations fondamentales, qui sont de réels ‘drivers’ du choix, au-delà des éléments plus identitaires ou fonctionnels » des marques ou de l’enseigne. Longtemps réservé à des opérations événementielles ou très ponctuelles de publicité sur le lieu de vente, le marketing sensoriel s’inscrit aujourd’hui dans une stratégie globale de marketing des points de vente. Il permet aux magasins de se différencier de leurs concurrents et de mettre en place une stratégie relationnelle à long terme (Filser, 2001, 2003 ; Lemoine, 2005). Par exemple, Yves Rocher a lancé en 2008 son nouveau concept de magasin polysensoriel : les Ateliers de la Cosmétique Végétale. L’objectif a été de retrouver une proximité avec les femmes tout en mettant en avant les spécificités de la marque : accessibilité, qualité et respect de l’environnement. En novembre 2009, l’Atelier de la Cosmétique Végétale le plus emblématique, le flagship des Champs Elysées à Paris, a été inauguré. Au début de l’année 2011, 30% des points de vente Yves Rocher, soit 450 magasins, sont des Ateliers de la Cosmétique Végétale. Avec une augmentation moyenne du chiffre d’affaires au m² de 12% par rapport aux autres magasins, eux-mêmes en croissance forte, les résultats se sont révélés à la hauteur des espoirs2. Le succès de tels concepts n’est toutefois pas garanti. Il est donc fondamental de disposer d’outils permettant de vérifier que l’atmosphère d’un point de vente suscite l’émotion souhaitée3, et d’une manière plus générale, il est primordial de parvenir à identifier les réactions affectives (positives et/ou négatives) provoquées par la manipulation des divers facteurs d’ambiance. Cet intérêt des praticiens à l’égard des émotions se retrouve dans la recherche académique récente, aussi bien dans le domaine de la psychologie (Lerner et al., 2007 ; Shiv, 2007) que dans celui du marketing (Chitturi et al., 2007 ; Koenig-Lewis et Palmer, 2008 ; Derbaix et Filser, 2011). Dès 1982, Holbrook et Hirschmann, à l’origine du courant expérientiel, ont montré qu’en plus d’être fonctionnelle, la consommation peut être de nature symbolique, hédonique et esthétique. On reconnaît aujourd’hui que l’étude des émotions est particulièrement importante dans les activités de services (Menon et Dubé, 2007), les points de vente (Lichtlé et Plichon, 2004) ou dans les lieux parfois plus expérientiels, tels que les festivals (Lee et al., 2008). D’une manière plus générale, les émotions jouent un rôle fondamental dans l’explication du comportement du consommateur en étant impliquées dans la prise de décision, les processus cognitifs et la performance (Goleman, 1995 ; Isen, 2000 ; Chuang et Lin, 2007). Emotions et cognition sont intimement liées. L’importance de l’affect est désormais reconnue en marketing (Zajonc, 1980). Le défi est donc, maintenant, de développer des instruments adaptés à un contexte particulier, afin de pouvoir capturer la diversité des émotions créées par les différentes activités de consommation, dont les stimuli sont variés. En effet, la plupart des travaux en marketing s’est fondée sur les recherches en psychologie, depuis les travaux de Zajonc (1980) et de Holbrook et Hirschmann (1982). Les échelles de mesure verbales de Plutchik (1980), d’Izard (1977) ou le PAD (« Pleasure, Arousal, Dominance ») de Mehrabian et Russell (1974) ont ainsi été très utilisées. Quelques travaux ont permis de développer des mesures des émotions spécifiques : des instruments de mesure des réponses émotionnelles à la publicité (Edell et Burke, 1987 ; Hupp et al., 2008 ; Derbaix et Poncin, 2011 ; Vanhamme, 2011), dans les activités de consommation (Richins, 1997) ou face aux promotions (Honea et Dahl, 2005) ont été élaborés. Un tel outil n’a pas encore été proposé pour le domaine de la distribution. Dans ce contexte, les instruments issus de la psychologie sont la plupart du temps utilisés. Or, si des outils de mesure sont efficaces pour mesurer les émotions dans leur domaine spécifique d’intérêt, ils ne sont pas adaptés à tous les contextes de consommation : les réponses émotionnelles ressenties dans un point de vente sont très certainement différentes de celles éprouvées face à une publicité ou dans d’autres contextes. Par ailleurs, d’autres émotions non mesurées par les échelles existantes, apparaissent lorsque le consommateur se trouve dans un point de vente (Yoo et al., 1998). Le but de cette recherche est donc, en premier lieu, d’analyser les travaux sur les états affectifs en comportement du consommateur, et plus particulièrement en distribution. Nous chercherons plus particulièrement à identifier les émotions qui sont ressenties par les consommateurs lors de leur visite dans un point de vente et à proposer aux distributeurs un nouvel outil de mesure mieux adapté à ce contexte Lichtlé et Plichon 5 spécifique. Dans cette optique, nous présenterons, dans un premier temps, quelques prérequis afin de comprendre le concept d’émotion et sa mesure. Puis, nous nous focaliserons sur la littérature en distribution où nous ferons une synthèse des travaux portant sur le sujet. Cet état des lieux montrera que les émotions, variable clé pour le distributeur, sont nombreuses. De par leur particularité, il est nécessaire d’en contextualiser la mesure. Dans une dernière partie, nous proposerons donc une échelle de mesure des émotions ressenties à l’intérieur d’un magasin. Les émotions : pré-requis conceptuels Un petit rappel sur la définition des émotions Dans le langage courant, le terme « émotion » désigne, au sens large, l’ensemble des états affectifs, quelle que soit leur intensité ou leur durée. Pour les chercheurs, les émotions sont une des catégories des états affectifs et se différencient des sentiments, de l’humeur ou du tempérament (Derbaix et Pham, 1991). Elles s’appréhendent « comme un métaconcept recouvrant une conjonction de processus physiologiques, neurologiques, expressifs, sociaux et autres » (Derbaix et Grégory, 2004). Il s’agit d’une « séquence de changements intervenant dans cinq systèmes organiques (cognitif, psychophysiologique, moteur, dénotationnel, moniteur), de manière interdépendante et synchronisée en réponse à l’évaluation de la pertinence d’un stimulus externe ou interne par rapport à un intérêt central pour l’organisme » (Scherer, 2005). Les émotions sont caractérisées par un déclenchement rapide lié à un événement spécifique et souvent facilement identifiable, une durée limitée, une survenue involontaire, une intensité élevée, des antécédents cognitifs faibles et une modification des composantes comportementales- expressives et psychologiques (Scherer, 2000 ; Derbaix et Poncin, 2005 ; Derbaix et Filser, 2011). Les différentes approches des émotions Afin de décrire et de classer les émotions, plusieurs approches ont été développées. Deux grands courants de recherche coexistent : - la première approche, appelée « perspective discrète » considère que les émotions peuvent être conceptualisées comme des catégories discrètes et phénomologiquement distinctes. Le nombre d’émotions primaires ou basiques varie de 7 à 15 environ (Izard, 1977 ; Plutchik, 1980 ; Tomkins, 1980 ; Ekman, 1982). Ces émotions primaires sont universelles et sont fondées biologiquement. Pour Plutchik (1980), les émotions fondamentales se combinent. En se mélangeant, elles forment, uploads/Marketing/ emotion-pdf.pdf

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  • Publié le Oct 09, 2021
  • Catégorie Marketing
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