Émile Durkheim (1914) « Le dualisme de la nature humaine et ses conditions soci

Émile Durkheim (1914) « Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales. » Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, Professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec et collaboratrice bénévole Courriel: mailto:mabergeron@videotron.ca Site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm Émile Durkheim (1914), « Le dualisme de la nature humaine…» 2 Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraie de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec courriel: mailto:mabergeron@videotron.ca site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin à partir de : Émile Durkheim (1914) « Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales. » Une édition électronique réalisée à partir de l'article d’Émile Durkheim « Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales » — Scientia, XV, 1914, pp. 206-221. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition complétée le 28 mai 2002 à Chicoutimi, Québec. Émile Durkheim (1914), « Le dualisme de la nature humaine…» 3 Le dualisme de la nature humaine et ses conditions sociales Par Émile Durkheim (1914) Bien que la sociologie se définisse la science des sociétés, en réalité, elle ne peut traiter des groupes humains, qui sont l'objet immédiat de sa recherche, sans atteindre finalement l'individu, élément dernier dont ces groupes sont composés. Car la société ne peut se constituer qu'à condition de pénétrer les consciences individuelles et de les façonner « à son image et ressemblance » ; sans vouloir dogmatiser avec excès, on peut donc dire avec assurance que nombre de nos états mentaux, et des plus essentiels, ont une origine sociale. Ici, c'est le tout qui, dans une large mesure, fait la partie ; par suite, il est impossible de chercher à expliquer le tout sans expliquer la partie, au moins par contrecoup. Le produit par excellence de l'activité collective, c'est cet ensemble de biens intellectuels et moraux qu'on appelle la civilisation ; c'est pourquoi Auguste Comte faisait de la sociologie la science de la civilisation. Mais, d'un autre côté, c'est la civilisation qui a fait de l'homme ce qu'il est ; c'est elle qui le distingue de l'animal. L'homme n'est un homme que parce qu'il est civilisé. Chercher les causes et les conditions dont la civilisation dépend, c'est donc chercher aussi les causes et les conditions de ce qu'il y a, dans l'homme, de plus spécifiquement humain. C'est ainsi que la sociologie, tout en s'appuyant sur la psychologie dont elle ne saurait se passer, lui apporte, par un juste retour, une contribution qui égale et dépasse en importance les services Émile Durkheim (1914), « Le dualisme de la nature humaine…» 4 qu'elle en reçoit. C'est seulement par l'analyse historique qu'on peut se rendre compte de quoi l'homme est formé ; car c'est seulement au cours de l'histoire qu'il s'est formé. L'ouvrage que nous avons récemment publié sur les Formes élémentaires de la vie religieuse permet d'illustrer par un exemple cette vérité générale. En cherchant à étudier sociologiquement les phénomènes religieux, nous avons été amené à entrevoir une façon d'expliquer scientifiquement une des particu- larités les plus caractéristiques de notre nature. Comme, à notre grande sur- prise, le principe sur lequel repose cette explication ne paraît pas avoir été aperçu par les critiques qui, jusqu'à présent, ont parlé de ce livre, il nous a paru qu'il pourrait y avoir quelque intérêt à l'exposer sommairement aux lecteurs de Scientia I Cette particularité, c'est la dualité constitutionnelle de la nature humaine. De cette dualité, l'homme lui-même a eu, de tout temps, le vif sentiment. Partout, en effet, il s'est conçu comme formé de deux êtres radicalement hété- rogènes : le corps, d'un côté, l'âme de l'autre. Alors même que l'âme est repré- sentée sous forme matérielle, la matière dont elle est faite passe pour n'être pas de la même nature que le corps. On dit qu'elle est plus éthérée, plus subtile, plus plastique, qu'elle n'affecte pas les sens comme les objets propre- ment sensibles, qu'elle n'est pas soumise aux mêmes lois, etc. Non seulement ces deux êtres sont substantiellement différents, mais ils sont, dans une large mesure, indépendants l'un de l'autre, souvent même en conflit. Pendant des siècles, on a cru que l'âme pouvait, dès cette vie, s'échapper du corps et mener au loin une existence autonome. Mais c'est surtout à la mort que cette indé- pendance s'est toujours affirmée le plus nettement. Alors que le corps se dis- sout et s'anéantit, l'âme lui survit, et dans des conditions nouvelles, elle pour- suit, pendant un temps plus ou moins long, le cours de ses destinées. On peut même dire que, tout en étant étroitement associés, l'âme et le corps n'appar- tiennent pas au même monde. Le corps fait partie intégrante de l'univers matériel, tel que nous le fait connaître l'expérience sensible ; la patrie de l'âme est ailleurs, et l'âme tend sans cesse à y retourner. Cette patrie, c'est le monde des choses sacrées. Aussi est-elle investie d'une dignité qui a toujours été refu- sée au corps ; alors que celui-ci est considéré comme essentiellement profane, elle inspire quelque chose de ces sentiments qui sont partout réservés à ce qui est divin. Elle est faite de la même substance que les êtres sacrés : elle ne diffère d'eux qu'en degrés. Une croyance aussi universelle et aussi permanente ne saurait être pure- ment illusoire. Pour que, dans toutes les civilisations connues, l'homme se soit senti double, il faut qu'il y ait en lui quelque chose qui ait donné naissance à Émile Durkheim (1914), « Le dualisme de la nature humaine…» 5 ce sentiment. Et en effet, l'analyse psychologique vient le confirmer : au sein même de notre vie intérieure, elle retrouve la même dualité. Notre intelligence comme notre activité présentent deux formes très diffé- rentes : il y a les sensations 1 et les tendances sensibles d'un côté, la pensée conceptuelle et l'activité morale de l'autre. Chacune de ces deux parties de nous-même gravite autour d'un pôle qui lui est propre et ces deux pôles ne sont pas seulement distincts, ils sont opposés. Nos appétits sensibles sont nécessairement égoïstes, ils ont pour objet notre individualité et elle seule. Quand nous satisfaisons notre faim, notre soif, etc., sans qu'aucune autre ten- dance soit en jeu, c'est nous-même et nous seul que nous satisfaisons 2. Au contraire, l'activité morale se reconnaît à ce signe que les règles de conduite auxquelles elle se conforme sont susceptibles d'être universalisées ; elle pour- suit donc, par définition, des fins impersonnelles. La moralité ne commence qu'avec le désintéressement, l'attachement à autre chose que nous- même 3. Même contraste dans l'ordre intellectuel. Une sensation de couleur ou de son tient étroitement à mon organisme individuel et je ne puis l'en détacher. Il m'est impossible de la faire passer de ma conscience dans la conscience d'au- trui. Je peux bien inviter autrui à se mettre en face du même objet et à en subir l'action, mais la perception qu'il en aura ainsi sera son œuvre et sera sienne, comme la mienne m'est propre. Au contraire, les concepts sont toujours com- muns à une pluralité d'hommes. Ils se constituent grâce aux mots ; or, le vocabulaire comme la grammaire d'une langue ne sont l'œuvre ni la chose de personne en particulier ; ils sont le produit d'une élaboration collective et ils expriment la collectivité anonyme qui les emploie. La notion d'homme ou d'animal ne m'est pas personnelle ; elle m'est, dans une large mesure, com- mune avec tous les hommes qui appartiennent au même groupe social que moi. Aussi, parce qu’ils sont communs, les concepts sont-ils l'instrument par excellence de tout commerce intellectuel. C'est par eux que les esprits com- munient. Sans doute, chacun de nous individualise, en les pensant, les concepts qu'il reçoit de la communauté, les marque de son empreinte person- nelle ; mais il n'est pas de chose personnelle qui ne soit susceptible d'une individualisation de ce genre 4. Ces deux aspects de notre vie psychique s'opposent donc l'un à l'autre comme le personnel à l'impersonnel. Il y a, en nous, un être qui se représente 1 Aux sensations, il faudrait ajouter les images ; mais, comme celles-ci ne sont que les sen- sations se survivant à elles-même, il nous paraît inutile de les mentionner séparément. II en est de même de ces conglomérats d'images et de sensations que sont les perceptions. 2 II y a, sans doute, des penchants égoïstes qui n'ont pas pour objet des choses matérielles. Mais les appétits sensibles sont le type, par excellence, des tendances égoïstes. Nous uploads/Philosophie/ dualisme-nature-humaine.pdf

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