Un jour Derrida Actes du colloque organisé par la Bpi le lundi 21 novembre 2005

Un jour Derrida Actes du colloque organisé par la Bpi le lundi 21 novembre 2005, dans la Petite Salle du Centre Pompidou. Président du Centre Pompidou Bruno Racine Directeur général du Centre Pompidou Bruno Maquart Directeur de la Bpi Thierry Grognet Responsable du pôle Action culturelle et communication Philippe Charrier Chef du service Animation Emmanuèle Payen Responsable Édition/Diffusion Arielle Rousselle Débat Organisation Anne-Sophie Chazaud Conseiller scientifique du colloque et coordinateur de la publication Daniel Bougnoux Publication Chargées d’édition Fabienne Charraire Arielle Rousselle et Yolaine Chambris (stagiaire) Mise en page Fabienne Charraire et Ludovic Lebeau, Yolaine Chambris (stagiaires)) Catalogue disponible sur http://www.bpi.fr, rubrique Éditions de la Bibliothèque publique d’information Distribution numérique par GiantChair. com © Éditions de la Bibliothèque publique d’information / Centre Pompidou, 2006. ISBN 10 : 2-84246-100-2 ISBN 13 : 978-2- 84246-100-2 ISSN 1765-2782 Note à l’usage des internautes : Cette édition a été enrichie de liens vers des sites, rendant possible un élargissement et un approfon­ dissement des sujets abordés. Or, Internet étant un outil vivant et en constante évolution, il est possible que certains liens créés ne soient plus valides. Programme du colloque 4 Donner le jour Daniel Bougnoux 12 Derrida l’Égyptien, ou comment construire une pyramide juive Peter Sloterdijk 37 De cet animal qui vient à Derrida Élisabeth de Fontenay 42 Les Lumières à l’ordre du jour Jacques-Olivier Bégot 48 De la grammatologie à la médiologie Régis Debray (Projections de documents vidéo : Échographies de la télévision, I.N.A., Cultures et dépendances) 51 Spectres de Marx, spectres de Freud Élisabeth Roudinesco 61 « Pardon de ne pas vouloir dire » Françoise Gaillard 67 La disjonction du jour Marc Goldschmit Esthétiques 73 « L’incantation inachevée résonne… » Marie-Louise Mallet 83 À la mémoire d’une amitié. Pour Jacques Derrida Valerio Adami 85 L’œuvre exappropriée, Derrida et les arts visuels Jean Galard (Projection d’extraits du film Mémoires d’aveugles, 1991, couleur, 52’, auteur-réalisateur : Jean-Paul Fargier, production : Les films d’ici / Service culturel du Louvre, distribution : Les films d’ici. À partir d’un texte de Derrida au sujet de l’exposition Parti-pris organisée par le Musée du Louvre en 1991. Autour d’œuvres de Pisanello, Fantin-Latour, Grünewald, Odilon Redon, etc.) © Éditions de la Bibliothèque publique d’information / Centre Pompidou, 2006 ISBN 10 : 2-84246-100-2 / ISBN 13 : 978-2-84246-100-2 De la grammatologie à la médiologie, je voudrais d’abord tirer quelques fils qui retracent mon propre parcours. Quelles sont, se demandait Derrida vers la fin des années cinquante, les conditions de l’idéalité d’un texte, littéraire ou scientifique ? Comment apparaissent ces objets que nous appelons idéaux, qu’est-ce qui soutient leur « transcendance » ? La réponse, déjà formulée par Husserl dans L’Origine de la géométrie, désigne dans l’écriture et les techniques d’inscription en général moins un simple moyen auxiliaire au service des énoncés objectifs – un recours illustratif ou pédagogique dont ils pourraient se passer – que la condition de possibilité de ces objets idéaux, ou de leur objectivité. Or cette évidence semble spontanément et toujours refoulée, dans la tradition philosophique, par l’affirmation inverse du logocentrisme : que le logos, lié à la voix, est l’origine et l’essence de la vérité ; que l’être peut donc se révéler immédiatement à la pensée, sans auxiliaires techniques, sans médiations encombrantes, sans en passer par des traces extérieures. Les premiers livres de Derrida m’apportaient une méditation patiente sur le mode d’existence des signes, étendue aux médiations techniques ou aux médias de substitutions (aux outils de la représentation) en général. Son enquête était donc à la fois sémiologique, pragmatique et, d’avance, médiologique. Le logocentrisme croit à la présence, le signe n’est pour lui qu’une lieutenance provisoire entre deux présents : présence du monde à un regard, d’une conscience à elle-même, du sujet à un autre sujet… À ces évidences familières, Derrida opposait que la perception comme telle n’existe pas, mais que nous sentons, percevons et pensons déjà à travers des traces, incluant une rétention et une propension, la répétition d’une certaine mémoire ; que rien ne se donne à une conscience hors de ces systèmes de traces, ou qu’au commencement était non le Verbe mais le magnétophone… Derrida « déconstruisait » ainsi de proche en proche la métaphysique de la présence, telle qu’elle constitue – et ne pouvait pas ne pas constituer – notre culture. Cette déconstruction ne renverse rien, mais nous révèle en tous domaines le réseau infini des représentations et des renvois que nous appelons présence à soi, identité ou « vie ». Elle s’appuyait en chemin sur différents concepts, dont le principal est peut-être celui de différance (avec un petit a). Introduit dès 1967, ce mot désigne à la fois l’écart dans l’espace et le temps : la voix se diffère dans l’écriture, mais aussi et toujours déjà dans le système des renvois structuraux de la langue. La différance entame ainsi les valeurs de présence, d’identité, de stabilité, donc aussi la propriété d’un être posé ou pensé comme identique à soi-même. En appliquant de la différance à toute manifestation qui prétend à l’im­ médiateté (le fameux mais, selon Derrida, introuvable « présent vivant »), ce concept généralise le tournant sémiotique puis médiologique : en tous domaines la présence, avec ses corrélats ordinaires (vie, réalité, identité, signifié transcendantal, immédiateté…), apparaît comme le leurre ou le montage d’une représentation ; la médiation d’un code, d’un système de traces ou d’un dispositif sémiotique en général s’avère incontournable. On voit l’intérêt de cette ouverture derridienne pour une exploration de la logique des médias. L’élan pris sur de minutieuses études de textes peut en effet se prolonger Donner le jour Daniel Bougnoux © Éditions de la Bibliothèque publique d’information / Centre Pompidou, 2006 ISBN 10 : 2-84246-100-2 / ISBN 13 : 978-2-84246-100-2 4 Donner le jour par Daniel Bougnoux et s’investir sur l’appareil des institutions : dans le cadre du GREPH 1, Derrida s’est intéressé de près à l’enseignement institutionnel de la philosophie, mais il aura consacré aussi beaucoup de réflexions au fonctionnement de l’artefactualité médiatique en général. Comment un journal construit-il ce que nous prenons pour « le jour » ? Comment l’actualité avec ses rythmes, ses urgences, ses formats, nous prescrit-elle au jour le jour ce que nous appe­ lons spontanément le juste, le vrai, l’intéressant – ou le négligeable ? La déconstruction ne dénonce pas le jour, et elle ne s’exclut pas de la tradition des Lumières ; elle ne renonce ni à vivre au présent, ni à s’ouvrir à l’actualité. Elle entend à la fois accueillir leur charge d’événements, de nouvelles, mais aussi réfléchir à ce que tout jour nous cache, dans sa machination ou sa construction. Un jour « out of joint », déboîté, dis­ loqué comme le temps selon Hamlet, nous éclaire de façon intermittente, intempestive. Comment compter encore sur la rassurante présence d’un même soleil pour tous ? Il n’y a pas de lumière naturelle mais seulement des éclairages artificiels ; nous rapporterons donc toute information à des jeux de projecteurs et aux orientations de nos médias enregistreurs ; et nous nous rappellerons que, au rebours des rayons solaires qui nous atteignent gratuitement, immédiatement, la moindre de nos informations, la plus petite parcelle de vérité demandent, pour être acheminées, défendues et pérennisées, un traitement qui coûte toujours un certain prix. Telle était la première leçon médiologique de Derrida : en nous montrant le monde comme traces et comme événements, il nous invite à réfléchir à l’éco­ nomie de ces traces ou de ces envois, et aux médias qui les acheminent. La « question de l’écriture », prévenait-il très tôt, se confond avec celle de la technique, et des médias ; et cette question en général des médias n’est pas une problématique locale, ni subalterne ou « parmi d’autres » ; il suffit de la poser un peu attentivement pour déjouer les ontologies de la présence, et les fausses évidences de l’immédiateté. Si donc, pour le grammatologue comme pour le médiologue, l’être se donne comme événement, nous ne séparerons plus la question « Qu’y a-t-il ? », ou « Qu’est-ce que c’est ? », des conditions de sa venue et de sa donation. J’entends dire que Derrida est peut-être surfait, et qu’il y eut à côté de lui des philosophes plus intéressants, comme Deleuze ou Foucault, parce qu’avec eux du moins la critique ouvre sur le monde, et s’attaque au social (problèmes de la santé mentale, ou des prisons…). Qu’apporte Derrida ? Je dirais, et cette réponse n’engage que mes propres usages : une grammaire de la pensée, une interrogation toujours reprise sur l’articula­ tion de la pensée et de ses médias (au premier rang desquels le langage). Derrida aura commencé, pour tout auditeur ou lecteur, par espacer la parole – comme dit très bien l’exergue, emprunté à Mallarmé, de son premier grand livre, L’Écriture et la différence : « le tout sans nouveauté qu’un espacement de la lecture » (Préface au Coup de dés). Nous comprenons à le lire à quel point notre parole souffre toujours de précipitation, donc de stéréotypes ; ce qui parle en moi quand je ne pèse uploads/Philosophie/ actes-du-colloque-un-jour-derrida-2006.pdf

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