APRÈS LACAN, PSYCHANALYSE ET PHILOSOPHIE Alain Vanier Presses Universitaires de
APRÈS LACAN, PSYCHANALYSE ET PHILOSOPHIE Alain Vanier Presses Universitaires de France | « Cités » 2014/2 n° 58 | pages 75 à 86 ISSN 1299-5495 ISBN 9782130628743 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cites-2014-2-page-75.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.186.48.135) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.186.48.135) Après Lacan, psychanalyse et philosophie Alain Vanier 75 cités 58, Paris, puf, 2014 Après Lacan, psychanalyse et philosophie Alain Vanier En 1971, lors d’une séance de son séminaire, voulant parler de l’ouvrage de Laplanche et Pontalis, le Vocabulaire de la Psychanalyse, Lacan fait un lapsus et dit : Vocabulaire de la Philosophie. Il prend acte de cet « esp d’un laps1 », l’espace d’un lapsus, de ce qui, un instant, « n’a plus aucune portée de sens » pourvu qu’on n’y fasse pas attention, on est alors « sûr qu’on est dans l’inconscient ». Pour nommer ce qui vient de se produire en acte, Lacan avance une nouvelle notion, lalangue, en jouant sur le nom de Lalande – lalangue comme question radicale de la psychanalyse à la philosophie. Alors, faut-il penser la relation de la psychanalyse à la philosophie comme un rapport de lapsus ? Pour les psychanalystes, un soupçon per- sistant porte sur la philosophie depuis Freud. Cette méfiance était dans l’air de son époque, et Freud a écarté le terme de théorie qu’il jugeait trop spéculatif, mais n’a pu éviter d’avoir recours à ce qu’il a préféré appeler métapsychologie – « la sorcière ». Pourtant, il avouait une passion de jeu- nesse pour la « connaissance philosophique », a traduit John Stuart Mill pendant son service militaire, suivi les cours de Brentano, et n’a cessé d’être interrogé par la philosophie, en particulier par Kant. Il a emprunté en les détournant des concepts à divers philosophes – aux romantiques allemands, à Schopenhauer (Geschlechtstrieb), etc. – rapprochant même la sexualité élargie de « l’éros du divin Platon ». Mais quand il définit la psychanalyse, il la situe comme une recherche concernant les processus 1. J. Lacan, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.186.48.135) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.186.48.135) Dossier : La Philosophie en France aujourd’hui (2) 76 psychiques, une méthode de traitement, et « une série de vues psycho- logiques, acquises par cette voie, qui croissent progressivement pour se rejoindre en une discipline scientifique nouvelle2 ». Le scientisme de Freud a toute son importance dans l’histoire de la psychanalyse, ses déve- loppements, et son style. Cette volonté de tenir la philosophie à distance est sans doute un legs de Freud mais tient aussi à quelque chose de plus fondamental dans le champ de la psychanalyse. Ainsi un psychanalyste comme Winnicott a développé un mode de théorisation fondé sur le paradoxe3. Pour lui, le paradoxe n’est pas simplement une formule qui va à l’encontre de l’opinion commune, mais, sur le plan logique, un énoncé auquel on peut attribuer une valeur de vérité sans être amené à constater une contradiction ; avec Lacan, nous pourrions dire qu’il touche à de l’impossible. Le paradoxe a pour lui, une valeur fondamentale, conceptuelle et il en distingue deux tout particuliè- rement. Ce qu’il appelle d’une part le « paradoxe essentiel », essential para- dox, et le second paradoxe, second paradox. Le paradoxe essentiel est celui de l’objet transitionnel. L’objet transitionnel est un objet que la mère pro- pose à son enfant, s’attendant à ce que celui-ci devienne addicted à cette chose4. Le paradoxe est que cet objet transitionnel est à la fois à la mère et à l’enfant, et qu’en même temps, il n’est ni à l’un ni à l’autre. Ce n’est pas tant qu’il soit à l’un et à l’autre ; c’est le fait qu’à la fois il appartienne aux deux et n’appartient pas à l’un ou à l’autre. En tant que tel, inscrire l’objet transitionnel dans ce paradoxe le situe au-delà de toute observation possible. Il s’agit d’un paradoxe qui tient à la question de l’avoir, l’autre a trait à l’être. Le « second paradoxe » concerne l’expérience d’être seul en tant que nourrisson ou petit enfant en présence de la mère. Il y a un passage de I am à I am alone, un passage du « je suis » au « je suis seul ». Mais il y a d’autres paradoxes chez Winnicott, par exemple que l’objet est à la fois trouvé et créé – les résonances philosophiques, presque kan- tiennes, de la formule sont assez étonnantes. À ce niveau-là, Winnicott reste prudent. Dans ces cas, il ajoute : « Un philosophe ici pourrait dire quelque chose… », mais aussi « mais moi, je m’en distancie… » Il peut décrire ainsi la déroute complète du philosophe à qui il présenterait les 2. S. Freud, « “Psychanalyse” et “théorie de la libido” », G.W. XIII, O.C.F.P. XVI, p. 83. 3. Voir A. Vanier, « Le paradoxe Winnicott », in Winnicott et la création humaine (dir. A. Braconnier et B. Golse), Toulouse, Érès-Le CarnetPsy, 2012, pp. 193-201. 4. « …most mothers allow their infants some special object and expect them to become, as it were, addicted to such objects. » © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.186.48.135) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 27/02/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.186.48.135) Après Lacan, psychanalyse et philosophie Alain Vanier 77 idées qu’il est conduit à déduire de l’expérience. C’est donc cette parti - cularité de l’expérience qui semble être décisive, c’est-à-dire ce que ces « idées » cernent en échouant à la dire. Lacan a repris cette volonté de faire science comme un legs de Freud. Il a pensé, un temps, que la linguistique pourrait jouer dans le champ des sciences humaines et de la psychanalyse le rôle de formalisation que les mathématiques ont pu jouer dans la science physique. Cette visée s’est rapidement avérée une impasse puisque ce sont les limites de cette orien- tation qu’au contraire la psychanalyse a dévoilé, ce qui lui fera dire qu’il a de la structure une tout autre idée que celle de Claude Lévi-Strauss ; l’inscription de son œuvre dans le courant structuraliste, contrairement à l’opinion répandue, n’a donc rien d’évident. Il investira la linguistique, puis la logique, pour faire apparaître les impasses, c’est-à-dire les points où ces disciplines suturent la béance à laquelle la psychanalyse a affaire5. Donc plutôt la psychanalyse contre la philosophie – « Lacan contre Hegel » – mais penser contre c’est aussi penser avec. Penser l’activité philosophique à l’envers de la psychanalyse afin de situer ce que la philosophie ne veut pas penser, l’impensé de la philosophie, et ce qu’il y a d’inouï dans la psy- chanalyse6. Il évoquera aussi une antipathie des discours quand il prendra la direction du département de psychanalyse de l’Université de Vincennes, soutenant ainsi la présence de la psychanalyse à l’Université. Mais, d’un autre côté, l’effort de faire science trouve une butée sur ce qui est préci- sément le sujet sur lequel la psychanalyse opère, qui n’est autre que le sujet de la science, sujet forclos par la science, que Lacan repère dans le cogito cartésien. Ce qui pour Freud était une évidence, la volonté de faire science avec l’espoir que la biologie fonde ce que la psychanalyse découvre, est devenu pour Lacan une question. Ça parle, il y a un sujet dans le sujet, au-delà du sujet. Dès lors, le cogito devient : je ne suis pas là où je suis le jouet de ma pensée ; « je pense à ce que je suis, là où je ne pense pas penser7 ». Certes, la philosophie de Descartes est aussi le produit d’une expérience, ce que l’on pourrait sans aucun doute dire de la plupart des philosophes, mais la production du cogito peut être lue comme une réduction de celle-ci par l’identification du Je du « je suis » 5. J.-A. Miller, « La suture », Les Cahiers pour l’Analyse, n°1, Paris, Seuil, 1966. 6. Je reprends ici et là certains développements de ma préface au livre de Bernard Baas, auquel celle-ci doit beaucoup. Cf. B. Baas, Y a-t-il uploads/Philosophie/ cite-058-0075.pdf
Documents similaires










-
32
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 29, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.5757MB