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318 319 crime22. » À partir de ce moment-là, on en vint à recommander aux psychothérapeutes d’établir plusieurs contrats de soins avec les différentes personnalités qui alternaient au cours des psycho- thérapies, aux partenaires amoureux on conseilla d’interrompre leurs ébats quand surgissait au cours de l’amour une autre personnalité chez les multiples. Et ce d’autant plus qu’il s’agissait d’un enfant et qu’il risquait d’être accusé de pédophilie à poursuivre leurs ébats. Les cas se multi- plièrent et les accusations aussi. Les souvenirs « retrouvés » au cours des séances conduisirent les patients à porter plainte contre les parents, les parents contre les thérapeutes et finalement les thérapeutes contre leurs patients. Et ce d’autant plus que les récits rapportés en séance mention- naient toujours davantage de rites sataniques imposés aux enfants et que la possession diabolique des « multiples » donnait aux séances de thérapies des allures d’exorcisme. Les mêmes experts de la psychiatrie positiviste furent donc abusés comme au temps des sorcières. Mais cette procédure inquisitoriale et la part que ces experts prirent à la fabrication du syndrome trouvèrent sans nul doute un élément facilitateur dans le rejet de la névrose par la psychiatrie positiviste et ses conduites d’évitement à l’endroit de la psychanalyse. Ainsi l’épidémie de TPM a-t-elle pris naissance dans une niche écologique au sein de laquelle l’animisme se révèle comme la vérité du positivisme. Ce bref exemple illustre à quel point il ne faut pas désespérer face aux processus de norma- lisation qu’assure de nos jours le retour du positivisme en psychopathologie. Quand bien même cette manière de formaliser la clinique produit un système qui a lâché la proie pour l’ombre dans tous les domaines où il opère que ce soit celui du diagnostic, du traitement ou de la recherche, il reste les patients Soit ce qui en eux résiste corps et biens à l’évaluation bureaucratique du pouvoir, à leurs dispositifs d’assujettissement. Ce qui pourrait bien se révéler un sujet !! Soit un « reste » irréductible aux techniques d’assujettissement qui se risque à partager avec d’autres « pluriels singuliers » (Hanna Arendt) l’espace d’une « éthique de la parole ». NOTES 1. Robert Castel, 1981, La gestion des risques – de l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse, Paris, Éditions de Minuit. 2. Les notions de risque, de dangerosité, de handicap, de dysfonctionnement neuronal, de déficit d’apprentissage tendent à se substituer à celles d’angoisse, de culpabilité, de souffrance psychique 3. Roland Gori, Marie-José Del Volgo, 2005, La Santé totalitaire Essai sur la médicalisation de l’existence, Paris, Denoël. 4. Cf. l’ensemble de l’œuvre de Michel Foucault dont on trouvera une excellente analyse dans Frédéric Gros, 1996, Michel Foucault, Paris, PUF, 2004. 5. Élisabeth Roudinesco, 1999, Pourquoi la psychanalyse ? Paris, Flammarion, 2001. 6. Roland Gori, Pierre Le Coz, L’Empire des coachs Une nouvelle forme de contrôle social, Paris, Albin Michel, 2006. 7. Id., Les Anormaux Cours au Collège de France, 1974-1975, Paris, Gallimard, 1999, p. 148. 8. Michel Foucault, L’Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, Paris, Gallimard, 2001. 9. Edouard Zarifian, 1994, Des paradis plein la tête, Paris, Odile Jacob, 1998. 10. Élisabeth Roudinesco, Le patient, le thérapeute et l’Etat, Paris, Fayard, 2004. 11. Philippe Pignarre, Le Grand Secret de l’industrie pharmaceutique, Paris, La Découverte, 2003. 12. http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/trouble_conduites_synthese.pdf 13. Roland Gori, « Idéologies scientistes et pratiques sécuritaires », in Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans ! ouvrage collectif, Toulouse, 2006, Érès, p. 149-162. 14. Philippe Pignarre, Comment la dépression est devenue épidémie, Paris, Hachette, 2001, p. 24. 15. Cf. Roland Gori, « la surmédicalisation de la souffrance psychique au profit de l’économie de marché » in Psychiatrie française, 2005, 4, p. 76-92. 16. Jacques Hochmann, L’Histoire de la psychiatrie, Paris, PUF, 2004. 17. Jörg Blech, 2003, Les Inventeurs de maladies, Arles, Actes Sud, 2005 ; Philippe Pignarre, 2001, op. cit. ; 2003, op. cit. ; Guy Hugnet, 2004, Antidépresseurs La grande intoxication, Paris, le Cherche-Midi. 18. Ian Hacking, 1998, L’Âme réécrite : étude sur la personnalité multiple et les troubles de la mémoire, Paris, Seuil, 2006. 19. Jean-Claude Maleval, Nathalie Charraud, « Modernité du démoniaque », Psychologie Clinique, 1997, 4, p. 117-130. 20. Cf. Sherrill Mulhern, 2001, « Le trouble de la personnalité multiple ; vérités et mensonges du sujet », in Alain Ehrenberg et Anne M. Lorell, La Maladie mentale en mutation Psychiatrie et société, Paris, Odile Jacob, p. 75-100. 21. Sherrill Mulhern, 2001, ibid., p. 90. PHILOSOPHIES ET POLIQUES Michel Foucault : vérité, connaissance et éthique Pascal Engel I - Comme beaucoup d’étudiants de philosophie de ma génération, j’ai suivi avec passion les cours de Michel Foucault au Collège de France, principalement de 1972 à 1976, plus rarement ensuite. J’avais lu, dès mes années de lycée, tout ce qu’il publiait, des livres aux articles plus ou moins confidentiels et aux interviews qu’il donnait dans les journaux, y compris son livre sur Roussel, ses essais sur Blanchot, Flaubert ou Brisset. J’avais aussi lu son article « Theatrum philo- sophicum » à sa parution dans Critique, et, y ayant appris que le siècle serait un jour deleuzien, je devançai l’appel. Je suivais en parallèle les cours de Deleuze à Vincennes (comme il fallait pour l’un voyager dans de lointaines banlieues, et pour l’autre retenir sa place plus de deux heures à l’avance, cela occupait une bonne partie de la semaine, en plus des diverses manifestations où il nous arrivait de battre le trottoir parisien en apercevant quelquefois au loin nos héros théo- riques). Mais Foucault rebutait un peu le khâgneux métaphysicien que j’étais par son côté posi- tiviste et historien. On ne déchiffrait pas de prime abord pourquoi il fallait en passer par toutes ces archives et ces chroniques pour aboutir à des propositions sur le pouvoir et la vérité que je trouvais plus aisément accessibles par une démarche a priori (ce pourquoi je préférais le style plus spéculatif de Deleuze). Mais on comprenait aussi que derrière les positivités se dessinait un plan philosophique méticuleux. Ce plan était, comme il l’a expliqué à de nombreuses reprises, celui de montrer comment les institutions de savoir deviennent des institutions de pouvoir, et comment on peut faire une archéologie de la normativité et des rapports entre vérité et subjecti- vité. J’avais lu et relu le fameux entretien Deleuze/Foucault sur les intellectuels et le pouvoir, et, sans vraiment voir ce que cela voulait dire, j’étais convaincu que « la généralité de la lutte ne se fait pas sous la forme… de la totalisation théorique, dans la forme de la vérité… Ce qui fait la généralité de la lutte c’est le système même du pouvoir, toutes les formes d’exercice et d’applica- tion du pouvoir. »1 Mais je ne devins pas foucaldien, tout comme je cessai d’être deleuzien. Certaines amours se dénouent brusquement, et on ne sait pas pourquoi des bras de Lolita on passe à ceux de Lavinia, même s’il est toujours temps ensuite de s’interroger sur nos raisons2. Je m’intéressai à la philoso- phie analytique, celle-là même que Foucault, rapportant ses essais de lecture, trouvait parfaitement opaque et qu’il prenait, comme la plupart de ses contemporains comme un mélange de positivisme !"#$%#&'()*%+,'-.(/(0.12,0334445678569 6:;6<;6<4446=>5? 320 321 viennois doctrinaire et de pattes de mouche linguistiques3. Au Collège de France, je désertai les salles bondées de Foucault pour aller dans celles, quasi vides, où officiait Jules Vuillemin, et je découvris aussi le charme des séminaires d’« analystes » en Angleterre et aux États-Unis, où, à la différence de ceux de Foucault et de Deleuze, ce n’était pas le professeur qui intervenait le plus. Je finis par croire que la vérité et la connaissance ne peuvent pas s’analyser en termes de volonté, d’instincts, de pouvoir et de lutte, et que la philosophie a pour but la recherche de la vérité, au sens le plus classique et le plus banal du terme, qu’elle est une quête avant tout théorique, qui n’a rien de spécial à voir avec une histoire des processus de subjectivation. Là où Foucault essayait de nous faire penser historiquement, j’ai essayé de penser anhistoriquement, au point de passer pour un défenseur de la philosophia perennis4. Là où il se révélait un enfant un peu difforme et bizarre de nos historiens de la philosophie à la française, j’essayai moi-même d’être un analyste bâtard à l’anglaise. Là où il essayait de faire des généalogies, j’ai cherché plutôt des thèses, des arguments. Alors qu’il voulait nous apprendre à nous méfier de la raison, j’ai adopté le rationalisme. Bref, je devins un philosophe traditionnel, au sens où Vuillemin, dans son hommage à Foucault, le définit comme celui qui « admet et même institue un triple partage entre ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas, entre le droit et la force, surtout entre le vrai et le faux ou du moins, selon l’option sceptique de cette philosophie, entre l’apparence authentique et l’illusion »5 et note que son collègue avait toujours refusé ces partages. Je prenais même un certain plaisir à me sentir ainsi réactionnaire, y compris face à mon ancienne idole6. uploads/Philosophie/ engel-michel-foucault-connaissance-verite-et-ethique.pdf

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