Langue française Du discours au discours par l'usage : pour une problématique d

Langue française Du discours au discours par l'usage : pour une problématique de l'exemple Alain Rey Abstract Alain Rey : Towards a problematics of the example. Starting from a selection of texts and/or spoken language, dictionaries cannot but extract (exemplum), show or illustrate (paradigma), and quote (citatio) phrases and sentences that are supposed to represent a language ; in fact they construct an ideal state of language properly called a norm. Examples and illustrations in dictionaries constitute the core of their more or less creative aspect in politics. With definitions and semantic analysis which are often inspired by examples, illustration and quotation form their main witnesses of cultural ideology. French lexicography, in particular, is linked to social and cultural values as these are embodied in literature, which comprises in fact only a very small part of the total speech (Saussurean « parole ») in a language. Thus, the choice of examples dictionaries make is one of the best possible ways to understand how a society chooses to construct its own linguistic model and norm. Examples and illustrations in dictionaries constitute the core of their more or less creative aspect in politics. With definitions and semantic analysis which are often inspired by examples, illustration and quotation form their main witnesses of cultural ideology. French lexicography, in particular, is linked to social and cultural values as these are embodied in literature, which comprises in fact only a very small part of the total speech (Saussurean « parole ») in a language. Thus, the choice of examples dictionaries make is one of the best possible ways to understand how a society chooses to construct its own linguistic model and norm. Citer ce document / Cite this document : Rey Alain. Du discours au discours par l'usage : pour une problématique de l'exemple. In: Langue française, n°106, 1995. L'exemple dans le dictionnaire de langue Histoire, typologie, problématique. pp. 95-120; doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1995.6446 https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1995_num_106_1_6446 Fichier pdf généré le 05/05/2018 Alain REY DU DISCOURS AU DISCOURS PAR L'USAGE : POUR UNE PROBLÉMATIQUE DE L'EXEMPLE Dans un essai de typologie des dictionnaires *, j'adoptais comme point de départ l'idée que le discours lexicographique, dont l'objectif est non pas de donner une image, même partielle et déformée, d'une langue, mais une image de certains usages de cette langue, était issu de procédures heuristiques et didactiques portant sur un discours premier, réalisé ou virtuel. Ce discours-source, formé de la totalité théorique de la parole saussurienne pour un système linguistique donné 2, est en pratique réduit à un corpus fini ou à un ensemble indéterminé d'énoncés (observés, modifiés ou produits ad hoc). Dans le premier cas, un corpus sélectionné fournit par extraction, puis par mise en mémoire un stock d'énoncés et de fragments d'énoncés déterminés par un choix-découpage. Ces énoncés sont restitués dans le contexte spécifique du dictionnaire. Dans le second, le discours source est virtuel ; c'est l'aptitude discursive (une « compétence », si l'on veut) qui produit, selon des stratégies propres, une production « exemplifiante ». Le premier univers est celui de la philologie ; le second, celui d'une pratique didactique et rhétorique propre au dictionnaire. Dans les deux cas, on part du discours ou de la diseur sivité dans une langue, en faisant agir de nombreux cribles, et on va vers cet autre discours, sé- miotiquement complexe, hétérogène, démonstratif, idéologique-culturel, didactique et passablement pervers qu'est le discours lexicographique, responsable du texte des dictionnaires de langue. Ce n'est pas seulement l'histoire des théories linguistiques qui peut en rendre compte, mais celle des théories et des pratiques langagières, didactiques, encyclopédiques, rhétoriques — et bien d'autres, jusqu'aux politiques de la langue. Extraire, montrer, invoquer En France, l'exemple de dictionnaire a été étudié notamment par Quemada, Dubois, Rey-Debove, R. Martin, sans parler des études spécifiques. Ces études 1. « Typologie génétique des dictionnaires » in Le Lexique, images et modèles, A. Colin, 1977. 2. Concept étudié par Klaus Heger sous le nom de « sigma parole » — cf. Heger К., 1968 : « Sémantique et dichotomie de langue et parole » : Travaux de linguistique et de littérature, Strasbourg, n° VII- 1, p. 47 et sq. 95 restent en général valables et leurs points de vue complémentaires (philologique, historique, socio-didactique, sémio tique. . . ) leur permettent d'aborder la plupart des problèmes de Г exemplification dans les dictionnaires de langue (ceux que posent les ouvrages encyclopédiques sont profondément différents). Cependant, le concept d'exemple, pris généralement, s'inscrit dans une longue tradition, essentiellement rhétorique et en partie juridique. Le rappeler permet de dégager un arrière-plan qui n'a jamais disparu des problématiques modernes, mais qui a souvent été occulté. I. Le mot et la notion 1. Le mot Le latin exemplum apparaît avec une valeur concrète. Tout d'abord il désigne un échantillon, une copie exacte, et notamment un objet choisi dans une collection ou une catégorie, objet qui est isolé et montré pour servir de modèle. De là le sens second de « modèle à imiter ». Le mot vient de eximere, au supin exemptum, « extraire, retirer (d'un ensemble) ». C'est un préfixé de emere « prendre », puis « acheter ». En emploi abstrait, exemplum est utilisé en rhétorique et sert alors d'équivalent au grec paradigma, plus technique et toujours abstrait, et qui vient de para-deigma, du verbe deiknunai « montrer ». Ces indications ne suggèrent pas une quelconque « preuve par l'étymologie » , mais rappellent deux concepts sources : paradigma « ce qui est montré » , exemplum « ce qui est extrait » , alors que citatio correspond à « ce qui est appelé, invoqué ». Ces trois concepts jouent encore dans le sémantisme A"1 exemple (et dans celui de citation), quelles que soient ses applications particulières. En français, esemple, attesté au XIe s., refait savamment en exemple, est d'abord attesté pour « nouvelle, bruit qui se répand » et « récit tirant un enseignement moral d'un fait ». Ces valeurs archaïques font la synthèse entre deux types de fonctions exemplifiantes : une fonction narrative, rhétorique et informative, et une fonction pédagogique et morale. Elles évoquent d'une part un univers de discours, de l'autre une valeur sémantique informative et didactique. A partir du XIIe s. , on se rapproche du sens moderne qui est surtout moral et didactique. Des extensions surviennent dès l'ancien français où exemple s'applique aussi à une personne digne d'être imitée (fin XIIe s.) ainsi qu'à un châtiment servant de 96 leçon (1381). L'accent est alors mis sur les effets, sur la finalité de l'exemple, sur un contenu pragmatique en rapport avec l'imitation et avec l'action corrective (punition et peine à effet éthique). Le contexte culturel est évidemment chrétien ; alors Vexemplum est à la fois un signe et un moyen d'action pour assurer le règne du divin (cf. Г Imitation de Jésus-Christ). Dans l'état actuel de nos connaissances, le mot ne s'applique à un passage de texte cité pour servir d'attestation qu'au XVIe s. (1573, Dictionnaire français- latin de R. Estienne : Woolridge 3). La valeur d'exemple-modèle semble ne se répandre, surtout en grammaire, qu'au milieu du XVIIe s. Un peu plus tard, on dit une exemple pour désigner un modèle d'écriture donné aux écoliers (« terme de Maître à écrire », dit Richelet). Dans la langue classique, on trouve surtout, en matière de dictionnaire, les termes autorité, citation et phrase tirée des Auteurs. Ainsi, Richelet ne mentionne pas le sens linguistique de exemple, sous cette entrée. Notre emploi actuel d'exemple — en matière de dictionnaires — semble à la fois une spécialisation du sens général (servir d'exemple à..., phrase dont on trouve un exemple dans...), et une extension de l'usage des grammairiens. En outre, l'opposition entre la notion de « citation » (le terme citation étant plus ancien qu'exemple, dans ce contexte) et celle d'« exemple forgé », a dû inciter à employer le mot exemple pour servir de générique. Par ailleurs, la linguistique du XVIIe siècle ne fait pas clairement l'opposition entre les éléments complexes (au-delà du mot) mais codés et ce qu'on peut aujourd'hui nommer les « exemples libres ». L'ensemble est souvent désigné par l'expression « les phrases reçues » 4 qui s'applique à la fois à des éléments du système de la langue (locutions, etc.) et aux modèles littéraires de bon usage, incarnés dans des énoncés (appelés « phrases ») qui sont pour nous des « exemples ». Au moins jusqu'au milieu du XVIIIe s. , exemple reste imprégné de la conceptualisation dominante d'exemplum, qui est celle des grands rhétoriciens latins : au premier chef Cicéron et Quintilien. Aussi n'est-il pas inutile de rappeler l'économie du concept antique de l'exemplum, qui s'inscrit en logique dans Vinductio et en rhétorique dans la probatio. 2. Notion générale : logique et rhétorique Dès l'antiquité, l'« exemple » s'applique à la rhétorique, à la dialectique et à la morale, fréquemment appliquées au domaine juridique. 3. Comme le note T. R. Woolridge ici même, la valeur du terme est alors plus large qu'aujourd'hui : c'est que l'exemple n'y est pas forcément exemple-de-forme linguistique, mais uploads/Philosophie/ du-discours-au-discours-par-l-x27-usage-pour-une-problematique-de-l-x27-exemple.pdf

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