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1 COMMENT TENIR COMPTE DES EMOTIONS DU CONSOMMATEUR - Article publié dans la Revue Française de Gestion, n°134, 2001, pp. 47-60 Jean-François Lemoine Professeur des Universités IAE Nantes E.Mail : lemoine@iae.univ-nantes.fr - Résumé Si l’influence de la situation d’achat sur le comportement du consommateur est admise, les problèmes quant au choix d’une mesure objective ou subjective de cette variable se posent toujours. Dans le but de montrer que l’approche objective et subjective du contexte d’achat fournissent des informations complémentaires sur les agissements de l’individu, nous avons mené une étude empirique auprès de 200 acheteurs de chocolat en tablettes. A l’issue de cette dernière, nous sommes en mesure de confirmer, tout d’abord, que l’importance accordée aux attributs du bien lors de l’achat, de même que les émotions ressenties par le sujet au moment du choix du produit varient selon la situation d’achat. Enfin, il apparaît que les états affectifs de l’individu lors de l’acquisition de l’article influencent l’intérêt que ce dernier accorde aux caractéristiques du bien. 2 COMMENT TENIR COMPTE DES EMOTIONS DU CONSOMMATEUR INTRODUCTION Si le rôle des variables situationnelles dans l’explication du comportement du consommateur n’est plus à démontrer, les difficultés méthodologiques liées à leurs mesures restent toujours d’actualité. Plus précisément, le délicat arbitrage entre une définition objective ou subjective de ce concept continue à soulever de multiples interrogations tant chez les gestionnaires que chez les chercheurs en marketing soucieux de fournir une interprétation aussi précise que possible des agissements des individus. Tandis que l’approche objective se propose de décrire toute situation à l’aide de cinq composantes (l’environnement physique, l’environnement social, la perspective temporelle, la définition des rôles et les états antérieurs propres à l’individu), l’approche subjective, pour sa part, privilégie les ressentis du sujet dans le contexte à travers l’étude des émotions situationnelles. Traditionnellement présentées comme opposées dans la plupart des études, ces deux manières d’appréhender la variable contextuelle nous semblent, au contraire, complémentaires. Ainsi, si la situation influence le comportement du consommateur, nous pensons qu’il en est également de même en ce qui concerne la perception que ce dernier a de cette variable. Dans un tel cas, le recours à une mesure conjointe de la dimension objective et subjective de ce concept apparaît comme préférable à une solution qui vise à maintenir l’indépendance entre ces deux approches. Afin de démontrer l’intérêt d’intégrer simultanément ces deux types de situations dans une même étude, nous nous proposons d’effectuer une recherche exploratoire visant à rendre compte du comportement du consommateur lors de l’acquisition d’un bien spécifique. Sur un plan théorique, l’objectif de cet article est de proposer un cadre d’analyse du sujet qui repose sur l’intégration de deux approches qui, dans la grande majorité des études menées antérieurement, ont été régulièrement présentées comme incompatibles. En ce sens, notre contribution s’inscrit dans un courant de recherche initié à partir des années 80 et dont l’objectif vise, d’une part, à relativiser la portée du paradigme cognitiviste, fondement des premiers modèles explicatifs du comportement du consommateur, et, d’autre part, à favoriser l’intégration des états affectifs de l’individu dans les études. D’un point de vue méthodologique, nous nous proposons d’associer, au sein d’une même enquête, des outils de mesure relatifs à la variable contextuelle elle-même et à l’interprétation que l’individu donne de cette dernière. Plus précisément, cette étude a pour but de fournir une mesure de la situation psychologique (ou subjective) ; celle-ci ayant souvent été occultée dans les recherches en comportement du consommateur compte tenu des difficultés liées à sa mesure. Enfin, sur un plan opérationnel, il s’agira de fournir aux responsables d’entreprises des informations sur l’influence respective de ces deux types de situations dans l’explication du comportement du consommateur. A cette occasion, nous présenterons les facteurs situationnels comme des outils de gestion auxquels peuvent recourir, dans certains cas, les producteurs et les distributeurs de biens afin de susciter des réponses décisionnelles et émotionnelles spécifiques chez leurs clients. Après une présentation du cadre conceptuel de notre recherche, nous exposerons la méthodologie suivie lors d’une étude menée auprès d’acheteurs de chocolat en tablettes. Enfin, nous présenterons et discuterons les résultats obtenus. 3 1. D’UNE OPPOSITION SYSTEMATIQUE ENTRE L’APPROCHE OBJECTIVE ET SUBJECTIVE DE LA SITUATION A UN SOUCI D’INTEGRATION DE CES DEUX DEFINITIONS La majorité des travaux relatifs aux facteurs situationnels souligne l’antagonisme entre deux courants de pensée. Le premier, se fondant principalement sur les contributions de Belk (1974), propose une définition objective de la variable contextuelle. Le second, pour sa part, a pour base les travaux de Lutz et Kakkar (1975) et fournit une approche subjective de ce concept. Après une présentation de ces deux façons d’appréhender la situation, nous nous intéresserons aux recherches qui ont intégré simultanément ces deux approches. 1.1. La définition objective de la situation à l’aide des cinq composantes descriptives de Belk Belk (1974), dont la contribution à l’analyse des variables contextuelles a été décisive, définit la situation comme «l’ensemble des facteurs particuliers à un lieu et à une période d’observation qui ne découle pas de connaissances personnelles ou de réactions face à un stimulus et qui a un effet systématique et démontrable sur le comportement habituel du consommateur». Même s’il admet que les individus peuvent percevoir différemment les situations auxquelles ils sont confrontés, il recommande, néanmoins, de privilégier l’approche objective de ce concept. En effet, précise t-il, le recours à une description subjective de cette variable nécessiterait d’accepter autant de définitions qu’il y a de sujets. Or, la multitude des réponses obtenues aurait pour principal effet de rendre le concept peu utilisable et difficilement mesurable. C’est pourquoi, afin de minimiser ces difficultés d’ordre méthodologique, Belk (1975a, 1975b) se propose de décrire toute situation à l’aide des cinq composantes suivantes : - L’environnement physique : il est constitué des caractéristiques apparentes de la situation telles que le décor (Kotler, 1973-1974), l’éclairage (Golden et Zimmerman, 1986), la température, le désordre et la propreté (Bitner, 1990), la musique (Areni et Kim, 1993 ; Bruner, 1990 ; Gorn, 1982 ; Milliman, 1986 ; Rieunier, 1998 ; Siberil, 1994 ; Yalch et Spangenberg, 1993), les couleurs (Bellizi, Crowley et Hasty, 1983 ; Crowley, 1993), les odeurs (Guichard, Lehu et Vanheems, 1998 ; Mitchell, Kahn et Knasko, 1995 ; Spangenberg, Crowley et Henderson, 1996), et de nombreuses autres dimensions (pour une revue détaillée, voir Baker, Grewal et Parasuraman, 1994). - L’environnement social, c’est à dire la présence ou l’absence d’autres personnes dans le contexte étudié (Eroglu et Machleit, 1990 ; Granbois, 1968 ; Harrell et Hutt, 1976 ; Hui et Bateson, 1991 ; Lemoine, 1995, 1998). - La perspective temporelle : les variables appréhendées au niveau de cette dimension concernent tour à tour le moment d’achat/de consommation du bien ou du service (Miller et Ginter, 1979), la saison, le temps disponible pour effectuer l’achat (Iyer, 1989 ; Wright, 1974), le délai écoulé depuis la dernière acquisition du produit, etc. - La définition des rôles : il s’agit de s’intéresser ici aux objectifs poursuivis par l’individu dans la situation retenue. Par exemple, fait-il un achat pour lui-même ou pour offrir un cadeau (Clarke et Belk, 1979 ; Heeler et al., 1979 ; Ryans, 1977). 4 - Les états antérieurs propres à l’individu font référence, à titre d’illustration, à son niveau d’anxiété, à son humeur (Batra et Stayman, 1990 ; Belk, 1984 ; Gardner, 1984, 1985), à son degré de fatigue, à son état de santé. A l’inverse des quatre composantes précédemment citées, cette dimension situationnelle ne rencontre pas l’adhésion de tous les chercheurs. Certains d’entre-eux (Barker, 1975 ; Dubois, 1994a ; Wicker, 1975) recommandent même de ne pas recourir à cette composante pour décrire une situation. En effet, précisent-ils, la prise en compte de ces états est à l’origine d’une confusion entre les caractéristiques du sujet et celles de la situation. C’est pourquoi Dubois (1994a) préconise de limiter la mesure de la variable contextuelle aux conditions objectives qui ont créé ces états et non aux états eux-mêmes. Cette définition objective, même si elle facilite la mesure de toute situation, a fait l’objet de sérieuses remises en cause sur le plan conceptuel. C’est ainsi que Wicker (1975) suggère de développer beaucoup plus précisément les différentes dimensions évoquées précédemment. Par ailleurs, cet auteur critique la technique suivie par Belk qui consiste à préciser ce que n’est pas une situation plutôt que d’exposer ce qu’elle est («l’ensemble des facteurs particuliers à un lieu et une période d’observation qui ne découle pas....»). Barker (1975), pour sa part, pense que la définition de Belk doit être élargie à des composantes autres que le temps et l’espace («l’ensemble des facteurs particuliers à un lieu et à une période d’observation....»). Prenant l’exemple d’un joueur de golf, il montre que le comportement de ce dernier ne dépend pas seulement de ces deux facteurs, mais aussi de dimensions situationnelles spécifiques telles que l’état du gazon, l’inclinaison du terrain ou encore la force du vent. Selon cet auteur, la définition proposée par Belk est plus adaptée aux comportements étudiés en laboratoire qu’à ceux observés sur le terrain. Enfin, l’approche objective de ce concept présente un inconvénient uploads/Philosophie/ emotions-du-consommateur 2 .pdf

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