Université Joseph Ki-Zerbo Ouagadougou – Master de philosophie – Philosophie de

Université Joseph Ki-Zerbo Ouagadougou – Master de philosophie – Philosophie de l’art – « Art et histoire » (Daniel Payot) – octobre-novembre 2020 Page 1 sur 6 Envoi n° 8/10 [mercredi 4 novembre 2020] Herbert Marcuse (1898-1979), Theodor W. Adorno (1903-1969) Texte 1. Herbert Marcuse, Éros et civilisation (1955), Seuil, « Points », 1970, p. 139 et 168 : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 « En tant que processus mental indépendant, fondamental, l'imagination a une valeur de vérité propre, qui correspond à son expérience propre, celle du dépassement de la réalité humaine antagonique. L'imagination envisage la réconciliation de l'individu avec le tout, du désir avec sa réalisation, du bonheur avec la raison. Alors que cette harmonie a été rejetée dans le domaine de l'utopie par le principe de réalité régnant, l'imagination insiste sur le fait qu'elle doit et peut devenir réelle, que derrière la fiction réside le savoir. Les vérités de l'imagination sont d'abord réalisées lorsque l'imagination elle-même prend forme, quand elle crée un univers de perception et de compréhension, un univers subjectif et en même temps objectif. C'est ce qui se passe dans l'art […] : derrière la forme esthétique on trouve l'harmonie de la sensualité et de la raison, qui a été refoulée, la protestation éternelle contre l'organisation de la vie par la logique de la domination, la critique du principe de rendement. […] En outre, la dimension esthétique est aussi le milieu dans lequel la nature et la liberté se rencontrent. Cette double médiation est rendue nécessaire par le conflit provoqué par le progrès de la civilisation, entre les facultés inférieures et les facultés supérieures de l’homme, le progrès s’accomplissant par l’intermédiaire de la soumission des facultés sensibles à la raison, et de leur utilisation répressive à des fins sociales. L’effort philosophique pour trouver un médiateur dans le domaine de l’esthétique entre la sensibilité et la raison apparaît ainsi comme une tentative pour réconcilier les deux sphères de l’existence humaine séparées par un principe de réalité répressif. La fonction de médiation s’accomplit grâce à la faculté esthétique qui est semblable à la sensibilité, appartenant aux sens. Par conséquent, la réconciliation esthétique implique le renforcement de la sensibilité puisqu’elle s’oppose à la tyrannie de la raison, et en dernière analyse, elle milite même en faveur de la libération de la sensibilité contre la domination répressive de la raison. » Texte 2. Ibid., p. 139 : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 « En tant que phénomène esthétique, la fonction critique de l'art porte en elle sa propre défaite. La liaison même de l'art à la forme contrecarre la négation de la servitude humaine dans l'art. Pour être niée, l'aliénation doit être représentée dans l'œuvre d'art avec l'apparence (Schein) de la réalité comme réalité dépassée et maîtrisée. Cette apparence de maîtrise soumet nécessairement la réalité représentée à des critères esthétiques et ainsi la prive de son horreur. En outre, la forme de l'œuvre d'art investit le contenu des qualités de la jouissance. Le style, le rythme, la métrique introduisent un ordre esthétique lui-même source de plaisir et qui réconcilie avec le contenu. La qualité esthétique de la jouissance, et même le divertissement, a toujours été inséparable de l'essence de l'art, quelque tragique, quelque exempte de compromis que soit l’œuvre d'art. La proposition d'Aristote sur l'effet purificateur de l'art résume la double fonction de l'art qui est à la fois d'opposer et de réconcilier, de dénoncer et d'acquitter, de faire resurgir ce qui est refoulé et de le refouler à nouveau, sous une forme "purifiée". Les gens peuvent "s'élever" grâce aux classiques : ils lisent et ils peuvent voir leurs propres archétypes se rebeller, triompher, capituler ou périr. Et puisque tout ceci affecte une forme esthétique, ils peuvent en tirer du plaisir ... et l'oublier. » Texte 3. Theodor Adorno, Théorie esthétique (posthume, 1969), traduction Marc Jimenez et Éliane Kaufholz, Klincksieck, 1995, p. 57-58 : 1 2 3 4 5 6 7 « Au centre des antinomies actuelles, il y a le fait que l'art doive et veuille être utopie, de façon à vrai dire d'autant plus radicale que le réel rapport des fonctions empêche davantage l'utopie ; mais le fait que, pour ne pas trahir l'utopie par l'apparence et la consolation, l’art n'a pas le droit d'être utopie, est également essentiel. Si l'utopie de l'art se réalisait, ce serait sa fin temporelle. Hegel, le premier, a reconnu que cela est impliqué dans le concept d'art. Le fait que sa prophétie ne se soit pas réalisée trouve sa raison paradoxale dans son optimisme historique. Il trahit l'utopie en construisant l'existant comme s'il était l'utopie, c'est-à-dire l'Idée absolue. A Université Joseph Ki-Zerbo Ouagadougou – Master de philosophie – Philosophie de l’art – « Art et histoire » (Daniel Payot) – octobre-novembre 2020 Page 2 sur 6 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 l'encontre de la doctrine hégélienne, selon laquelle l'Esprit universel aurait laissé derrière soi la figure de l'art, s'affirme son autre thèse qui range l'art dans l'existence contradictoire, laquelle persiste contre toute philosophie affirmative. (…) L’art, pas plus que la théorie, n'est en mesure de concrétiser l'utopie, pas même de façon négative. Le Nouveau, en tant que cryptogramme, est l'image de la ruine ; l'art n'exprime l'inexprimable, l'utopie, que par l'absolue négativité de cette image. En elle, se rassemblent tous les stigmates du repoussant et du répugnant dans l'art contemporain. Par un refus intransigeant de l'apparence de réconciliation, l'art maintient cette utopie au sein de l'irréconcilié, conscience authentique d'une époque où la possibilité réelle de l'utopie – le fait que, d'après le stade des forces productives, la terre pourrait ici et maintenant être le paradis – se conjugue au paroxysme avec la possibilité de la catastrophe totale. Dans l'image de la catastrophe, non pas dans sa reproduction photographique, mais dans les chiffres de sa virtualité, l'élément magique de la plus lointaine préhistoire de l'art réapparaît sous le sortilège intégral, comme si, par son image, il voulait conjurer la catastrophe. » 1) Quelle est selon vous l’idée principale du premier texte ? 2) Quelle est selon vous l’idée principale du deuxième texte ? 3) Quelle est selon vous l’idée principale du troisième texte ? 4) Quels sens différents donnez-vous à la notion d’« utopie » ? Retrouvez-vous ces sens dans les extraits ci-dessus ? Commentaire indicatif. Nous lisons aujourd’hui des extraits de deux auteurs différents, mais proches à plusieurs égards. Marcuse et Adorno font l’un et l’autre partie du mouvement de pensée qu’on appelle la Théorie critique, souvent aussi l’École de Francfort. Cette seconde appellation vient du fait que l’Institut de recherche sociale avait été fondé en 1923 dans cette ville allemande. Max Horkheimer en fut le directeur à partir de 1930. Après 1933, tous ses membres ont dû émigrer, la plupart d’entre eux aux États-Unis. L’Institut de recherche sociale a continué ses travaux, à New York d’abord, puis à Los Angeles, avec des collaborateurs américains, en effectuant des enquêtes sociologiques (concernant l’antisémitisme ou ce qu’une publication importante a nommé la « personnalité autoritaire » – voir Theodor W. Adorno, Études sur la personnalité́ autoritaire (1950), traduction française Hélène Frappat, Paris, Allia, 2008). Au début des années 1940, Max Horkheimer et Theodor Adorno écrivirent ensemble un texte qui fut ensuite publié sous le titre La dialectique de la raison : fragments philosophiques (traduction française Éliane Kaufholz, Gallimard, 1974). Après la guerre, certains chercheurs de cette mouvance (dont Horkheimer et Adorno) décidèrent de revenir en Europe et de refonder l’Institut de recherche sociale dans la même ville de Francfort. D’autres, parmi lesquels Marcuse, sont restés aux États-Unis et ont acquis la nationalité américaine. [Vous pouvez, sur Wikipedia, consulter les articles « École de Francfort », « Théorie critique », « Institut de recherche sociale » et bien sûr « Marcuse » et « Adorno » : ils vous donneront de nombreuses informations sur le courant de pensée qui nous occupe aujourd’hui]. Le texte 1 d’Herbert Marcuse, écrit en anglais et publié au milieu des années 1950, développe une conception de l’art que l’on pourrait comparer avec celle que nous analysions chez Schiller au début de ce cours. De fait, le concept d’« imagination » y joue un rôle similaire à celui que Schiller attribuait à la « beauté » : une « fonction de médiation » (ligne 18). Comme Schiller, Marcuse part du constat d’une scission entre facultés, réalités et finalités qui, au lieu de travailler ensemble harmonieusement, s’écartent les unes des autres : d’un côté « l'individu », de l’autre « le tout » (la société) ; d’un côté le « désir », de l’autre « sa réalisation » ; d’un côté le « bonheur », de l’autre « la raison » (lignes 3-4). Plus bas, Marcuse mentionne le refoulement de « l'harmonie de la sensualité et de la raison » (lignes 9-10), puis l’opposition entre « facultés uploads/Philosophie/ envoi-8.pdf

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