Alice Massat L’IDENTIFICATION Commentaire de la leçon XXI (23 mai 1962) du sémi

Alice Massat L’IDENTIFICATION Commentaire de la leçon XXI (23 mai 1962) du séminaire de Jacques Lacan 6 avril 2021 « Comment le désir peut-il s’égaler à a ? (…). Comment le champ du désir, insaisissable, peut-il se nouer, par quelque torsion avec le champ de l’objet a ?». C’est donc la question conclusive à la leçon précédente. Et cette leçon XXI, du 23 mai 1962, va tenter d’y répondre en reprenant le cross-cap pour le distinguer du tore dans leur rapport à cet objet (a), c’est-à-dire aussi peut-être pour en établir — « par quelque torsion » — ce rapport possible du (a) avec ce ce champ du désir qui est insaisissable. Lacan montre en effet ici que si le tore permet d’appréhender le contour de l’objet par son trou central (qu’il appelle « le trou courant d’air »), au moyen du cross- cap, ce sera « la place du trou », celle qui va permettre à l’objet d’être situé, qui sera structuralement découpée, topologisée. Cela par l’intermédiaire d’un point privilégié du cross-cap, un point irréductible, qui servira d’opérateur. Ce point privilégié ici, c’est le phallus. L’importance de la démonstration topologique qui est présentée dans cette leçon aura plusieurs enjeux par la suite. Notamment, comme Lacan le déduit dans sa conclusion même : celui de nous sortir d’une impasse, d’une impasse de la pensée « idéaliste » : c’est celle qui envisage l’objet du désir en tant que visé par le sujet. Parce que, au moyen ce qu’il appelle dans cette leçon le « point tourbillon », l’objet pourra se dégager d’« un au-delà du nœud imaginaire ». Nous savons les conséquences qu’il en tirera quelques mois plus tard. En janvier 1963, dans son séminaire L’Angoisse, il désignera plus explicitement, cet objet, en le nommant pour la première fois : « objet cause du désir ». C’est-à-dire que Lacan situera alors explicitement cet objet avant le désir. Ce discours de 1963 est étayé et s’affirme à partir des démonstrations topologiques qui sont présentées ici-même. Quelques années plus tard encore, bien après le séminaire sur L’Angoisse, c’est le nœud borroméen, qui se noue autour de cet objet cause du désir. Et si le phallus sert ici précisément en 1962, dans le cross-cap, en tant qu’« opérateur », il se trouvera décentré par la suite, excentré par rapport au rond du Réel, comme nous le voyons avec le nœud borroméen. Le (a), devient alors central dans l’enseignement de Lacan, plutôt que le phallus, qui l’aura été jusqu’avant lui, et pour la psychanalyse en général. Alors ici, le 23 mai 1962, Lacan présente le cross-cap, comme le moyen d’une atteinte possible de cet objet, une saisie. Et surtout pour le dégager d’un abord idéal, restreint à l’imaginaire : un abord qui mène aux impasses qu’il dénonce. Ces Page 1 sur 8 impasses qui correspondent aussi, selon lui, il le dit aussi dans la leçon VIII de L’Angoisse, aux points de butée qui ont arrêté Freud : « roc de la castration », ou ce bornage à la question du penisneid1. Ainsi, l’examen d’une saisie ou d’une appréhension possible, d’une begriff est annoncé dès le début de la leçon. Lacan pose la question de ce que le signifiant saisit. Ça commence comme ça : — « Pourquoi un signifiant est-il saisie de la moindre chose, peut-il saisir la moindre chose ? ». La moindre. La plus petite. On pourrait dire « la plus nulle », mais ce serait absurde. On est nul ou on ne l’est pas. On n’est pas plus-ou-moins nul. En rhétorique peut-être, mais pas en logique, où il n’y a pas de degré dans la nullité. C’est ce que dit le principe des deux formes de la déduction que Lacan évoque alors : le dictum de omni et nullo. Mais ce principe n’implique qu’une chose, dit Lacan : « c’est que ce que l’on saisit, ce sont des êtres nullifiables ». Et si ces êtres sont « nullifiables », ce ne sera pas à la manière du cercle nullifiable de la topologie. C’est ce que nous allons voir. Il évoquera aussi l’image du zéro, la boucle du zéro. « Nul, c’est la racine de tous » dira-t-il encore, ou encore : « la possibilité de l’universel, c’est la nullité ». Nous l’avons vu aussi dans les premières leçons avec le quadrant de Peirce. C’est de la logique. Et ce qui est topologique, il nous l’a montré, c’est qu’un point ou une ligne peuvent être « nullifiables » eux aussi, mais tout autrement donc. Un cercle peut se réduire à un point, puis à rien. (fig. XX1-1 p. 354). On distingue ainsi deux sortes de « nullifiables », celles du cercle logique, et celles du cercle topologique. Lacan part alors des cercles d’Euler — logiques — et non sans humour, en montre les apories ou les limites, desquelles nous avons à nous affranchir pour les raisons qu’il va démontrer. A ces cercles d’Euler, il s’agit de substituer autre chose, il l’annonce-t-il dès le début. Tout en restant comme ça sur sa ligne introductive d’une possible saisie de la moindre chose par le signifiant, une saisie du moindre qui ne soit pas nullifiable donc, qui ne se réduise pas à rien, mais qui parvienne au contraire à peut-être saisir « quelque chose » ou quelque objet. Il en vient alors à la question de l’avoir, de la possession : « Avoir au sens fort » dit-il. Il en vient ainsi aux cercles inclusifs d’Euler et les déclinent sur plusieurs registres logiques : — D’abord, il y a l’ensemble des lettrés et des professeurs : « Tous les professeurs sont lettrés ». Au milieu de l’ensemble des lettrés, il y a les professeurs. Et s’il arrive que des professeurs ne soient pas lettrés, cela ne revient pas à dire qu’il 1 « Pourquoi amener jusqu’à un certain point, et pas au-delà l’expérience analytique ? Ce terme que Freud nous donne comme dernier, du complexe de castration chez l’homme, nous dit-il, ou du penisneid chez la femme, peut être mis en question. Qu’il soit dernier n’est pas nécessaire. » in L’Angoisse, Leçon X, leçon du 30 janvier 1963. Page 2 sur 8 n’y a pas de professeurs. Pas du tout. Seulement : ce sont des professeurs nuls. Nous les avons, même si nuls, ils sont inclus dans le cercle eulérien. —Autre exemple, avec les psychanalystes : « Nul ne pourra se dire psychanalyste, s’il n’a pas été psychanalysé ». Au milieu du cerle des psychanalysés, il y a le cerle des psychanalystes (fig. XXI-2 p.355). Et du fait du lien conditionnel entre les deux groupes, le cercle inclusif nous fait ici passer de l’avoir à l’être. Ce jeu de l’avoir mais aussi de l’être induit ici un autre rapport au nullifiable. Car si le professeur non-lettré : « peut aspirer, dit Lacan, à la manière d’un siphon, à quelque chose qui le vide de tout contact avec les effets de la lettre, il est au contraire tout à fait évident pour le psychanalyste que tout est là ». Tout est là pour le psychanalyste, dit Lacan. C’est-à-dire que la question du vide, qui, à la différence du professeur, du non-lettré parmi le groupe des lettrés, rend un professeur « nul », pour le psychanalyste, c’est tout autre chose. Si parmi l’ensemble des psychanalysés nous avons les psychanalystes, qui sont psychanalystes, quelque chose reste à se savoir, qui est ici escamoté par les cercles logiques, c’est : « ce que ça lui fait au psychanalyste d’être psychanalysé en tant que psychanalyste (et non pas en tant que partie des psychanalystes) » Ce que ça lui fait ne sera pas sans rapport avec le nul (— « nul ne pourra se dire psychanalyste, s’il n’a pas été psychanalysé »), et puis bien-sûr avec un autre type de nullité encore, qui ne serait pas ici péjorative, mais en rapport au manque ou au désir. Je continue fidèlement, dans l’ordre de ces exemples, la démonstration lacanienne à partir des cercles eulériens, car elle nous mène à accuser davantage le problème, l’escamotage logique, ce problème qui va conduire au recours topologique. Car après les psychanalystes, vient le syllogisme de Socrate, bien connu : « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel ». Davantage qu’un escamotage, cette formule provoque, ici pour Lacan, un sentiment d’escroquerie : « Car en quoi nous intéresse une telle formule, demande-t- il, si c’est l’homme qu’il s’agit de saisir ? (…) Quand nous parlons de l’homme, c’est justement à ce tourbillon, à ce trou qui se fait là, dans le milieu quelque part, que nous touchons ». Après l’escamotage, voilà l’escroquerie donc. Mais Lacan insiste encore et revient à la logique. Du moins, à un quatrième et dernier exemple qu’il a trouvé chez Peirce. Une autre proposition universelle affirmative, mais qui elle va peut-être rendre de manière plus évidente la question de ce tourbillon. Ici peut-être un peu moins escamoté, ce tourbillon qui nous pousse à sortir de la uploads/Philosophie/ alice-massat-l-x27-identification-lecon-xxi.pdf

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