Bourdieu, Foucault, Philosophie et sociologie en France aujourd'hui Pour rendre

Bourdieu, Foucault, Philosophie et sociologie en France aujourd'hui Pour rendre compte de l'état des rapport entre philosophie et sociologie aujourd'hui, il paraît utile de confronter deux démarches, à la fois radicalement opposées et qui entretiennent des relations complexes : celle de Muchel Foucault et celle de Pierre Bourdieu. 1. Une philosophie sans point de contact avec la sociologie ? Les apories de l'archéologie du savoir « Je ne suis pas un chercheur en sciences sociales » Foucault et la sociologie ? En dépit des innombrables usages sauvages que les sociologues ont pu faire de la pensée foucaldienne (ou des pensées successives attachées à son nom), usages que je laisserai de côté ici, la cause semble entendue. Il n’existe pas de véritable point de contact entre l’entreprise de l’auteur de l’Archéologie du savoir et l’activité sociologique. Il a toujours pris soin de se dissocier des entreprises sociologiques qui auraient pu sembler offrir des proximités. Considérez ainsi l’exemple d’Erving Goffman : « On a dit que j’essayais de faire la même chose qu’Erving Goffman dans son ouvrage sur les asiles, la même chose, mais en moins bien. Je ne suis pas un chercheur en sciences sociales. Je ne cherche pas à faire la même chose que Goffman. Lui s’intéresse 1 surtout au fonctionnement d’un certain type d’institution : l’institution totale, l’asile, l’école, la prison. Pour ma part, j’essaie de montrer et d’analyser le rapport qui existe entre un ensemble de techniques de pouvoir et des formes : des formes politiques comme l’Etat et des formes sociales. Le problème auquel s’attache Goffman est celui de l’institution elle­même. Le mien est la rationalisation de la gestion de l’individu. Mon travail n’a pas pour but une histoire des institutions ou des idées, mais l’histoire de la rationalité telle qu’elle opère dans les institutions et dans la conduite des gens ». Histoire, donc, mais d’un tout autre ordre que celle que la sociologie a pratiquée depuis que Durkheim l’a programmée comme une « science des institutions ». Michel Foucault ne fait pas de sciences sociales, et il n’est absolument pas convaincu de leur intérêt, sinon comme objet archéologique. Il n’y a pas d’espace commun entre son entreprise et celle que poursuivent les sociologues, même si certains lecteurs y trouvent, à tort, des airs de famille. Pour ce qui est d’Asiles, d’Erving Goffman, la confusion est peut­être due à la position particulière de Robert Castel, introducteur de l’ouvrage en France, et par ailleurs soucieux d’inscrire sa propre démarche d’enquête historique sur l’ordre psychiatrique en France dans le prolongement de la problématique foucaldienne. Le fait qu’elle existe aussi aux Etats­Unis, où Foucault publie l’entretien cité en référence, témoigne de la difficulté qu’il y a à saisir la position spécifique de son travail dans l’espace disciplinaire, de l’assigner à résidence, si l’on peut dire. Lui­ même joue de cette incertitude pour esquiver les contraintes de l’inscription dans une tradition ou dans un lignage conceptuel. « Ne me demandez pas qui je suis », dit­il, en passant une partie de son temps à donner des précisions sur ne qu’il n’est pas. 2 Pouvoir et rationalité L’un des plus puissants moteurs du travail de Foucault, la notion de pouvoir, entendue en ses diverses composantes, pourrait cependant nourrir des rapprochements avec l’espace ouvert par Max Weber et multiplement réinvesti par les sociologues au cours du dernier siècle, surtout quand l’auteur de Surveiller et punir l’associe à la notion de rationalité. C’est bien d’un processus historique de rationalisation qu’il est question, mais il n’est jamais pensé dans la postérité de Weber, comme si les objets sur lesquels il travaillait le situaient définitivement dans une époque révolue. C’est ainsi que Foucault évoque l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme dans un débat avec G. Preti sur les problèmes de la culture : « Aujourd’hui, à notre époque (et je vous parle toujours en qualité d’historien, même si j’essaie d’être un historien du présent), les problèmes moraux concernent exclusivement la sexualité et la politique. Je vous donne un exemple. Pendant une très longue période, au XVIIe et XVIIIe siècles, le problème du travail, ou du manque de travail, était (ou mieux, semblait) un problème de nature morale. Ceux qui ne travaillaient pas n’étaient pas considérés comme des malheureux qui ne trouvaient pas de travail, mais comme des paresseux qui ne voulaient pas travailler. Il existait, en somme, une éthique du travail ; il est inutile que j’insiste puisque Max Weber a dit tout cela bien mieux que moi je ne pourrais le faire. Aujourd’hui nous savons très bien que celui qui ne travaille pas est un homme qui ne trouve pas de travail, qui est chômeur. Le travail est sorti du règne de la morale et est entré dans celui de la politique ». On laisse de côté le paradoxe que constitue le fait que le travail a cessé d’être une question morale pour entrer dans une des deux modalités contemporaines de l’expression des problèmes moraux (sexualité et politique) pour 3 insister sur le fait que l’analyse de Max Weber est pleinement associée à un objet du passé, alors que l’auteur d’Economie et société en avait fait un ressort permanent de la dynamique du capitalisme. On peut faire une remarque complémentaire à propos de la notion méthodologique centrale de l’entreprise historique de Weber, celle, d’ailleurs fort controversée et obscure quant à son mode de production, l’idéaltype. Dans la célèbre table ronde du 20 mai 1978 publiée dans l’Impossible prison, où Foucault va sans doute le plus loin dans l’explicitation de sa relation aux sciences sociales, il affirme qu’il n’est pas weberien dans la mesure où son travail ne peut pas s’expliciter par l’usage de la notion d’idéaltype, qu’il définit comme un instrument capable de ressaisir une essence à partir de principes généraux qui ne sont pas présents à la pensée des individus dont le comportement se comprend pourtant « à partir d’eux ». Or Foucault récuse les principes généraux au profit de la notion de programme, comme ensemble de prescriptions calculées et raisonnées qui n’est pas porteur d’une signification générale. « Programmes, technologies, dispositifs­rien de tout cela n’est « l’idéal type ». J’essaie de voir le jeu et le développement de réalités diverses qui s’articulent les unes sur les autres : un programme, le lien qui l’explique, la loi qui lui donne une valeur contraignante etc. sont tout autant des réalités (quoique sur un autre mode) que les institutions qui lui donnent corps ou les comportements qui s’y ajustent plus ou moins fidèlement ». Foucault justifie son éloignement par rapport à Weber à travers un mode différent de sélection des objets pertinents pour l’analyse : jusqu’à un certain point, on pourrait dire que Foucault relocalise les objets historiques et qu’il fait jouer différents niveaux entre eux en ne présupposant pas leur ajustement automatique. Il évoque ainsi des « objets locaux » pour décrire des apprentissages. Foucault déconceptualise l’histoire selon Max 4 Weber pour la « programmer » si l’on peut dire, en la recentrant du côté des pratiques (ici, des pratiques prescriptives dans leur matérialité même). On fera deux remarques à ce sujet. La première porte sur la surcharge interprétative qu’assigne Foucault à la notion d’idéaltype, entendu comme principe agissant sur les comportements, alors qu’il s’agit principalement d’un outil méthodologique, à la définition d’ailleurs peu claire. S'inscrivant dans le prolongement de l'épistémologie weberienne, J.­C. Passeron a eu l’immense mérite de se fonder sur une enquête sémantique pour caractériser les concepts à l'oeuvre dans les sciences sociales comme des "abstractions incomplètes" . L'efficacité de leur fonctionnement lorsqu'il s'agit d'opérer des généralisations ou des comparaisons est garantie par le fait qu'ils continuent de référer à des coordonnées spatio­ temporelles. C'est la présence tacite de déictiques qui permet de stabiliser le sens de ces abstractions incomplètes. On retrouve ici, dans un autre lexique, le type idéal, qui regroupe selon Weber toutes les abstractions et les généralisations à l'oeuvre dans les sciences sociales, lesquelles ne peuvent guère se dire, si l’on est rigoureusement weberien, en termes de principes généraux. En affirmant le caractère idéal typique de tous les concepts historiques et sociologiques, Weber disqualifiait du même coup l'objectivisme et le naturalisme épistémologique. J.C. Passeron se situe explicitement dans le prolongement de cette démarche, tout en clarifiant le statut logique de ces concepts : il s'agit de semi­ noms propres, caractérisés par un statut mixte, entre le nom commun et le nom propre. Aucune définition dans les sciences sociales n'est jamais complètement générique : les individualités historiques restent présentes, à titre d'index, dans le concept. Mais la clarification logique ne suffit pas à lever toutes les difficultés opératoires qui affectaient déjà le type idéal weberien. En effet, il est impossible d'isoler un point 5 sur un axe qui irait du nom propre (individualité historique) au nom commun (description définie) et qu'on pourrait identifier comme locus du type idéal. La principale opération cognitive des sciences historiques est donc prise dans un cercle. Si l'efficacité de cette opération est incontestable, puisqu'elle est à l'oeuvre en permanence, il n'en reste pas moins que l'épistémologie uploads/Philosophie/ bourdieu-foucault-philo-et-socio-jlfabiani.pdf

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