FREUD ET LA THÉORIE SOCIALE D U M Ê M E A U T E U R Habermas et la sociologie,

FREUD ET LA THÉORIE SOCIALE D U M Ê M E A U T E U R Habermas et la sociologie, PUF, 1998. Le Vocabulaire de l'École de Francfort (avec Yves Cusset), Ellipses, 2001. Habermas : une introduction, Pockel/La Découverte, 2002. Critique de l'antinaturalisme, PUF, 2006. L'Aliénation, PUF, 2007. L'Homme dépossédé, CNRS Éditions, 2009. Freud sociologue, Le Bord de l'eau, 2012. DIRECTION D'OUVHAGES L'Action en philosophie contemporaine. Ellipses, 2005. Habermas et Foucault (avec Yves Cusset), CNRS Éditions, 2006. Des Pathologies sociales aux pathologies mentales. Presses universitaires franc- comtoises, 2010. Anciens et Modernes, par-delà Nature et Société (avec Arnaud Macé), Presses universitaires franc-comtoises, 2012. Illustration de couverture: Catherine Chauviré Maquette d'après François Féret FREUD ET LA THÉORIE SOCIALE Stéphane HABER La Dispute Tous droits de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays © 2012, La Dispute/SNÉDIT, Paris ISBN : 978-2-84303-228-8 NOTA BENE En traduction française, les textes de Freud sont cités en priorité, mais non exclusivement, dans l'édition des Œuvres complètes en cours de parution aux Presses univer- sitaires de France : OC, puis la tomaison et la page. De manière générale, la référence au texte original s'effectue dans les Gesammelte Werke, Fischer, Francfort (GW, puis la tomaison et la page). Pour harmoniser l'ensemble, nous révisons au besoin les traductions, mais d'une façon aussi discrète que possible. INTRODUCTION Comment la théorie sociale peut-elle se rattacher aux savoirs qui prétendent être ou paraissent être, d'une façon ou d'une autre, plus proches de la prise en compte d'un pôle d'expériences et de phénomènes que l'on peut identifier au moyen de notions distinctes, mais néanmoins rattachées les une aux autres, telles que « singularité personnelle », « biographie », « caractère » ? Bien entendu, la division intuitive entre le « social » et l'« indi- viduel » s'avère rapidement, à l'examen, aussi grossière qu'en- combrante. Et cela, même si l'histoire des sciences humaines, qui furent massivement confrontées à la séparation entre la voie psychologique et la voie sociologique, a pu contribuer à figer dans les esprits, à une certaine période, une situation en réalité plus indécise.1 Il fut certes possible et même important, à une 1. Dans L a tradition qui va de Dilthey à Sartre, on suppose qu'il y a des indivi- dus, en quelque sorte, plus singuliers que d'autres, ceux qui portent la marque d'un destin hors pair (le grand homme), du génie créateur (l'artiste) ou de la décision existentielle exceptionnelle. La réflexion théorique sur la biographie comme genre savant et, indirectement, sur l'individu comme forme ne sort pas indemne de ces engagements élitistes; ils incitent à associer au thème de 1 individu unique celui de l'exception absolue conçue comme arrachement aux conditions sociales données, justifiant par là une opposition catégoriale réifiée entre le social, lieu de la médiocrité, et l'individuel. Pour sortir de ce modèle, il 9 Freud et la théorie sociale certaine époque, d'assigner à la sociologie la prise en compte exclusive des institutions stables, des phénomènes collectifs impossibles à manquer en raison de leur massivité et de leur influence (une massivité et une influence que la mesure statis- tique est censée prouver). H fut légitime de lui imposer l'étude de l'homme moyen, ou encore la mise en valeur du rôle des groupes durables, démographiquement importants et nette- ment individualisés (du type de ceux qui jouèrent un rôle essen- tiel dans la première modernité industrielle des sociétés occi- dentales), bref de l'ensemble des phénomènes auquel Durkheim faisait allusion afin de rendre acceptable la définition du social par la «contrainte». Mais, en réalité, cette vision macroscopi- que et hyperobjectiviste, ouvertement favorable à la présence constante de grand format propre aux grosses « choses » soli- des3, s'est trouvée de plus en plus mise en cause - sans que l'on se sente obligé d'invoquer l'entre-deux de l'interaction à tout bout de champ, ni de donner plus d'importance qu'il n'en a au fait que certains faits sociaux s'expliquent très correcte- ment par l'effet de composition propre à la rencontre non déli- bérée de conduites individuelles et rationnelles. À la lumière de ces remises en cause, il apparut progressivement que le grand partage du social et de l'individuel dramatisait inutile- ment une série de problèmes conceptuels et empiriques assez hétéroclites, appelant en réalité des réponses bien différenciées selon les cas.3 a fallu assurément intégrer à la philosophie de la biographie l'intuition selon laquelle les vies ordinaires, qui sont également singulières, comptent aussi - une intuition qui supposait la prise en compte des apports de la littérature, du cinéma, de l'ethnographie, etc. 2. ftmile Durkheim, « Il faut considérer les faits sociaux comme des choses », Les Règles de la méthode sociologique (1895), PUF, Paris, 1987, p. 15. 3. Parmi les thèmes qui ont contribué au dépassement de cette antinomie, a compté l'approche quasi transcendantale de Wittgenstein, selon qui les jeux de langage psychologiques, ordinaires ou savants, en tant qu'ils doivent eux- mêmes être appris, peuvent être qualifiés de sociaux. Bref, certaines règles sont requises pour constituer et analyser l'intériorité, et celles-ci n'ont aucun statut spécial : elles renvoient à des pratiques collectives qu'il faut s'approprier. Voir ses Remarques sur la philosophie de la psychologie, TER, Mauvezin, 1989, 2 volumes. Pourtant, il ne semble pas que Wittgenstein ait jamais pensé que l'on pût résoudre le problème empirique de l'articulation social/psychique en mentionnant simplement ce fait, même si sa démarche contribue grandement à déréifier ce genre de termes et donc les oppositions factices qui dérivent inévitablement des définitions dogmatiques. Le problème évoqué reste donc entier, et il n'est pas indigne de la réflexion philosophique de s'y consacrer un peu. À moins de se persuader, selon une mode du siècle dernier étonnamment ÎO Introduction Ainsi, par exemple, l'idée d'une sociologie de l'individu singu- lier n'apparaît-elle plus du tout, aujourd'hui, contradictoire ni même particulièrement paradoxale.4 Loin de ne pouvoir justi- fier que le passage de l'explication externe à la compréhension empathique, proche du vécu subjectif, elle montre comment l'in- tention légitime sous-jacente à la valorisation de cette dernière peut se convertir sans dommage dans une problématique épis- témologique déterminée, celle de l'intelligence discursive de la singularité personnelle. Car le personnel, le contingent, l'origi- nal, ainsi que le vécu qui les sous-tend, possèdent eux aussi leurs conditions objectives d'apparition et de persistance, conditions qui doivent se prendre en compte, au milieu d'autres éléments, lorsqu'il s'agit de définir et d'observer correctement ce que l'on nomme le « social », puisque, à leur manière, ils font même partie, éminemment, du « social ». Et cela, d'autant plus sûre- ment que nous raisonnons en fonction d'un concept d'individu assoupli, débarrassé, en tout cas, des anciens préjugés relatifs à une unité substantielle et extramondaine - génie personnel incomparable, continuité biographique, permanence caracté- rologique, homogénéité des dispositions, continuité des situa- tions... - qui, sans doute, a beaucoup compté pour les concep- tions qui nous précèdent. L'opposition, autrefois dramatisée par tenace, que le seul rapport envisageable de celte réflexion à la psychologie relève de l'ordre de la pure dénonciation. 4. Voir, par exemple, Norbert Elias, Mozart. Sociologie d'un génie. Le Seuil, Paris, 1991 ; Pierre Bourdieu. Les Règles de l'art. Le Seuil, Paris, 1992, et La Misère du monde. Le Seuil. Paris, 1993. Max Weber héritait de certaines variantes du néokantisme la thèse selon laquelle les sciences sociales s'orientent en fonc- tion d'un intérêt pour les configurations uniques : cas, conjonctures, situations, processus. Mais sa conception de la biographie restait conventionnelle : à partir d un récit portant sur un grand homme, récit qui nous initie à la valeur de la singularité en tant que telle, l'on doit retrouver les forces et les champs dans lesquels il s'inscrivait. Voir Essais sur la théorie de la science. Pocket, Paris, 1992, p. 243. Preuve qu'il faut bien des médiations pour passer de l'idée d'une « socio- logie des singularités historiques» à une «sociologie de l'individu singulier». Par ailleurs, dans le champ des sciences sociales contemporaines, la notion de « sociologie de l'individu » peut également renvoyer à l'hypothèse selon laquelle le retrait de certaines normes et de certaines contraintes autrefois prêtantes oblige, à l'époque contemporaine, les individus à «produire» le social sous la forme individualisée de leur propre vie. Voir, par exemple, Danilo Martucelli et François de Singly, Les Sociologies de l'individu. Armand Colin, rans, 2009. Cette hypothèse historiciste, qui se situe dans la droite ligne des Grands Récits de l'avènement (occidental) de l'Individu, éclaire certains faits, •nais qui sont en trop petit nombre, à notre avis, pour qu'on lui accorde le statut d un principe solide dont pourrait partir le raisonnement sociologique en ces matières. 11 Freud et la théorie sociale un auteur tel que Sartre5, entre le déterminisme monolithique (où l'individu-caricature n'exprime qu'une position de classe ou un trait psychologique abstrait) et la compréhension d'un choix de soi-même inconditionné, expression existentielle centrale du fait de la singularité, qui se ramifierait dans la série infime des conduites et des accomplissements jusqu'à nous permettre d'atteindre l'expérience personnelle en elle-même, n'a ainsi plus vraiment lieu d'être. À juste titre, l'on préfère en général s'atta- cher aux cohérences uploads/Philosophie/ freud-et-la-the-orie-sociale-by-haber-stephane.pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager