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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2002 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 jan. 2020 17:02 Études françaises Derrida, lecteur de Freud et de Lacan René Major Derrida lecteur Volume 38, numéro 1-2, 2002 URI : https://id.erudit.org/iderudit/008398ar DOI : https://doi.org/10.7202/008398ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Major, R. (2002). Derrida, lecteur de Freud et de Lacan. Études françaises, 38 (1-2), 165–178. https://doi.org/10.7202/008398ar Résumé de l'article Dès les commencements de son travail philosophique et tout au long de son oeuvre, depuis « Freud et la scène de l’écriture » (dans L’écriture et la différence), « Spéculer — sur “Freud” », « Le facteur de la vérité » (dans La carte postale), jusqu’à Résistances — de la psychanalyse, Mal d’Archive et États d’âme de la psychanalyse, Derrida n’a jamais « oublié » la psychanalyse. Contre une doxa philosophique vouée à la plate restauration de l’autorité de la conscience et d’un vieux principe de raison, Derrida n’a cessé de penser l’ébranlement opéré par Freud, puis Lacan, par le décentrement de cette conscience. Son rapport à la psychanalyse est en ce sens originaire et original, à la fois de tension et d’ouverture, ce qui implique en retour que la psychanalyse ne saurait forclore les voies frayées par les lectures derridiennes sans s’oublier elle-même. L’auteur analyse ici les échanges en jeu dans ce double rapport, montrant comment la « logique » de l’inconscient et les « concepts » freudiens sont essentiels à la pensée de la trace et de la différance, mais aussi comment la lecture de Derrida se révèle nécessaire à de nouvelles avancées de la psychanalyse, insistant notamment sur l’importance de la désistance du sujet pour penser la responsabilité depuis l’inconscient aujourd’hui. Derrida, lecteur de Freud et de Lacan Dans un texte du début des années quatre-vingt-dix1, Jacques Derrida pose la question de façon pressante: « On voudrait nous faire oublier la psychanalyse. Oublierions-nous la psychanalyse ?», en s’inquiétant des symptômes produits par l’oubli déjà à l’œuvre dans l’opinion philoso- phique et dans l’opinion publique en général. Sans compter ce qui s’observe du même ordre — l’ordre de l’oubli — dans le champ psycha- nalytique lui-même et dans ses institutions: Une inquiétude devant ce que j’appellerais de façon vague et flottante (mais la chose est essentiellement vague, elle vit d’être flottante et sans contour arrêté), l’air du temps philosophique, celui que nous respirons ou celui qui peut donner lieu à des bulletins de la météorologie philosophique. Or que nous disent les bulletins de cette doxa philosophique? Que, auprès de nombreux philosophes et d’une certaine «opinion publique », autre ins- tance vague et flottante, la psychanalyse n’est plus à la mode, après l’avoir été démesurément, à la mode, après avoir, dans les années /, repoussé la philosophie loin du centre, obligeant le discours philosophique à comp- ter avec une logique de l’inconscient, au risque de se laisser déloger de ses certitudes les plus fondamentales, au risque de souffrir l’expropriation de son sol, de ses axiomes, de ses normes et de son langage, bref de ce que les philosophes considéraient comme la raison philosophique, la décision . Jacques Derrida, «Let us not forget — Psychoanalysis», The Oxford Literary Review, «Psychoanalysis and Literature», vol. XII, nos -, . Ce texte est inédit en français. Il est extrait de l’introduction de Derrida à une conférence que je prononçais le décem- bre dans l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne à Paris sous le titre « La raison depuis l’inconscient». Cette conférence faisait partie du forum «Penser à présent» orga- nisé par le Collège International de Philosophie. Elle est publiée dans Lacan avec Derrida (Paris, Mentha, ; Paris, Flammarion, coll. « Champs », ). • , - philosophique même, au risque de souffrir, donc, l’expropriation de ce qui, associant cette raison, bien souvent, à la conscience du sujet ou du moi, à la représentation, à la liberté, à l’autonomie, semblait aussi garantir l’exercice d’une authentique responsabilité philosophique. Le décentrement de la conscience opéré par Freud — que la cons- cience ne soit plus maîtresse en la demeure, qu’elle soit largement sou- mise à des forces obscures qu’elle ignore — et la nécessité que l’histoire de la raison s’en trouve elle-même ré-interprétée ne prirent sans doute leur véritable portée, en France puis dans les pays latins et anglo- saxons, qu’avec l’enseignement de Lacan qui sut porter la question dans le monde littéraire et philosophique. Ce monde en fut sérieuse- ment ébranlé au point où l’on commençât à parler de la fin de la philo- sophie. Certains, dont Derrida — et pour lui de la façon la plus évidente et la plus éminente —, ne pensaient déjà pas ou déjà plus sans la psychanalyse, tout en lui demandant sans cesse raison. D’autres devaient s’employer à oublier cette troublante remise en cause en ten- tant de restaurer une pensée qui ne tienne pas compte des avancées freudiennes. Je poursuis la citation : Ce qui s’est passé, dans l’air du temps philosophique, si je me risque à le caractériser de façon massive et macroscopique, c’est qu’après un moment d’angoisse intimidée, certains philosophes se sont ressaisis. Et aujourd’hui, dans l’air du temps, on commence à faire comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé, comme si la prise en compte de l’événement de la psychanalyse, d’une logique de l’inconscient, de « concepts inconscients», même, n’était plus de rigueur, n’avait même plus sa place dans quelque chose comme une histoire de la raison : comme si on pouvait continuer tranquillement le bon vieux discours des Lumières, revenir à Kant, rappe- ler à la responsabilité éthique ou juridique ou politique du sujet en restau- rant l’autorité de la conscience, du moi, du cogito réflexif, d’un « Je pense» sans peine et sans paradoxe ; comme si, dans ce moment de restauration philosophique qui est l’air du temps, car ce qui est à l’ordre du jour, à l’ordre moral de l’ordre du jour, c’est une espèce de restauration honteuse et bâclée, comme s’il s’agissait donc de mettre à plat les exigences dites de la raison dans un discours purement communicationnel, informationnel et sans pli ; comme s’il redevenait légitime, enfin, d’accuser d’obscurité ou d’irrationalisme quiconque complique un peu les choses à s’interroger sur la raison de la raison, sur l’histoire du principe de raison ou sur l’événe- ment, peut-être traumatique, que constitue quelque chose comme la psy- chanalyse dans le rapport à soi de la raison. La psychanalyse, c’est ce que Derrida, lui, n’oublie jamais. Il a avec elle un lien originaire comme avec sa langue maternelle. Ce qui ne veut pas dire un lien univoque. L’une et l’autre lui résistent, comme il résiste à l’une et à l’autre. Comme pour la langue maternelle, le rap- port à l’inconscient, que met en œuvre la psychanalyse, me demeure toujours à la fois étranger et familier. Il n’y a pas de rapport à l’incons- cient qui ne soit un rapport tendu, un rapport de résistance. Mais la résistance n’est ni l’oubli ni la négation. L’inconscient ne s’approche que dans la résistance, tant la résistance est à la psychanalyse ce que l’air est à la colombe de Kant. Il n’y a pas d’envol possible sans la résis- tance de l’air. Comme le souligne Geoffrey Bennington, les rapports qu’entretient la pensée de Derrida avec la psychanalyse sont originaux à plus d’un titre. Ils sont originaux au sens où ils sont propres à lui. Personne d’autre n’a les mêmes rapports que lui à la psychanalyse. Ils le sont aussi au sens où les rapports que son œuvre entretient avec la pensée de Freud, ou avec celle de Lacan, ont une singularité propre au regard des rapports que cette même œuvre entretient avec d’autres penseurs. Ils le sont enfin au sens où les rapports de Derrida avec Freud sont d’origine, sont à l’origine, dès le départ; il n’y aurait pas eu, il n’y a pas Derrida sans Freud2. En contrepartie, les voies frayées par les lectures derridiennes de l’œuvre de Freud et de l’œuvre de Lacan sont devenues des voies que la psychanalyse ne saurait oublier ou forclore. Sous peine de s’oublier elle-même. Dès le départ de son travail de déconstruction du logocentrisme et de son analyse du refoulement de l’écriture depuis Platon comme mode de constitution du savoir occidental, Derrida trouve en Freud un puissant allié. Bien que les concepts dont il use appartiennent à l’his- toire de la métaphysique, qu’ils sont forgés à même la matière langa- gière uploads/Philosophie/ derrida-lecteur-de-freud-et-de-lacan-rene-major.pdf
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- Publié le Nov 15, 2022
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