Sadik - Le Mostrador de Justicia d’Abner de Burgos 119 Hen 37(1/2015) Les opini

Sadik - Le Mostrador de Justicia d’Abner de Burgos 119 Hen 37(1/2015) Les opinions du Rebelle dans le Mostrador de Justicia (Maître de justice) d’Abner de Burgos Shalom Sadik, Polonsky Academy at Van Leer Institute, Jerusalem Abner de Burgos, ou Alfonso de Valladolid, est né aux environs de 1260 dans la ville de Burgos, alors l’une des communautés juives les plus impor- tantes de Castille.1 Pendant la période juive de sa vie, il a fait partie du cou- rant aristotélicien de la philosophie juive et dirigeait une Yeshiva dans sa ville natale. Vers 1321, à l’âge de 60 ans, il se convertit au christianisme, probablement après avoir abandonné l’aristotélisme pour le néo-platonisme.2 Après sa conversion, il devint le sacristain de l’église de Valladolid et se 1 Sur Abner de Burgos, sa vie et son œuvre polémique voir entre autres: I. Loeb, “Polemistes chretiens et juifs en France et en Espagne,” REJ 18-19 (1889), pp. 63-65; Y. Baer, “Abner aus Burgos,” Korrespondenzblatt des Vereins zur Gründung und Erhaltung einer Akademie für die Wissenschaft des Judentums 9 (1929), pp. 20-37; Id., A History of Jews in Christian Spain (Philadelphia: Jewish Publication Society, 1961-1966), vol. ii, pp. 327-354; Sh. Gershenzon, A Study of Teshuvot La-Meharef by Abner of Burgos (thesis for the degree of Doctor of Hebrew Literature in Jewish History; the Graduate School of the Jewish Theological Seminary of America 1984); J.L. Hecht, The Polemical Exchange between Isaac Pollegar and Abner of Burgos/Alfonso of Valladolid according to Parma MS 2440 (a dissertation for the degree of Doctor of Philosophy; Skirbal Department of Hebrew and Judaic Studies: New York University, 1999); C.N. Sainz de la Maza Vicioso, Alphonso de Valladolid: Edición y estudio del manuscrito LAT 6423 de la biblioteca apostólica vaticana (tesis doctoral; Universidad complutense de Madrid, Departamento de filología española ii, 1989); R.W. Szpiech, From Testimonia to Testimony: Thirteenth-Century Anti-Jewish Polemic and the Mostrador de Justicia of Abner of Burgos/Alfonso de Valladolid (dissertation presented to the Faculty of the Graduate School of Yale University in candidacy for the degree of Doctor of Philosophy, 2006); Id., “Polemical Strategy and the Rhetoric of Authority in Abner of Burgos / Alfonso of Valladolid,” in M. Esperanza Alfonso - C. Caballero-Navas (eds.), Late Medieval Jewish Identities (New York: Palgrave-Macmillan, 2010), pp. 55-76; Id., “The Original Is Unfaithful to the Translation: Conversion and Authenticity in Abner of Burgos and Anselm Turmeda,” eHumanista 14 (2010), pp. 146-177; Id., Conversion and Narrative: Reading and Religious Authority in Medieval Polemic (Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 2013), pp. 143-173; Y. Shamir, Rabbi Moses Ha-Kohen of Tordesillas and his Book “Ezer Ha-Emunah”: A Chapter in the History of the Judeo-Christian Controversy (Leiden: Brill, 1975), pp. 40-60; J. Rosenthal, “The Third Letter of Abner of Burgos,” Studies in Bibliography and Booklore 5 (1961), pp. 42-51 (en hébreu); Id. “From ‘Sefer Alfonso’,” in B.D. Weinryb - M. Ben-Horin - S. Zeitlin (eds.), Studies and Essays in Honor of Abraham A. Neuman (Leiden: Brill, 1962), pp. 588-621; Id., “The Second Epistle of Abner of Burgos,” in S. Balkin (ed.), The Abraham Weiss Jubilee Volume (New York: Shulsinger Bros., 1964), pp. 483-510 (en hébreu); Id., “Excerpts from the Hebrew Writing of the Apostate Abner of Burgos,” in Meḥqarim u-Meqorot (2 vols.; Yerushalayim: Ben Zvi, 1967), pp. 324-367 (en hébreu). 2 A propos des opinions philosophiques d’Abner voir Sh. Sadik, Trinity and Determinism in the Thought of Abner of Burgos (dissertation presented to the senat of Ben-Gurion University, 2011) (en hébreu); Id., “Is ‘R. Abner’ Abner of Burgos?,” Kabbalah 22 (2010), pp. 331-348 (en hébreu). 120 Articles / Articoli consacra en grande partie à la propagation de sa nouvelle foi parmi ses an- ciens coreligionnaires.3 La principale œuvre de polémique d’Abner est son livre Mostrador de Justicia, Le Maître de la Justice.4 Cet imposant ouvrage5 est un débat entre le Maître de la Justice, identifié dans l’introduction à Abner lui-même, et le Rebelle juif. Comme l’a démontré Ryan Szpiech dans ses études sur le Mostrador, Abner expose l’image littéraire du rebelle juif d’une manière plus crédible que la plupart des écrits polémiques médiévaux.6 Dans cet article, nous allons analyser les différentes optiques philoso- phiques et théologiques exposées par le rebelle.7 Nous résumerons dans un premier temps quelques arguments apportés par ce dernier pour expliquer qu’il adopte, soit une optique aristotélicienne proche de celle de Maimonide, soit une optique plus traditionaliste voire même proche de la kabbale8, selon les cas. Ensuite nous analyserons plus amplement deux sujets, la valeur du miracle comme preuve de la foi et la définition de la divinité, pour laquelle le Rebelle expose successivement deux opinions contradictoires. Dans la conclusion de l’article, nous verrons pour quelles raisons Abner a volontaire- ment créé le protagoniste juif du Mostrador de cette manière. 3 Il est intéressant de souligner qu’Abner a aussi continué, après sa conversion, à écrire des livres en hébreu sur le libre arbitre et sur des sujets scientifiques. A propos de ses opinions scientifiques voir Sh. Sadik, “Crescas’ Critique of Aristotle and the Lost Book by Abner of Burgos,” Tarbiz 77 (2008), pp. 133-155 (en hébreu); Id. “The definition of Place in the Thought of Abner of Burgos and Rabbi Hasdai,” Jerusalem Studies in Jewish Though 22 (2011), pp. 233-246. 4 A propos de ce livre voir essentiellement les études littéraires réalisées par Szpiech citées plus haut. 5 Plus de 330 pages de manuscrits et plus de 800 pages dans l’édition moderne: W. Mettmann (ed.), Mostrador de justicia (2 vols.; Opladen: Westdeutscher Verlag, 1994-1996). 6 Voir par exemple Szpiech, From Testimonia to Testimony, pp. 266-289. 7 Il existe une importante littérature scientifique traitant de l’image des juifs dans la littérature chrétienne médiévale. Par exemple voir G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les juifs au moyen âge (Paris: Cerf, 1990), surtout pp. 511-538; J. Cohen, Living Letters of the Law: Ideas of the Jew in Medieval Christianity (Berkeley and Los Angeles: University of California Press, 1999). A propos du rôle de la philosophie dans le débat judeo-chretien voir: D. Lasker, Jewish Philosophical Polemics Against Christianity in the Middle Ages (New York: Ktav Publishing House, 1977; 2nd ed.; Oxford-Portland, Or.: Littman Library, 2007). 8 Nous ne mentionnerons pas les opinions communes à tous les juifs ou à la plupart d’entre eux, comme par exemple le fait que le messie ne soit pas encore venu ou que la faute d’Adam n’annule pas toutes possibilités d’arriver au monde futur, ainsi que certains arguments revenant très souvent dans les réponses juives aux arguments chrétiens tel que le refus d’accepter les histoires du Talmud comme obligatoires. Nous nous contenterons de mentionner les opinions théologiques ou philosophiques montrant l’appartenance d’un penseur au courant philosophique aristotélicien, à un courant plus traditionnel ou à la kabbale. Sadik - Le Mostrador de Justicia d’Abner de Burgos 121 1. Résumé des opinions du Rebelle tirées de sources différentes a) Opinions du Rebelle proches des vues aristotéliciennes de Maimonide 1. Au début de l’ouvrage, le Rebelle et le Maître décident d’un commun ac- cord quelles sources utiliser au cours de leur débat.9 Le Rebelle ne s’oppose pas à la proposition du Maître incluant des livres de philosophie. Les sources phi- losophiques se révèleront être l’un des principaux points de départ des contro- verses, avec la bible, ses exégèses et les citations de la littérature talmudique. 2. Le Rebelle mentionne plusieurs fois que les évènements prouvés comme étant impossibles par les philosophes ne peuvent survenir, même par miracle.10 Par exemple, il dit qu’il est impossible à un corps d’entrer dans un autre corps ou que rien ne peut exister sans corruption et génération.11 3. Le Rebelle s’oppose à tout changement de la loi juive même à l’époque messianique.12 Cette opinion est conforme à celle de Maimonide.13 Au contraire, il existe des courants de pensée traditionnels et mystiques qui prônent des changements dans les règles de la loi à l’époque messianique.14 b) Opinions traditionalistes ou kabbalistiques du Rebelle 1. Le Rebelle affirme que les justes comme les méchants ressusciteront pour recevoir une récompense ou une punition lorsque leur âme et leur corps seront réunis.15 Cette opinion correspond à l’optique traditionnelle, exprimée entre autres par Rabbi Saadia Gaon.16 Ce point de vue contredit celui de Maimonide, car selon lui, seules les âmes des justes, ayant acquis certaines connaissances rationnelles, ressusciteront.17 2. le Rebelle affirme, contrairement au Maître,18 que la faute d’Adam s’est effectivement produite telle qu’elle est décrite dans le sens obvie de la bible.19 9 Mostrador i, 1 (vol. i, p. 43). 10 Par exemple Mostrador i, 32 (vol. i, pp. 68-69); i, 33 (vol. i, pp. 90-91). 11 Cette optique correspond au dire de Maimonide dans Moreh Nevukhim iii, 15. 12 Mostrador ii, 2 et 18 (vol. i, pp. 99-101, 120-122). Pressé par le maître, le Rebelle se voit obligé d’accepter des changements dans la loi mais essaie de les limiter dans le nombre et dans le temps (Mostrador ii, 4; vol. i, p. 108). 13 Mishneh Torah, Hilkhot melakhim 12). 14 Comme l’opinion de Rabbi Josef (TB Niddah 61b). sur ce sujet voir aussi G. uploads/Philosophie/ abner-burgos-opinion-rebelle.pdf

  • 22
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager