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Page 1 Document 3 de 3 La Semaine Juridique Edition Générale n° 2, 10 Janvier 2001, II 10452 Un revirement spectaculaire en matière de patrimonialisation des clientèles civiles Commentaire par François VIALLA Maître de conférences de droit privé, Directeur de l'équipe de recherche Droit et Santé de la Faculté de droit de Montpellier Sommaire Si la cession de la clientèle médicale, à l'occasion de la constitution ou de la cession d'un fonds libéral d'exercice de la profession, n'est pas illicite, c'est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient. Contrats et obligations Cession de clientèle civile Cession de la clientèle médicale Constitution ou cession d'un fonds libéral d'exercice de la profession Condition de validité Sauvegarde de la liberté de choix du patientCass. 1re civ., 7 nov. 2000 ; Woessner c/ Sigrand [arrêt n° 1723 P + B + R] [Juris-Data n° 006729]. LA COUR - (...) Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : Attendu que M. Woessner, chirurgien, a mis son cabinet à la disposition de son confrère, M. Sigrand, en créant avec lui une société civile de moyens ; qu'ils ont ensuite conclu, le 15 mai 1991, une convention aux termes de laquelle M. Woessner cédait la moitié de sa clientèle à M. Sigrand contre le versement d'une indemnité de 500 000 F ; que les parties ont, en outre, conclu une "convention de garantie d'honoraires" par laquelle M. Woessner s'engageait à assurer à M. Sigrand un chiffre d'affaires annuel minimum ; que M. Sigrand, qui avait versé une partie du montant de l'indemnité, estimant que son confrère n'avait pas respecté ses engagements vis-à-vis de sa clientèle, a assigné celui-ci en annulation de leur convention ; que M. Woessner a demandé le paiement de la somme lui restant due sur le montant conventionnellement fixé ; Attendu que M. Woessner fait grief à l'arrêt attaqué (CA Colmar, 2 avr. 1998) d'avoir prononcé la nullité du contrat litigieux, de l'avoir condamné à rembourser à M. Sigrand le montant des sommes déjà payées par celui-ci et de l'avoir débouté de sa demande en paiement du solde de l'indemnité prévue par la convention, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en décidant que le contrat était nul comme portant atteinte au libre choix de son médecin par le malade, après avoir relevé qu'il faisait obligation aux parties de proposer aux patients une "option restreinte au choix entre deux praticiens ou à l'acceptation d'un chirurgien différent de celui auquel ledit patient avait été adressé par son médecin traitant", ce dont il résultait que le malade conservait son entière liberté de s'adresser à M. Woessner, à M. Sigrand ou à tout autre praticien, de sorte qu'il n'était pas porté atteinte à son libre choix, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 1128 et 1134 du Code civil ; et alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de rechercher comme elle y était invitée, si l'objet du contrat était en partie licite, comme faisant obligation à M. Woessner de présenter M. Sigrand à sa clientèle et de mettre à la disposition de celui-ci du matériel médical, du matériel de bureautique et du matériel de communication, de sorte que l'obligation de M. Sigrand au paiement de l'indemnité prévue par le contrat était pour partie pourvue d'une cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1128, 1131 et 1134 du Code civil ; Mais attendu que si la cession de la clientèle médicale, à l'occasion de la constitution ou de la cession d'un fonds libéral d'exercice de la profession, n'est pas illicite, c'est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ; qu'à cet égard, la cour d'appel ayant souverainement retenu qu'en l'espèce, cette liberté de choix n'était pas respectée, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, mal fondé en sa première branche, est inopérant en sa seconde. Par ces motifs : Rejette le pourvoi (...) . MM. Lemontey, prés., Bargue, cons.-rapp., Mme Petit, av. gén. ; SCP Richard et Mandelkern, Me Garaud, av. 1. Note : Un revirement spectaculaire en matière de patrimonialisation des clientèles civiles. À propos d'une banale affaire de cession de clientèle médicale, la première Chambre civile de la Cour de cassation rompt avec une jurisprudence plus que centenaire en reconnaissant la validité de la cession de clientèle civile à l'occasion de la constitution ou de la vente d'un fonds libéral. Le revirement de jurisprudence met fin à une position ambiguë du droit positif à l'égard de la patrimonialité des activités libérales. Amorcée dès la moitié du XIXe siècle, la controverse doctrinale et prétorienne relative à la patrimonialité des activités libérales vient de prendre un tour nouveau avec un spectaculaire arrêt de revirement de la première Chambre civile de la Cour de cassation. Cette décision remet en cause la prohibition des cessions de clientèle civile établie depuis plus de 150 ans . Au centre des réflexions, la question de la validité des cessions de clientèle apparaissait comme le point traditionnel de confrontation entre partisans et opposants d'une patrimonialité achevée des activités libérales. Appelée de manière récursive dans l'enceinte judiciaire, cette question a été, pour la jurisprudence, l'occasion de développer une position ambivalente, voire ambiguë, faite d'opposition de principe associée à une grande tolérance pratique envers ce mouvement de patrimonialisation des activités libérales. L'hostilité prenait symptomatiquement la forme d'une invalidation des conventions de cession de clientèle. Cette position rigoureuse plongeait ses racines dans une perception traditionnelle, voire traditionaliste, de la profession libérale. Activité intellectuelle, indépendante et désintéressée, la relation libérale serait intrinsèquement caractérisée par l'existence d'un lien de confiance particulier unissant praticien et client. En raison de ce caractère intuitu personae et du principe de libre choix du praticien par le client en découlant, l'activité libérale serait naturellement rétive à toute forme de patrimonialisation . Tirant les conclusions de cette conception figée du monde libéral, les magistrats avaient établi une règle apparemment absolue : l'illicéité de l'objet de la convention. La clientèle n'étant attirée qu'à raison de la confiance, d'essence personnelle, inspirée par l'homme de l'art, la chose objet de la convention de cession, la clientèle, ne serait pas dans le commerce juridique et, par voie de conséquence, l'objet du contrat serait illicite et la convention annulable . Sanctionnée par une nullité, la convention de clientèle entraînait, par ailleurs, dans sa chute celle des conventions satellites . Loin d'être circonscrite aux seuls débats judiciaires, la discussion fut relayée en doctrine entre partisans du maintien de l'interdiction de principe et défenseurs d'une position rénovée, ouverte à la notion de fonds libéral . La décision commentée revêt dans ce contexte de querelle tant doctrinale que prétorienne une importance majeure. L'affaire portée devant la Haute juridiction s'inscrit, en effet, dans cette conjoncture particulière où s'affrontent partisans de la stricte orthodoxie juridique et défenseurs de l'adaptation du droit aux réalités économiques qu'il encadre. À l'occasion d'une affaire fort classique opposant le cédant d'une clientèle à son cessionnaire quant à la validité de l'engagement souscrit, la première Chambre civile de la Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence en se référant expressément à la notion de fonds libéral tout en ménageant un certain nombre de garde-fous permettant d'éviter les critiques les plus acerbes des opposants à la patrimonialité sans borne. Après avoir créé une société civile de moyens, deux chirurgiens, désignés au contrat comme le cédant et le cessionnaire, avaient conclu une convention au terme de laquelle était effectuée "un rachat partiel de patientèle" contre Page 3 le versement d'une indemnité . Classiquement contestable au regard de son contenu, ce contrat l'était, encore, dans son exécution faisant incontestablement peu de cas de la volonté du patient, violant, par là, le principe d'ordre public déontologique de libre choix du praticien par son patient. Souhaitant remettre en cause la cession partielle de clientèle ainsi réalisée, le cessionnaire en contestait la validité et saisissait le Tribunal de grande instance de Mulhouse. Le cédant concluait à la validité de l'engagement et réclamait le solde de l'indemnité devant la même juridiction. Joignant les deux demandes, le tribunal de grande instance, par jugement du 12 mai 1995, faisait droit au cessionnaire et condamnait son partenaire contractuel à lui rembourser les sommes perçues. Interjetant appel de cette décision, ce dernier la voyait confirmée par la Cour d'appel de Colmar dans un arrêt en date du 2 avril 1998. À la suite du pourvoi formé par le cédant, la première chambre civile décidait de rompre de manière retentissante avec sa jurisprudence. La Haute juridiction considère que, sous réserve que soit sauvegardée "la liberté de choix du patient", "la cession de la clientèle médicale, à l'occasion de la constitution ou de la cession d'un fonds libéral d'exercice de la profession, n'est pas illicite". Bien que rejetant le pourvoi, à raison d'une atteinte à la liberté de choix du praticien par le patient, la cour rend une décision opérant sur le fond un profond bouleversement des schémas uploads/Marketing/ un-revirement-spectaculaire-en-matiere-de-p 1 .pdf
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