- 1 - LE LANGAGE , L’INTELLECTUEL, ET LE POUVOIR A PARTIR DU KITÂB AL IMTÂì WA-

- 1 - LE LANGAGE , L’INTELLECTUEL, ET LE POUVOIR A PARTIR DU KITÂB AL IMTÂì WA- l-MUîÂNASA (Le Livre de la saveur procurée par le plaisir de se trouver en société agréable) DE ABÛ ©AYYÂN AL-TAW©ÎDÎ Thèse pour le Doctorat présentée par Pierre-Louis REYMOND Sous la direction de Messieurs les Professeurs Joseph DICHY et Hassan HAMZE *2003* - 2 - - 3 - Cet ouvrage est la version remaniée d’une thèse soutenue le 9 décembre 2003 à l’ université Lumière Lyon 2 devant un jury composé de : Monsieur Joseph Dichy, professeur à l’Université Lumière Lyon 2, codirecteur de thèse Monsieur Hassan Hamzé, professeur à l’université Lumière Lyon 2, codirecteur de thèse Monsieur Dominique Mallet, professeur à l’université Michel de Montaigne Bordeaux 3, président du Jury Monsieur Hammadi Sammoud, professeur à l’université de la Manouba à Tunis (Tunisie) Monsieur Michel Barbot, professeur à l’université March Bloch, Strasbourg 2 - 4 - Avertissement L’examen des questions qui concernent le langage dans le Kitâb al- Imtâì wa-l-Muîânasa est très éloigné des considérations linguistiques pour lesquelles le langage se présente comme un instrument codifié qui obéit à des règles grammaticales, morphologiques, syntaxiques. C’est dans une démarche de la pensée, une vision de la culture, et pour tout dire, du monde, que s’ancrent les grands textes de notre auteur qui a son mot à dire sur des questions décisives dans un modèle de culture. Ce travail s’attache à commenter, en se demandant en quoi ils peuvent être significatifs de l’élaboration d’une pensée du langage chez Abû Hayyân al Tawhidi, une série de textes représentatifs de l’interaction entre le langage, l’intellectuel et le pouvoir, principalement tirés de l’œuvre majeure de Tawhîdî : le Kitâb al Imta wal-Mu anasa. Poser la question du langage telle qu’elle est abordée par Abû Hayyân al-Tawhîdî est indissociable d’une interrogation de fond : à cette époque charnière de la réflexion critique qui se caractérise par la généralisation de ces lieux de diffusion du savoir tenus par les savants et les princes1 : les assemblées cultivées –les ma¶ålis, Tawhîdî se demande quel modèle de culture est le plus adéquat pour le libre exercice de la pensée. La place du langage dans les écrits de Tawhîdî ne relève pas d’une interrogation abstraite et générale ; elle émerge de son époque qu’elle critique, dans le double sens double d'examiner et de porter un jugement sur une période, un milieu et une mentalité. Nous sommes là face à un contexte culturel qui 1 On peut être l’un et l’autre, l’exemple d’Ibn Saìdån, le mentor d’Abu Hayyân. - 5 - requiert, pour se pénétrer correctement de la conception de la maîtrise et de l’usage du langage dans un ouvrage tel que le Imtâ ‘, une connaissance préalable des enjeux qui ont concerné une époque, elle-même façonnée par une tradition. Au IVème/Xème siècle, un problème général se pose sur le plan de la pensée, duquel découlent plusieurs problématiques qui ressortissent au langage, envisagé à la fois dans son statut, sa forme et sa fonction. Car l'institution, qui est le référent par excellence au sein duquel la parole et le discours prennnent place dans l’œuvre, est le lieu de la discussion intellectuelle où les savants ont à prendre le temps d’exposer leurs idées et de les confronter. Pour une analyse de la question du langage, la conséquence est immédiate, c’est le problème de l’argumentation qui se trouve ainsi posé, on ne peut éviter de se demander comment s’exprimer dans l'enceinte du pouvoir, puisque tout intellectuel de l'époque possédant une certaine notoriété, à l’instar de ceux présents aux grandes assemblées cultivées ou ma¶lis qui se tiennent au temps d’Abû Hayyân y est, d'une manière ou d'une autre, rattaché. Au premier chef des objets de débat qui découlent, finalement, de la quête d'un modèle d’éloquence, se pose, pour l’intellectuel qui s’exprime, fonctionnaire de l’administration ou homme de lettres, autrement dit, pour l’intellectuel face au langage, la question de sa formation. Dans ce contexte, deux préoccupations indissociables sont urgentes : la mise en place d’un modèle d’expression, et la revendication d'un modèle de culture, entendue comme relation au savoir construite sélectivement autour d’ un certain nombre de disciplines, dans le but de garantir un savoir faire. Ceci impose un programme de réflexion qui doit conduire à la naissance d’une pensée du langage . C’est le second volet du problème posé à l’intellectuel face à l’institution : il se pose sur le plan de la pensée et concerne la nature des savoirs à prendre en compte dans la conception d’un modèle d’expression de - 6 - la pensée, donc d'expression de l'opinion, donc un modèle de culture. Celui-ci fonde une problématique propre à l’œuvre de Tawhîdî : une problématique du langage de l'intellectuel, face à lui-même, face à ses semblables et face au pouvoir . La logique, la grammaire, la rhétorique, les disciplines du discours s’inscrivent, dans le Imtâì, dans une discussion générale qui situe le langage par rapport aux problèmes fondamentaux que se pose l’intellectuel de l’époque d’Abû Hayyân : la place des disciplines du savoir : littérature, philosophie, mais aussi maîtrise du discours, orale et écrite, dans une vision de l’homme et du monde. De ces trois axes de réflexion qui forment la base à partir de laquelle se construisent les séances de discussions qui se tiennent dans le Imtâì‘ naissent, pour le langage, tel qu’il se présente dans le projet humaniste de Tawhîdî, des orientations cruciales. Introduction Générale : les problématiques de la question du langage dans le Imtâì Notre angle d'analyse du Kitâb al Imtâ' wa-l-Mû'anasa, tout au long de cet ouvrage, se tiendra à cet objectif : montrer ce qui est entendu par ce qu'il est possible d'appeler la dialectique du savoir et du pouvoir, dans l'oeuvre de Tawhîdî, dans le Kitâb al Imtâ' al Mu'ânasa, et au travers d'excursions dans d'autres oeuvres, au premier rang desquelles les Muqâbasât. En effet, toute l'entreprise de Tawhîdî est de poser la grande question du rapport complexe du savant et du souverain, dans un milieu où l'homme de lettres est aussi un homme politique. L'exemple de Tawhîdî, on le sait, ne manque pas de nous éclairer à ce sujet, ce qu'il nous a confié lui-même de son expérience - 7 - personnelle de la fréquentation des vizirs est sans doute une des illustrations les plus éloquentes de cette intrication lourde de conséquences entre l'homme de lettres et de l'homme de cour. Toute la question, sans doute, d'ailleurs, la seule qui ait véritablement motivé les choix d'écriture de Tawhîdî, est celle de la possibilité d’un mode d'existence autonome du penseur qui ne soit pas l’obligé du souverain, sous peine, ni plus ni moins, de ne pouvoir exister. Cela est à coup sûr la raison d'être de cet ouvrage, le Kitâb al Imtâ' wa-l-Mû'anasa, titre que nous proposons de traduire par : Le Livre de la saveur procurée par le plaisir de se trouver en société agréable; titre, également, qui, pour faire l'éloge de la délectation qu'il y a à échanger sur ce que l'on sait, laisse paraître une perspective peut-être moins immédiatement lisible mais, en vérité, capitale : l'idée que la saveur procurée par la discussion savante de bonne tenue n'est pas une fin en soi, la fin en soi, étant plutôt de modifier la conception et l'exercice du pouvoir par le savoir. Notre analyse portera, prioritairement, sur l'une des faces de cette dialectique : celle qui prend appui sur le savoir, comme bagage culturel et comme outil critique, pour réinventer une conception du pouvoir. Et notre analyse portera exclusivement sur ce savoir pour autant qu'il se manifeste comme enjeu d'une problématique de langage. Le champ ouvert par une telle perspective est vaste parce que, dans une analyse du Kitâb al Imtâ ' qui fait de la question du langage l'élément variateur de sa problématique , c'est la parole qui est la clé de voûte de la démarche critique. Le savoir est ici débattu et mis en question sur le mode de l'oralité, et le langage, comme le note Abû Hayyân lui même dans une formule très juste, '' s'enroule sur soi et est pour lui-même une source de quiproquos'' (al kalâm yadûru ‘ala nafsihi wa yaltabisu ba (Imtâ' II) Toute la difficulté réside dans le croisement, ici, du langage objet d'analyse avec la pratique du langage, propre à tout discours. Autrement dit, le discours du savant se pose comme un modèle à construire prisonnier d'une - 8 - double contrainte : l'élaboration d'un discours sur le savoir, et en même temps, l'élaboration d'un discours sur le discours. Et cela, on l'a dit, selon les modalités requises par le contexte de l'époque, celui d'une fusion totale entre les savants de l'assemblée cultivée et le souverain. - 9 - A quelles problématiques du langage avons-nous affaire dans le Imtâ '? Langage et logique Une première problématique du langage se pose dans cet ouvrage, il s’agit de la question des rapports entre la langue et la philosophie, posée par la conception de la logique. La question est moins entendue au niveau uploads/Philosophie/ these-texte-integral-format-pdf.pdf

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