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© 2020 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 1 Que nous apprennent les brevets de Tesla Motors sur sa stratégie PI ? What can we learn from Tesla Motor’s patents about its IP strategy? Marc Baudry1, Béatrice Dumont2 1 Université Paris Nanterre, EconomiX-CNRS & Chaire Economie du Climat, marc.baudry@parisnanterre.fr 2 Université Sorbonne Paris Nord, CEPN-CNRS & College of Europe, beatrice.dumont@univ-paris13.fr RÉSUMÉ. Le patent pledge de l’entreprise Tesla est un cas d’étude particulièrement intéressant. Il correspond en effet à une stratégie d’ouverture de son portefeuille de brevets par une entreprise nouvelle, qui a investi dans un secteur déjà fortement concentré en ciblant un marché spécifique, celui du véhicule tout électrique, par le haut de gamme. Il ressort de l’analyse des brevets que Tesla est tout à la fois très peu engagé dans les coopérations de R&D en amont, au moins tel qu’il est possible d’en juger par les co-brevets de la firme en comparaison avec ceux de ses concurrents, et au cœur des classes technologiques où il brevète, à en juger par le nombre significativement plus élevé de citations reçues par ses brevets. Ces éléments arguent en faveur d’une interprétation en termes de recherche de leadership technologique par Tesla. Cette interprétation est confortée par l’intégration verticale de Tesla. Selon cette interprétation, le patent pledge est un moyen d’amener les concurrents à s’aligner sur les solutions techniques proposées par Tesla afin pour ce dernier de tirer parti d’externalité de réseau et d’économies d’échelle et de baisser ainsi ses coûts pour imposer sa technologie sur le marché des véhicules tout électriques. ABSTRACT. The Tesla patent pledge is a particularly interesting case study. It corresponds to a strategy of opening up its patent portfolio by a new company, which has invested in an already highly concentrated sector by targeting a specific market, that of the all-electric vehicle, by the top of the range. The analysis of the patents shows that Tesla is both very little involved in upstream R&D cooperation, at least as far as it is possible to judge by the firm's co-patents compared to those of its competitors, and at the heart of the technological classes where it patents, judging by the significantly higher number of citations received by its patents. These elements argue in favour of an interpretation in terms of Tesla's search for technological leadership. This interpretation is supported by Tesla's vertical integration. According to this interpretation, the patent pledge is a means of bringing competitors into line with Tesla's technical solutions in order for Tesla to take advantage of network externalities and economies of scale and thus lower its costs to impose its technology on the market for all-electric vehicles. MOTS-CLÉS. Tesla, Voiture électrique, Innovation de disruption, co-opétition en R&D. KEYWORDS. Patent pledge, Tesla, Electric cars, Disruptive innovation, Co-opetition in R&D. Introduction La firme californienne Tesla est connue pour bousculer les habitudes du secteur automobile [THO 19]. Elle a d’abord eu l’audace de pénétrer le marché automobile, malgré l’importance des barrières à l’entrée, pour se lancer dans la production de véhicules tout électriques à partir d’une technologie obtenue sous licence auprès de l’entreprise AP propulsion. Elle l’a en outre fait en s’attaquant au haut de gamme, là où les tentatives précédentes avaient visé le bas de gamme. De plus, aux Etats- Unis, elle tend à remettre en cause la réglementation interdisant aux constructeurs de disposer de leur propre réseau de distribution ([BAR 14], [STO 15], [CRA 16]). L’entreprise Tesla ne s’est pas contentée de fabriquer des voitures. Elle a aussi adopté une stratégie d’intégration verticale, à l’encontre de ce qui se fait dans le secteur automobile, en développant son propre système de recharge, et en le couplant à une solution de production et de stockage d’électricité d’origine renouvelable par les clients, le powerwall. Finalement, son Directeur Général Elon Musk annonçait très médiatiquement le 12 juin 2014 au nom de la société qu’il dirige « All our patent are belong to you »1. Dans le même communiqué Elon Musk allait jusqu’à remettre en cause une stratégie d’innovation construite sur les brevets : « Technology leadership is not defined by patents, which 1 Consultable en ligne à l’adresse https://www.tesla.com/blog/all-our-patent-are-belong-you?redirect=no © 2020 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 2 history has repeatedly shown to be small protection indeed against a determined competitor, but rather by the ability of a company to attract and motivate the world’s most talented engineers. ». Dans ce même communiqué, Elon Musk annonçait que Tesla mettait dorénavant à disposition de tous ses concurrents ses brevets, sans contrepartie si ce n’est qu’ils se comportent de manière « juste » (« fair »). Tesla a par la suite précisé son intention, tant au sujet de cette notion de comportement « juste » qu’au sujet des brevets mis à disposition et de la durée de son engagement2. Si elle l’a sans doute fait avec une stratégie de communication bien pensée, Tesla n’est ni la première ni la dernière firme à annoncer ouvrir ainsi son portefeuille de brevets dans le cadre de ce qui appelé un patent pledge. On désigne sous le terme patent pledge l’engagement d’un détenteur de brevet d’amoindrir leur assertion par rapport à ce qui est légalement possible [CON 15]. Il s’agit essentiellement d’autoriser, à différents degrés, l’exploitation du brevet par d’autres que son propriétaire. Cette liberté peut être limitée à quelques brevets et avec un principe de réciprocité dans le cadre de licence gratuites croisées, ou être limitée dans le temps et selon le type de brevets comme dans le cas du patent pledge de Toyota sur la technologie de la pile à hydrogène, ou bien encore concerner tout le portefeuille sans contrepartie financière ou non financière (par exemple la réciprocité) et sans limite de temps comme dans le patent pledge de Tesla. Un patent pledge n’est généralement pas désintéressé. S’il l’était totalement, le détenteur de brevets pourrait plus simplement annoncer laisser tomber dans le domaine public ses brevets. De ce point de vue, ce qui attire l’attention sur le cas du patent pledge de Tesla, outre la relative habileté de communication qui l’a accompagné et la grande liberté d’exploitation accordée aux concurrents, c’est aussi le plaidoyer contre le système des brevets qui l’a accompagné. Sur les blogs spécialisés en Propriété Intellectuelle ou dans la presse économique, les commentaires ont pu se montrer très dubitatifs, voire critiques quant à l’apparente philanthropie de l’engagement pris par Tesla3. Cet article propose donc d’analyser la décision de Tesla de manière objective et en la contextualisant. Il est étayé à partir de données de brevets extraites de la base Patstat puis traitées par les auteurs4. Ainsi, une première section dresse un état des lieux de la position de Tesla sur le marché des véhicules électriques, mais compare aussi la firme aux autres du secteur en termes de taille du portefeuille de brevets. La seconde section cherche à évaluer s’il y a une originalité de Tesla en matière de brevets. Elle cherche plus particulièrement à tester dans quelle mesure il y a eu rupture ou non dans la stratégie de dépôt de brevets de Tesla à partir de l’annonce de son patent pledge de 2014. Elle vise également à comparer la stratégie d’internationalisation de son portefeuille de brevets par rapport à ses concurrents. La troisième section s’interroge sur la stratégie en termes de coopérations de R&D qu’a pu mettre en place Tesla, en l’évaluant notamment à l’aune des co- brevets et en la comparant également à celle de ses concurrents. Elle amène à suggérer que le patent pledge de Tesla est destiné à transformer un certain leadership technologique en leadership sur le marché, ce qui est conforté à partir d’un examen des citations de brevets dans la quatrième section. Cette dernière section propose également un décryptage de la rationalité économique sous-jacente à la l’engagement de Tesla à l’aide des concepts d’externalités de réseaux et d’économies d’échelle. 1. Tesla, un petit dans la cour des grands ? Si Tesla marque les esprits, c’est parce qu’il s’agit d’un des rares constructeurs nouveaux ayant réussi à s’imposer durablement dans un secteur marqué par une tendance à la concentration, notamment aux Etats-Unis. Ce succès, Tesla le doit à sa stratégie de différenciation centrée sur la 2 Voir https://www.tesla.com/about/legal#patent-pledge 3 Voir par exemple le blog de IPwatchdog, notamment le billet https://www.ipwatchdog.com/2014/07/08/tesla-on-patents-open-source- altruism-or-shrewd-business/id=50331/ 4 Voir https://www.epo.org/searching-for-patents/business/patstat.html#tab-1 © 2020 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 3 vente, hors réseau commercial standard, de véhicules purement électriques positionnés sur le haut de gamme. Dès lors, comparer Tesla aux autres constructeurs est délicat. Ses volumes de ventes en 2018 ne dépassent pas les 300 000 unités alors qu’il est considéré dans le secteur qu’il faut atteindre dans les quatre millions d’unités pour rentabiliser les investissements, notamment ceux en R&D requis pour relever les défis du véhicule du futur. L’exercice de comparaison requiert donc, dans un premier temps, d’identifier à qui comparer Tesla. La solution retenue ici est celle d’une approche globale de uploads/Marketing/ iste-techinn20v5n4-6.pdf

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  • Publié le Aoû 07, 2021
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