Revue Philosophique de Louvain Les sources heideggeriennes de la notion d'exist

Revue Philosophique de Louvain Les sources heideggeriennes de la notion d'existence chez le dernier Foucault Alain Beaulieu Citer ce document / Cite this document : Beaulieu Alain. Les sources heideggeriennes de la notion d'existence chez le dernier Foucault. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 101, n°4, 2003. pp. 640-657; https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_2003_num_101_4_7519 Fichier pdf généré le 26/04/2018 Abstract In the course of his discussions in the eighties, Foucault returns many times to the importance of phenomenology in the development of his thought. The A. examines one of the dimensions of this complex and winding relationship by studying the reception of Heidegger's notion of existence by Foucault at the end of his career. The recent publication of a lecture by Foucault entitled Hermeneutics of the subject throws new light on the nature of his Heideggerian heritage. We find in it presented for the first time in Foucault' s itinerary a complete reconstitution of the history of thought, similar to Heidegger's construction. It is through this history that the A. approaches Foucault' s notion of existence according to its aesthetic and ethical modalities. (Transl. by J. Dudley). Résumé Au cours de ses entretiens des années quatre-vingts, Foucault revient à maintes reprises sur l'importance de la phénoménologie dans le développement de sa pensée. L'A. examine l'une des dimensions de cette relation complexe et sinueuse à travers une étude de la réception de la notion heideggerienne d'existence par le dernier Foucault. La récente publication d'un cours de Foucault intitulé L'herméneutique du sujet apporte un nouvel éclairage sur la nature de l'héritage heideggerien. On y trouve présenté pour la première fois dans l'itinéraire de Foucault une reconstitution achevée de l'histoire de la pensée, similaire à la construction heideggerienne. C'est à travers cette histoire que l'A. approche la notion foucaldienne d'existence selon ses modalités esthétique et éthique. Les sources heideggeriennes de la notion d'existence chez le dernier Foucault «Dasein» et esthétique de l'existence Dans ses entretiens des années quatre-vingts, Foucault n'hésite pas à faire de la phénoménologie «l'horizon de départ»1 de son entreprise philosophique. Il salue également «les grands textes de Husserl»2 dans leur capacité à ébranler les fondements de la science en plus de lancer cette phrase qui allait nourrir plusieurs commentaires: «Tout mon devenir philosophique a été déterminé par ma lecture de Heidegger»3. La récente publication du cours donné en 1981-1982 au Collège de France intitulé L'herméneutique du sujet4 jette un éclairage nouveau sur ces affirmations en plus de donner une unité à l'ensemble du projet philosophique de Foucault. Ce que Foucault n'affirmait que trop rapidement dans l'introduction à L'usage des plaisirs, à savoir «qu'il fallait entreprendre maintenant un troisième déplacement [après avoir étudié les pratiques discursives du savoir et les manifestation du pouvoir] pour analyser ce qui est désigné comme «le sujet»»5, trouve dans la récente publication de L'herméneutique du sujet une motivation quasi-historiale6. Mais ne croyons pas trop rapidement en une simple répétition par le dernier Foucault de la philosophie heideggerienne. Avant d'exposer les termes de cette ultime confrontation, il convient d'exposer les grandes étapes de la reconstruction (jusqu'alors inédite en sa totalité) par le dernier Foucault de l'histoire de la pensée occidentale composées de quatre grandes époques auxquelles correspondent autant de processus différents de sub- 1 Foucault, Dits et écrits, tome IV, Paris, Gallimard, 1994, p. 441. Nous utiliserons par la suite l'abréviation DE. 2 DÉ IV, p. 53. 3 DÉ TV, p. 703. 4 Foucault, L'herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, Paris, Seuil/Gallimard, 2001. Nous utiliserons par la suite l'abréviation HS. 5 Foucault, L'usage des plaisirs, op. cit., p. 12-13. 6 A. L. Kelkel écrit: «J'invoquerai donc comme guides sûrs les deux penseurs qui me paraissent avoir poussé le plus loin l'investigation philosophico-historiale de la pensée de notre temps: Heidegger et Foucault». Extrait de «Le fin de l'homme et le destin de la pensée» in Man and World. An international philosophical review, 37(1985), p. 5. Sources heideggeriennes de la notion d'existence chez le dernier Foucault 641 jectivation ou de constitution de soi: la philosophie platonicienne, la culture hellénico-romaine des deux premiers siècles, le christianisme et le moment cartésien. Foucault développe principalement son interprétation de la pensée platonicienne à partir de VAlcibiade qui lui sert à dégager les particularités de la conception platonicienne du souci de soi (epimeleia heautou). Chez Platon, Vepimeleai heautou est réservé aux jeunes aristocrates. Ce sont eux qui ont prioritairement à se soucier d'eux-mêmes puisqu'ils deviendront un modèle pour la Cité sur laquelle ils sont destinés à régner. S'occuper se soi constitue ainsi pour Platon une étape préalable à l'exercice du pouvoir. La réussite de cette entreprise dépend des aptitudes de celui qui se soucie de lui-même à élever son âme au firmament des Idées. Le souci de soi prend donc la forme chez Platon d'un savoir conçu comme ressouvenir en étant subordonné au gnôthi seauton (connais-toi toi-même). Privilège des aristocrates, prérequis nécessaire à l'exercice du pouvoir et dépendance vis-à-vis de la connaissance sont les trois principales caractéristiques de la conception platonicienne du souci de soi retenues par Foucault7. Après Platon, la notion du souci de soi subit une profonde mutation. Durant les deux premiers siècles de notre ère où fleurissent les cultures hellénique et romaine, Yepimeleai heautou n'est plus réservé à une classe particulière. Il revient à chacun et en tout temps la tâche d'apprendre à distinguer ce qui dépend de lui-même de ce qui ne dépend pas de soi. De plus, le souci de soi des premiers siècles perd la finalité extra-individuelle que lui conférait Platon. On ne s'occupe pas de soi pour mieux gouverner les autres, mais seulement pour devenir soi-même. Finalement la notion de souci de soi à l'époque du Haut-empire est liée à des pratiques concrètes: la diététique comme souci du corps, l'économique comme souci des biens et l'erotique comme souci de l'amour8. Affaire de tous, auto-finalisation du rapport à soi et émancipation par rapport à la connaissance spirituelle sont les marques distinctives du souci de soi impérial telles qu'elles sont relevées par Foucault9. Dans L'herméneutique du sujet, Foucault s'en tient principalement à l'explication des différences et des similitudes entre ces deux concep- 7 HS, p. 80. 8 L'usage des plaisirs est divisé suivant ces trois domaines où s'actualisent les pratiques de soi. 9 HS, p. 81. 642 Alain Beaulieu tions antiques du souci de soi. Mais il en vient aussi à les situer par rapport aux modes de subjectivation ultérieurs du christianisme et de la philosophie cartésienne. Dans le christianisme, le soi n'a plus à se constituer puisqu'il est une créature de Dieu et, en tant que créature, il n'a pas à opposer sa volonté à celle de son créateur. Le «pouvoir pastoral» force ainsi l'individu à renoncer à lui-même au profit des autres. Le souci de soi devient souci pour les autres, epimeleia ton allôn10. Le «moment cartésien» contribue à prolonger l'oubli du souci de soi. Cette fois, le souci ou V epimeleia comme acte éthique de perfectionnement, qu'il soit dirigé vers soi ou vers les autres, disparaît complètement à la faveur d'une stricte préoccupation pour la connaissance et pour l' objectivation méthodique. «Le «moment cartésien» [...] joue de deux façons en requalifiant philosophiquement le gnôthi seauton (connais-toi toi-même) et en disqualifiant au contraire Y epimeleia heauton (souci de soi).»11 Aucune ascèse, aucune conversion ou transformation de soi, aucun exercice spirituel de perfectionnement de soi ou meletai12 n'est plus nécessaire. La vérité cartésienne se donne automatiquement dans sa pleine objectivité à celui qui applique la méthode intellectuelle. «Le passage de l'exercice spirituel à la méthode intellectuelle est évidemment fort clair chez Descartes.»13 Cette intellectualisation du savoir de soi ou cette objectivation du sujet a eu, en outre, pour conséquence de favoriser l'exclusion de tout ce qui est jugé inapte à la vérité rationnelle (le fou, le malade, le délinquant, le criminel, etc.). Ce dont le Foucault «archéologue» et «généalogiste» s'est occupé en analysant la dynamique d'exclusion inhérente aux discours des XVIIe, xvme et XIXe siècles. La boucle est bouclée, pourrait-on dire, puisque l'étude du soi reconduit le dernier Foucault des Grecs à Descartes, c'est- à-dire là d'où son œuvre était partie avec V Histoire de la folie. 10 DÉ IV, p. 413. Foucault projetait de pousser plus loin son étude de la relation du christianisme au souci de soi. Cette recherche qui n'a finalement pas vu le jour et à laquelle Foucault avait déjà donné le titre de Les aveux de la chair (DE IV, p. 385, 546, 611) lui aurait peut-être permis de clarifier sa position face à la phénoménologie qui a, comme on le sait, réservé une place importante à la notion de «chair». 11 HS p. 15. L'évocation du «moment cartésien» situé dans le contexte des analyses du souci de soi constitue l'une des grandes nouveautés de L'herméneutique du sujet par rapport aux trois tomes de V Histoire de la sexualité. 12 Les moletai, étymologiquement familiers de Y epimeleai, sont distincts à la fois de la meditatio comme exercice d'identification et de la variation eidétique comme moyen de connaissance (HS, p. 340). 13 HS uploads/Philosophie/ les-sources-heideggeriennes-de-la-notion-d-x27-existence-chez-le-dernier-foucault-pdf.pdf

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