DE MOTU GENÈSE DE LA SCIENCE DU MOUVEMENT Introduction Au début des Études newt
DE MOTU GENÈSE DE LA SCIENCE DU MOUVEMENT Introduction Au début des Études newtoniennes, Alexandre Koyré présente Newton comme l'unificateur rigoureux et génial des intuitions de la « philosophie naturelle » moderne, le créateur d'outils mathématiques performants pour décrire l'ensemble des phénomènes de la nature. C'est ainsi que depuis Newton et ses Principia, « nous avons tous, ou presque tous, accepté l'idée de la machine du monde newtonienne comme l'expression de la véritable image de l'Univers et comme l'incarnation de la vérité scientifique »1. Il est intéressant de constater que cette révolution moderne de la conception du monde commence avec la découverte d'une nouvelle manière de concevoir et de décrire le mouvement, dépassant les déterminations ontologiques aristotéliciennes de catégorie de changement dans le monde sublunaire – c'est-à-dire de processus d'actualisation de la puissance – et les théories mécanistes comme chez Descartes où le mouvement est un état de l'objet mû lui-même, une qualité inhérente ; nouvelle explication du mouvement qui dépasse, ou plutôt qui neutralise ces engagements ontologiques pour ne laisser place qu'à la description du mouvement lui-même, formelle et quantitative, indépendamment de ses causes et de son statut – processus, état, qualité – par rapport à l'objet mû. Nous verrons que cette tendance radicale à la cinématique, telle que Galilée en fait l'injonction, n'est pas l'attitude de Newton, et c'est cet autre changement, de la cinématique galiléenne à la dynamique newtonienne, qui nous intéresse particulièrement ici : puisque « nous savons que c'est à la profondeur de son esprit philosophique que nous devons la formulation – mais non la découverte – des lois fondamentales du mouvement et de l'action, ainsi qu'une claire saisie des méthodes et de la signification de la recherche scientifique »2, le travail de l'historien des sciences consiste, nous semble-t-il, à faire la genèse de cette formulation, et l'histoire de ces 1 - Alexandre Koyré, Études newtoniennes, p. 28. 2 - Ibid, p. 27. 1 Thomas Claisse M2 Philosophie Séminaire d'histoire des sciences de M. François De Gandt Année universitaire 2008-2009 découvertes. Nous ne proposons pas, en ces quelques pages, de faire la généalogie1 pleine et minutieuse de l'avènement de la science expérimentale moderne. La tâche plus modeste que nous nous donnons consiste à identifier et à synthétiser les découvertes qui témoignent de la transformation de la science du mouvement jusqu'à la formulation des principes de la dynamique newtonienne par Newton lui-même dans le texte du De Motu, et dans sa relation, sur ce point précis, avec leur forme parachevée dans les Principia. Ainsi, trois axes d'étude nous semblent convenir pour raconter cette histoire, pour mettre au point cette genèse des principes newtoniens du mouvement. Tout d'abord, nous tenterons de considérer et d'identifier la nouvelle tendance de la philosophie expérimentale, en ce qui concerne la mécanique, de manière négative par rapport à la principale théorie à laquelle elle s'oppose, afin de comprendre à la fois en quoi cette manière nouvelle de décrire le mouvement constitue un changement, et surtout en quoi ce changement consiste et ce qu'il apporte. Par cette approche, nous serons ensuite amenés, dans un deuxième axe, avec une tentative d'explication de la mathématisation du mouvement, à considérer le principe d'inertie – premier principe fondamental des descriptions newtoniennes – dans la genèse de cette science, et comment ce principe y sourd pour porter la révolution newtonienne, depuis le cartésianisme et même avant, depuis les apports galiléens à la révolution copernicienne. Enfin, le troisième axe d'étude s'imbrique dans les deux autres et parcourt notre développement, dans lequel nous pourrons considérer les implications épistémologiques et ontologiques de la dynamique newtonienne et des « épaules de géants » sur lesquelles elle est assise, pour montrer que ce changement n'est pas un simple changement de méthode de description, mais bel et bien un engagement philosophique qui se situe dans la tendance critique caractéristique de la pensée moderne anglo-saxonne, du primat de l'expérience. 1 - Au sens foucaldien, ce qui demanderait, dans le cadre de l'archéologie des savoirs, d'analyser et de décrire les changements théoriques eux-mêmes dans leur dynamique à l'intérieur des discours – i.e. des textes et de leurs relations, au lieu de ne faire que le rapport des conséquences de cette dynamique, à savoir les découvertes. Il nous semble naïf de croire pouvoir effectuer un travail généalogique en un texte si court, aussi préférons-nous faire l'analyse synthétique, factuelle et discrète des découvertes. 2 1 / La science nouvelle du mouvement Il est de tradition historiographique de considérer les XVIIe et XVIIIe siècles comme le théâtre d'un grand changement des rapports de l'Homme au monde, et ce particulièrement dans la corrélation des discours de la philosophie naturelle et des théories de la connaissance. Une attitude critique se développe qui voit dans le champ de l'expérience le criterium qui permet de vérifier toute affirmation, en élevant au rang de primat les descriptions a posteriori et les inférences qui en découlent, et neutralisant ainsi toute forme a priori, jugées spéculatives, du discours scientifique. Comment un tel changement s'opère dans l'analyse et l'explication du mouvement, et quelles en sont les conséquences dans la philosophie naturelle – comprise comme description des phénomènes de la nature (phusis) ? 1.1 / La conception aristotélicienne du mouvement : potentialité et actualité La description du Cosmos et de ses catégories appartient, dans la classification aristotélicienne des sciences, aux savoirs théorétiques. La catégorie du mouvement dans la physique aristotélicienne ne peut être expliquée indépendamment du cadre cosmologique dans lequel elle s'inscrit, c'est-à-dire dans un discours théorétique sur les objets non immuables et séparés : « La connaissance des réalités éternelles appartient à une science antérieure à ces deux-là [la physique et les mathématiques]. En effet, la physique porte sur des objets non séparés [de la matière], mais non immobiles ; une partie des mathématiques porte sur des objets immobiles et sans doute pas séparés, mais plutôt comme dans une matière ; et la science première porte sur des objets à la fois séparés [de la matière] et immobiles »1. Tentons de résumer cette appartenance cosmologique. Le monde, le Cosmos aristotélicien, est divisé en deux grandes dimensions caractéristiques et distinctes : la partie supralunaire, céleste, lieu des astres au mouvement circulaire régulier, fini et éternel, donc non soumis au changement. La partie sublunaire, qui se situe sous l'orbe de l'astre le plus proche de la Terre, la Lune, se définit, lui, comme le lieu du changement et de la contingence. La physique est le discours de ces deux parties géographiques du Cosmos, car celles-ci se définissent toutes deux par les objets qu'elles contiennent, objets matériels et donc objets de la nature (phusis)2. La patrie sublunaire, puisqu'elle est celle des changements, dont la génération et la corruption, est donc la partie de l'imperfection et 1 - Aristote, Métaphysique, Ε1, 1026a 13. Le terme « non séparé » appliqué ici à la physique est une traduction de achôrista, et signifie bien entendu que les objets sont non séparés de la matière. Le choix de traduction, dans la classification des savoirs théorétiques, de remplacer dans ce passage de la Métaphysique « non séparés » (achorista) par « séparés » (chôrista) vise à éviter une difficulté de compréhension dans la distinction des objets physiques et des objets mathématiques. La tradition de traduction privilégie chôrista pour exprimer la singularité et l'identité individuelle des objets matériels, dont il n'est pas nécessaire de préciser l'évidente relation avec la matière (sur ce point cf. M. Crubellier & P. Pellegrin, Aristote, le philosophe et les savoirs, Seuil, 2002, pp. 231-232). 2 - cf. Des parties des animaux, I, 5 : « parmi les substances qui sont par nature, les unes existent inengendrées et incorruptibles durant toute l'éternité, alors que les autres participent de la génération et de la corruption » (644b22). 3 de la contingence, parce que la matière dont elle est composée est d'abord puissance, et que l'actualisation de la puissance n'est pas considérée par Aristote comme nécessité (il est évident que si le morceau de roc en entéléchie est bien statue en puissance, sa matière et sa forme ne sont pas des conditions suffisantes pour actualiser cette potentialité). Ainsi, il est important de noter, pour notre distinction d'avec les paradigmes de la science newtonienne, que dans la physique sublunaire aristotélicienne, la description des objets et de leurs changements, de par cette part de contingence, et aussi surtout par sa nature qualitative (il n'est pas question, chez Aristote, d'abstraire le changement des qualités de l'être, puisque le changement, nous le verrons par la suite, est le processus de réalisation de l'essence des choses), sera toujours un à peu près issu d'une inférence inductive et toujours potentiellement falsifiable. Mais revenons à notre genèse du discours sur le mouvement. La notion de contingence que nous avons assignée à la physique sublunaire nous conduit à penser que le mouvement est le processus même de la contingence. En effet, le mouvement chez Aristote, tel qu'il le définit dans la Physique, est un changement, c'est-à-dire un processus d'actualisation, la réalisation d'une tendance. Nous ne pouvons résumer en quelques lignes ce en uploads/Philosophie/ de-motu-genese-de-la-science-du-mouvement.pdf
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- Publié le Jan 05, 2023
- Catégorie Philosophy / Philo...
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